Des procès interminables due à la lenteur des procédures surtout en matière civile ; problématique liée à l’exécution des jugements ; celle liée à la vérification de l’exécution de ces derniers ; des solutions pour abrégées les procédures…. Sur toutes ces questions et bien d’autres, maître Fabien Segatwa fait le point.
Qu’est-ce qui fait qu’il y ait des procès interminables ?
D’emblée, je vous dirais que la loi peut être la cause de la lenteur de la justice. Les étapes que prend une procédure civile surtout pose problème dans beaucoup de cas.
Comment ?
Lorsqu’une décision est rendue par la juridiction d’appel, elle peut être rendue par la Cour d’appel ou le Tribunal de Grande instance, cela dépend de la matière. La partie qui n’a pas été satisfaite par la décision se pourvoit en cassation devant la Cour suprême.
Si la Cour suprême, chambre de cassation siégeant avec trois juges, trouve que le recours est fondé, elle casse la décision mais ne statue pas autrement. Elle renvoie le dossier devant la même juridiction qui avait rendu la décision cassée pour y plaider à nouveau.
L’instruction du dossier renvoyé devant le tribunal ou la cour, prend le même temps qu’avant, c’est-à-dire une année à deux ans si tout marche bien. Et de nouveau, la partie non contente de la décision rendue retourne à la Cour suprême qui siège toutes chambres réunies avec cinq magistrats et cette fois-ci, la Cour statue au fond.
Et le dossier est clos ?
Non. La partie qui n’est pas contente de la décision rendue par la Cour suprême saisit le ministre de la Justice pour essayer d’obtenir une révision. Si le ministre trouve des critiques à l’endroit de la décision rendue, il demande au procureur général de la République de saisir la Cour suprême pour revoir la décision, c’est-à-dire statuer à nouveau, le siège autrement composé. Cela veut dire que les juges qui ont connu l’affaire à quelque niveau que ce soit doivent se récuser. Actuellement la révision peut prendre deux à trois ans.
Une fois que la chambre de cassation a rendu sa décision, la partie qui n’est pas contente de la décision peut encore, soit retourner devant le ministre de la Justice pour révision et annulation soit adresser le recours au Conseil supérieur de la Magistrature qui a aussi compétence de contrôler la qualité des décisions judicaires ainsi que leurs mesures d’exécution.
Que fait cette fois-ci le ministre de la Justice ?
Si le ministre de la Justice estime que la décision est annulable, il ordonne la révision et le dossier retourne encore devant la Cour suprême pour y être statué à nouveau avec cinq juges.
Le temps de l’instruction de ce dossier sera le même que pour tous les autres dossiers, c’est-à-dire entre deux ou trois ans, et en tenant compte de l’engorgement de la Cour suprême, le temps peut aller au-delà de quatre ans.
Nous attendons maintenant la nouvelle loi sur la Cour suprême pour savoir le sort des décisions qui auront été sanctionnées par le Conseil supérieur de la Magistrature.
Car, il faut aussi dire que depuis la promulgation de la loi sur le Conseil supérieur de la Magistrature le 23 01/2021, les dossiers en attente d’une décision s’accumulent.
Visiblement, à différents niveaux de la procédure, plusieurs juges vont connaître le dossier. Quid de la récusation ?
Au finish, et il faut le signaler, il n’y aura plus suffisamment de juges de la Cour suprême pour juger, si tous les juges qui ont connu le dossier à tous les niveaux de la procédure doivent se récuser.
Ce qui signifie qu’au dernier recours, il y aura au moins 18 juges qui vont se récuser. Cela est sans prendre en compte les juges du Tribunal de Grande instance ou de la Cour d’appel qui auront été promus. Ils rencontreront à la Cour d’appel les jugements qu’ils auront rendus au premier ou au second degrés.
Durant tous ces recours répétitifs, qu’en est-il de l’exécution du jugement pour la partie gagnante ?
En principe tous les recours extraordinaires ne sont pas suspensifs de l’exécution de la dernière décision rendue, mais en pratique, ils le sont.
Et que peut-on comprendre par recours extraordinaires ?
Par recours extraordinaires, il faut comprendre la cassation, la révision, l’annulation, le recours devant le Conseil supérieur de la Magistrature. Donc, un justiciable peut avoir en mains un jugement qu’il a gagné à tous les échelons, mais qui lui colle dans les mains pendant longtemps sans savoir quoi en faire.
Des fois aussi, la vérification de l’exécution des jugements peut poser problème…
La loi dit que l’exécution doit être conforme au jugement qui a été rendu. Et le jugement en fait est formé dans ce que l’on appelle le dispositif là où le juge dit « pour ces motifs, le tribunal/ la cour ordonne, statue, décide, … »
C’est cette partie-là de la conclusion du jugement que le juge doit exécuter. Il y a des fois où l’exécution n’est pas conforme à cette partie-là du jugement où le juge en exécution peut aller au-delà.
Des exemples ?
Vous êtes en train de discuter une propriété et on trouve que ce qui a été dit dans le jugement n’est pas ce qui a été exécuté. Par exemple, on peut dire que dans le partage chaque enfant aura la moitié, un quart, une petite propriété.
Lorsqu’on vient exécuter probablement qu’on n’a pas respecté cette proportionnalité, ou probablement aussi que le jugement peut dire que voilà la limite de la propriété sera ici mais la limite de la propriété va ailleurs.
En ce moment-là, celui qui n’est pas content de cette exécution s’adresse à la hiérarchie, c’est-à-dire à la juridiction supérieure pour dire qu’on a mal exécuté.
Encore une procédure qui risque de traîner…
La juridiction supérieure peut justement vérifier si l’exécution a suivi réellement le jugement qui a été rendu. Mais il se peut que la hiérarchie supérieure ait mal exécuté.
Et en ce moment, on s’adresse au Cabinet du ministre où il y a un bureau de vérification des décisions qui ont été rendues pour voir si réellement le jugement a été exécuté conformément ou non à ce qui a été jugé.
Lorsqu’on trouve que ce n’est pas conforme, on rectifie. Mais il y a aussi des fois où en voulant rectifier on rend un nouveau jugement. Et là c’est interdit parce qu’un jugement coulé en force de chose jugée on ne le rectifie pas pendant que l’on est en train de vérifier l’exécution.
Une fois qu’on va au-delà de ce qui a été rendu, on saisit normalement le ministre de la Justice pour vérifier si réellement si ce qui été fait est correct. Le ministre peut ordonner l’annulation.
Tout cela fait que les jugements traînent parce qu’aujourd’hui on vous donne une propriété, demain, en vérifiant, on vous l’arrache. Après demain, on vous la restitue. Tout cela peut effectivement faire que les justiciables se perdent complètement.
De ce qui précède et en tant que praticien du droit, quelle est la solution pour que les procédures soient abrégées ?
En réalité, la solution rapide se trouve dans l’application correcte de la loi. Les parties au procès seraient moins tentées de faire des recours dilatoires si elles exécutaient au préalable la décision attaquée.
Il faut dire que suivant la loi, les recours dits extraordinaires ne soient pas suspensifs de l’exécution. Sauf en quelques matières ou si l’autorité saisie l’interdit expressément. Si la décision est exécutée, il n’y aura que la partie qui y a intérêt qui poursuivra la procédure.
Faut-il donc aussi des sanctions ?
Il faut prévoir des sanctions pour les parties qui perdent les recours en révision, en annulation ou devant le Conseil supérieur de la Magistrature, pour avoir perdu le temps à l’autre partie et pour lui avoir causé des désagréments inutiles. Surtout au cas où l’exécution de la décision aurait été tenue en suspens.
Il faudra aussi prévoir des sanctions en termes de réparation si la partie qui a exécuté malgré le recours perd le procès. On appelle cela le respect de l’équilibre des intérêts des parties.
Que dire de la création d’un Conseil de révision des arrêts rendus par la Cour suprême ?
L’autre solution serait la création d’un « Conseil de révision des arrêts rendus par la Cour suprême » surtout toutes Chambres réunies. La Cour suprême est la haute juridiction ordinaire du pays. Elle ne devrait pas être appelée à se « déjuger » car se faisant, elle y perd quelques peu de sa « hauteur ».
C’est pourquoi, en cas de révision d’une décision rendue par la Cour Suprême toutes chambres réunies, ce qui devrait, à mon avis, être rare, si pas très rare, on devrait créer un « Conseil des révisions ».
Quid de sa composition ?
Cet organe serait composé des anciens présidents de la République, des anciens présidents des Cours suprêmes, des anciens présidents du Parlement », des anciens Premiers ministres, des anciens procureurs généraux de la République, des anciens présidents de la Cour constitutionnelle et de la Cour des comptes, des anciens bâtonniers de l’Ordre des avocats. La liste est longue.
Et la décision rendue par cet organe des sages, au propre comme au figuré, devrait mettre fin au litige et de façon définitive.
Mais dans tous les cas, cette saisine ne devrait pas suspendre l’exécution du jugement. Mais une décision d’annulation par cet organe de la décision judiciaire attaquée, devrait entraîner les sanctions administratives des juges qui l’auront rendue suivant la gravité de la faute commise soit intentionnellement soit par ignorance de la loi.
Qu’est-ce que vous recommandez au législateur ?
Nous avons les lois telles que le Parlement nous les donne. Mais, je pense que le Parlement devrait se mettre à la place des justiciables d’autant plus qu’ils sont les représentants du peuple.
Normalement, un jugement qui est tranché doit être exécuté. Sinon trancher ne veut rien dire quand un jugement reste en suspens sans être exécuté.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira