Sécurité, cohabitation politique, développement socio-économique… Léopold Ndayisaba, administrateur de Gihanga en province Bubanza, fait le point sur la situation de sa commune. Une occasion de lever les soupçons sur la gestion de certains dossiers comme l’électrification du village III et la gestion des terres domaniales. Entretien.
Quelle est la situation de la sécurité de Gihanga ?
Aujourd’hui, elle est bonne. Mais il fut un temps où elle était souvent perturbée. Et ce, à cause de notre proximité avec la réserve de Rukuko et la RDC. Les agriculteurs étaient souvent les cibles des malfaiteurs. Il y avait des pièges, des attaques armées sur les routes. Ce qui ternissait l’image de notre commune. Notre but est de voir Gihanga en sécurité à 100%. Ce qui permettra aux agriculteurs, aux éleveurs, aux commerçants… de vaquer tranquillement à leurs activités.
Qu’en est-il de la cohabitation politique ?
Aucun problème à signaler. Les différents partis politiques collaborent bien. Dans notre conseil communal, il y a des membres du Cndd-Fdd et ceux du Cnl. La différence d’idées politiques n’est pas un problème mais plutôt elle contribue au développement du pays. Les critiques sont très utiles pour les gouvernants. Elles permettent à un dirigeant éclairé, clairvoyant de corriger.
Neuf ans à la tête de Gihanga, quel est votre bilan côté développement ?
Gihanga est sur une bonne lancée. Grâce à la participation des natifs, de la diaspora, de l’administration communale, nous avons de quoi nous vanter.
Concrètement ?
La commune a un nouveau bloc administratif. C’est grâce à l’appui du gouvernement via le Fonic que cette infrastructure a été érigée. Le coût est de 214 millions de BIF. C’est une maison en étages construite en 2016. En plus des bureaux des différents services communaux, elle compte une grande salle de réunions. Elle sert aussi de salle de réception comme les mariages, les levées de deuil, etc.
Avant sa construction, les différents services communaux n’avaient pas leurs propres bureaux. Actuellement, tous les services, que ce soit le chargé de l’éducation, de l’agriculture, de l’élevage, de l’état-civil… travaillent dans un seul bloc administratif. Ce qui facilite la tâche aux demandeurs de services. Cela me permet de suivre de près leur prestation, leur ponctualité au travail, etc.
Mais on se lamente que certains services sont très lents, que des administratifs s’absentent au travail, arrivent en retard ou fréquentent les bars dans les heures de service.
L’avez-vous déjà constaté ?
Ce n’est pas vrai. On ne peut pas punir quelqu’un pour avoir fréquenté un bar, car ils y vont en dehors des heures de service. Aujourd’hui, tout le monde est appelé à veiller au bon déroulement des services. Nous demandons à la population de nous aviser en cas d’une mauvaise conduite de notre personnel.
Côté état-civil, il est vrai qu’il y a beaucoup de tentations dans ce secteur. Mais aujourd’hui, ils sont en train de travailler convenablement. C’est ce qui est important.
Des cas des OPJ qui exigent des pots de vin sont rapportés à Gihanga. Etes-vous au courant ? Que faites-vous pour décourager cela ?
Nous en avons eu écho. Malheureusement, personne ne vient nous informer qu’on lui a demandé un pot de vin. Sauf le cas d’un OPJ qui était toujours indexé. Sur notre demande, il a été muté. Et je remercie d’ailleurs ceux qui ont eu le courage de m’en informer.
Quid de l’éducation ?
Nous avons construit beaucoup d’écoles. Chaque colline de recensement a un établissement scolaire. Ainsi, les enfants ne font plus beaucoup de kilomètres pour se rendre à l’école.
Nous avons 26 écoles fondamentales, sept lycées communaux, quatre écoles techniques, dont ITAB Gihanga et l’Ecole Technique de Gihanga. Nous avons aussi deux écoles techniques privées. Là, on enseigne surtout les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Nous remercions beaucoup les particuliers qui ont investi dans ce domaine.
Quels sont les défis dans ce secteur?
Suite à la pression démographique, nous avons construit beaucoup d’écoles mais les enseignants sont insuffisants. On recourt aux vacataires. Nous leur donnons un peu d’argent en guise de remerciement pour nous avoir prêté main forte. Il y a aussi un problème de bancs-pupitres. En 2021, on avait besoin d’environ 2000 bancs-pupitres. Pour que les enfants puissent s’asseoir à trois, il nous reste à rassembler au moins 700 bancs-pupitres pour les salles de classe disponibles.
Les salles de classe sont-elles suffisantes ?
Pas du tout. Et ce, suite à la pression démographique. Nous avons 107.216 habitants sur 254,34 km2. Ce qui fait une densité de 421 hab/km2.
Et pour cette année scolaire, nous avons 30.208 enfants. L’année prochaine, on risque de se retrouver avec plus de 35 mille. Nos écoles sont peuplées par des personnes venues d’ailleurs.
Avez-vous des preuves ?
Dans une classe de 30 enfants, le constat est que 20 sont venus d’ailleurs. De nouvelles familles sont attirées par le fait que Gihanga est proche de Bujumbura, ses terres encore fertiles, le travail dans les champs rizicoles, etc.
L’autre grand défi, il y a l’insuffisance du matériel didactique. Nous remercions le gouvernement pour ses efforts, les natifs qui octroient des livres, des bancs-pupitres, etc. Mais la demande n’est pas encore satisfaite.
Qu’en est-il du secteur sanitaire ?
Gihanga compte quatorze centres de santé, dont six qui sont publics. Nous avons trois hôpitaux, dont deux privés et un hôpital communal.
Néanmoins, les défis ne manquent pas. Nous n’avons pas de morgue. Nous sommes obligés d’aller à l’hôpital Mpanda ou à Bujumbura. Nous continuons à plaider pour qu’on installe des chambres froides à l’hôpital communal ou à l’hôpital de district de Gihanga. Le personnel médical n’est pas aussi suffisant. On aimerait aussi avoir au moins une autre ambulance. Une seule ne suffit pas.
Gihanga dispose-t-il de marchés modernes pour l’écoulement de vos produits ?
Ils sont en chantier. Celui sis sur la colline Gihanga est en cours de finition. L’autre chantier se trouve à Rugunga. Nous comptons aussi construire un autre marché moderne de la commune. Le traitement et la transformation des produits agricoles nous préoccupent aussi. Et ce, dans le but de lutter contre le chômage des jeunes diplômés. Mais cela nécessite du courant électrique.
Les différents villages de la commune sont-ils tous éclairés ?
Oui. Des efforts ont été consentis dans ce sens. Onze sur quatorze collines sont alimentées en électricité. Ce qui facilite la création des petits métiers.
On vous soupçonne d’avoir détourné 40 millions BIF lors de l’électrification du village III…
(Rires). Ce village fait partie de ma commune. Nous l’avons appuyé pour qu’il soit alimenté en électricité. Il y a eu des contributions à travers les coopératives. En tout, nous avons rassemblé 40 millions BIF. Et le gouvernement nous a donné via le Fonic plus 90 millions BIF. Le coût d’électrification du village III est estimé à plus de 130 millions BIF. Aujourd’hui, nous songeons aux autres villages.
L’argent a donc été utilisé ?
Oui. Ceux qui propagent ces rumeurs sont des menteurs. Ce ne sont pas des amis du Burundi. Ils veulent uniquement semer la zizanie dans la population. Nous avons suivi de près ce dossier. L’argent a été payé à ceux qui ont gagné le marché.
A Gihanga, on parle souvent de problème d’eau potable. Quelle est la situation ?
Nous avons souvent un problème d’eau potable. Nous n’avons pas des sources d’eau. Nous sommes alimentés en eau à partir des communes Musigati, Mpanda et Rugazi. En cas de fortes pluies, les tuyaux ne parviennent pas à contenir toute la pression. Ils se cassent. On peut passer deux ou trois jours sans eau.
Comme alternative, nous faisons recours au forage. Nous remercions beaucoup le président de la République pour nous avoir envoyé des techniciens. Merci aussi à la Regideso qui intervient rapidement pour réparer les tuyaux abîmés.
De quoi vit votre population ?
Elle vit principalement de l’activité agropastorale. On cultive surtout le riz. Ce qui attire beaucoup de personnes d’autres régions. Avoir une plaine irrigable, c’est vraiment une chance pour notre commune. Les rivières Kajeke et Mpanda nous sont précieuses en la matière.
Mais la production du riz a sensiblement chuté la saison dernière. Pourquoi ?
Nous n’avons pas pu cultiver le riz. Le barrage d’irrigation de Gatura sur la rivière Mpanda exploité par des coopératives rizicoles avait été abîmé. Ce qui a perturbé les activités. Et les agriculteurs ont remplacé le riz par des cultures vivrières. Comme résultat, la production du riz a chuté et les prix ont monté.
Pour le moment, le gouvernement a réhabilité ce barrage d’irrigation. Nous espérons qu’en trois ou quatre mois, on va récolter le riz. Les riziculteurs sont à l’œuvre.
A Gihanga, on produit aussi différentes sortes de légumineuses, telles les tomates, les choux, les poireaux, poivrons, etc. Des céréales aussi, tels le maïs, le haricot, etc. D’autres familles cultivent aussi des pastèques, des palmiers à l’huile. Des tubercules, comme le manioc et la patate douce, procurent beaucoup d’argent aux familles.
Pas de culture industrielle ?
Nous avons le coton. Aujourd’hui, toute la production est utilisée par Afritextile. Je dois avouer que cette culture a beaucoup reculé dans notre commune.
Pourquoi ?
Elle était beaucoup cultivée dans une partie de la Rukoko. Aujourd’hui, ce domaine fait partie intégrante du parc national de la Rusizi. Et le coton est présent actuellement dans des terres familiales. Malgré nos efforts de sensibilisation, nous constatons malheureusement que les agriculteurs ne sont pas très emballés. Ils privilégient surtout les cultures vivrières.
Que dites-vous à ceux qui vous accusent de vous accaparer de certaines terres domaniales ?
D’abord, il y a des terres domaniales qui sont protégées. Aucune autre activité ne peut y être pratiquée. A l’exemple du parc, des collines où l’on a planté des arbres. Il y a d’autres terres domaniales qui avaient été empruntées à la population pour exécuter des projets. Mais, récemment le gouverneur de province a tenu une réunion avec la population pour leur rappeler que ces terres sont réservées aux projets présentés lors de la demande.
Au cas contraire, l’autorisation d’exploitation est retirée. Certains ont demandé ces terres pour des exploitations agricoles. Mais on a remarqué qu’elles sont en train d’être morcelées en parcelles pour y ériger des maisons d’habitation.
Pour ne pas nous accuser d’incompétence, nous avons arrêté ces tricheries. D’autres appartiennent aux dignitaires venus de Bujumbura. Ce qui n’est pas en soi un problème.
Cela devient un problème quand ils les exploitent pour d’autres fins contraires à celles indiquées lors de la demande. D’autres ont dépassé des limites. Par exemple, celui qui avait demandé 2 hectares, il se retrouve aujourd’hui avec 4 hectares. Nous avons fait un recensement. Nous avons des chiffres.
Nous préférons que ces terres soient exploitées par des coopératives. Il y a d’autres qui, au lieu de les exploiter, les ont louées à d’autres personnes. Là, elles sont données automatiquement aux coopératives ou d’autres particuliers pour leur exploitation en attendant une nouvelle organisation des terres domaniales.
On parle aussi d’une terre domaniale réservée aux vulnérables où vous avez revu à la hausse le prix de location de 50 mille BIF à 350 mille BIF. Qu’en est-il?
Des rumeurs. En fait, c’est un domaine de la commune d’environ 40 hectares. Pour faire entrer un peu d’argent, la commune avait pris la décision de chercher des exploitants privés. D’abord, un vrai vulnérable n’est pas capable de cultiver. Le président de la République l’a bien dit. Un vrai vulnérable a tout simplement besoin d’être assisté. Donc, on ne peut pas donner une terre à exploiter à un précaire.
Qu’est-ce qui s’est passé par la suite?
Au fil du temps, la commune a revu à la hausse les frais de location. C’est normal. D’ailleurs, au début, c’était 40.000BIF. Certains soi-disant exploitants payaient 40.000BIF et, à leur tour, ils cherchaient d’autres locataires pour plus de 100 mille BIF. Vous comprenez que la commune ne pouvait pas tolérer cela. Elle a besoin d’argent pour son développement. Ainsi, le conseil communal a pris les choses en main.
D’autres informations disent que vous vous êtes approprié une partie de la propriété du Lycée Communal Nyeshanga. Qu’en dites-vous ?
Un autre mensonge. C’est grâce à moi que cet établissement a pu étendre sa superficie parce que j’ai été son premier directeur. A mon arrivée, il avait une petite portion. Mais, j’ai expliqué aux riverains que son extension est un développement de la colline. Je remercie d’ailleurs ceux qui m’ont compris. Aujourd’hui, il y a assez d’espace pour son extension.
On dit que vous y avez même construit une maison…
Moi ? Je n’ai pas construit une maison sur place. Toutes les propriétés des écoles sont délimitées. C’est nous-mêmes qui avons donné les documents à cet établissement pour protéger sa propriété.
Récemment, vous avez réorganisé la vente du ciment et du sucre. Mais on se lamente que vous avez des parentés parmi les distributeurs…
La réorganisation a été conclue après une réunion avec la population. Depuis cette décision, les prix sont respectés. Seuls les grossistes sont autorisés à vendre le ciment ou le sucre. Ils sont servis par le Buceco ou la Sosumo. Nous avons constaté que les spéculateurs sont des petits vendeurs. La réalité est que la quantité du sucre donnée reste insuffisante. Pour le ciment, aujourd’hui, le stock est plein. Et c’est vrai que parmi les grossistes figurent ma belle-mère. Il lui est seulement demandé de respecter la loi. Personne n’est au-dessus de la loi. Que les gens ne soient pas jaloux jusqu’à ce niveau.
Les riziculteurs sont souvent accusés de concubinage lors de la moisson. Une réalité ?
Cela relève du passé. Cette pratique était très courante chez ceux venus d’ailleurs. Ils pouvaient mentir qu’ils sont célibataires alors qu’ils ont laissé des femmes dans leurs régions d’origine. Alors, nous avons décidé de prendre les choses en main. Désormais, ils doivent présenter un document qui montre leur état-civil. Les administratifs doivent dénoncer tout mariage illégal.
Votre rêve pour la commune ?
Je veux que Gihanga retrouve sa notoriété d’antan. Nous voulons la transformer en un centre agricole qui nourrit Bujumbura et d’autres coins du pays. Nous comptons exploiter notre richesse en eau, la Rusizi et le barrage Kajeke pour irriguer. Faire de Gihanga un lieu de désengorgement de Bujumbura est notre préoccupation. Que les gens ne continuent pas de s’agglutiner à Bujumbura, il faut qu’ils s’installent ici.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze