Sabotage des travaux d’aménagements de la rivière Ntahangwa, montée des eaux du lac Tanganyika, des ravins menaçants tout autour de Bujumbura, … Dr-Ir Ltn-Col Léonidas Nibigira, commissaire général de l’Office burundais de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction (OBUHA) s’exprime.
Quelles sont vos conclusions après votre descente à la rivière Ntahangwa où visiblement les aménagements de stabilisation ont été détruits ?
C’est un constat amer. Nous avons remarqué vraiment que la main humaine contribue à la destruction des initiatives servant à la protection de la population. Nous avons remarqué qu’effectivement les pertes sont colossales.
Qu’est ce qui a été concrètement détruit ?
D’abord le barrage qui était érigé en aval du pont de la République a été détruit. C’est du sabotage des activités d’aménagement, il y a eu destruction des rangées des gabions.
Avec leur disparition, par érosion, le barrage a cédé. Après, comme le barrage permettait de relever le niveau du lit de la rivière en son amont, donc en aval direct du pont de la République, nous avons assisté à un départ massif des dépôts qui étaient en amont de ce barrage.
Malheureusement, il y a eu par suite destruction de tous les travaux d’aménagement en aval du pont. Ce qui menace déjà le pont, il risque de s’écrouler.
Que faire pour sauver la situation ?
Les travaux sont en cours. L’agence routière du Burundi (ARB) est à l’œuvre pour essayer de réhabiliter la partie en aval du pont de la République et l’OBUHA est prêt à pouvoir embrayer sur ces actions pour pouvoir poursuivre les travaux d’aménagement en aval sur la rivière Ntahangwa.
Pour les matériaux volés, avez-vous pu trouver leur marché d’écoulement ?
Nous avons vite compris que c’est un travail à la chaîne de même que ce travail de stabilisation est un travail à la chaîne. Parce que nous avons vu que ces gens qui volent ces gabions ou des parties des gabions, c’est parce qu’ils ont des débouchés.
Ils partent vendre cela aux entreprises qui font la fonte de ces gabions, tout ce qui est matériaux métalliques pour la fabrication de nouveaux matériels de construction.
Donc, nous avons compris qu’il faut intervenir dans le sens d’empêcher les gens qui volent directement ces gabions, mais aussi décourager les preneurs de ces matériaux. Parce qu’ils prennent les matériaux qui soutiennent les aménagements pour protéger nos rivières et les habitations environnantes, et après ils vont les faire fondre et nous les revendre à des coûts élevés.
Oui, vous avez pu identifier les acheteurs de ce matériau. Quelle a été la suite ?
Nous avons adressé un message clair à ces usines acheteuses, pour leur dire si demain ou après-demain, des matériaux pareils se retrouvent chez elles et si elles ne font rien en termes d’alerter les pouvoirs publics pour prendre des mesures conséquentes, ce sont elles qui seront pénalisées.
De cette façon, nous estimons que les gens qui détruisent ces travaux d’aménagements, ces matériaux, s’ils n’ont pas des débouchés, des preneurs, ils seront découragés et vont abandonner cette sale besogne.
Mais également, nous lançons un appel vibrant à l’endroit de la population riveraine. Parce que ces travaux d’aménagements, c’est d’abord une protection de ces personnes-là.
Ainsi, il faut que ces populations soient l’œil du gouvernement pour pouvoir aider et traquer ces malfaiteurs. Donc, la protection des ouvrages publics, c’est un travail de tout le monde : la police, les administrations locales, etc. Cela doit être un travail à la chaîne parce que si c’était laissé au seul apanage de l’OBUHA, la tâche sera très difficile.
Concrètement, vont-elles réparer les dégâts causés ou traduites devant la justice ?
C’est une démarche qui doit absolument être menée et aboutir. Dans la Ntahangwa, les auteurs de la destruction des gabions de stabilisation doivent contribuer à la réparation, en payant une contrepartie équivalant au nombre de matériaux endommagés.
Mais, ils devaient également payer les frais d’aménagement. Parce que quand vous prenez par exemple une rangée de gabions avec dix cages , si vous remettez son équivalent, cela ne dit pas grand-chose.
Parce qu’après tout, il faut la main d’œuvre pour remettre en état l’emplacement mais aussi avec le départ de ces matériaux d’aménagement, des fois, la situation s’aggrave.
Si vous prenez dix gabions, au retour, il vous faudra par exemple une centaine ou même plus dans certains cas pour pouvoir remettre les choses en bon état.
Là, c’est quelque-chose où on doit être très sérieux. Ils doivent payer le coût de ce qu’ils ont pris, et le coût supplémentaire correspondant à la main d’œuvre et au surcoût engendré par la détérioration des endroits déstabilisés.
Aujourd’hui, quels sont les principaux projets en cours d’exécution par l’OBUHA ?
Nous avons beaucoup de projets les uns allant dans le sens de nouvelles constructions, d’autre allant dans le sens de réhabilitation. Généralement, ce sont des projets de constructions des bâtiments.
Je dois dire que nous avons aussi de projets de stabilisation, de réhabilitation des ravins. Là, ça peut être dans les parages des rivières.
Les projets que nous exécutons viennent des différents secteurs parce qu’il y a des ministères qui nous confient des travaux, qui sont planifiés dans leurs programmes des budgets annuels.
Quels sont les défis que vous rencontrez ? Est-ce que les moyens sont-ils disponibles ?
Ces derniers temps, nous observons un phénomène d’érosion ou sapement des rives des rivières qui vont jusqu’à l’échelle des ravins. Cela commence par l’érosion. Le grand défi, c’est que nous devons intervenir alors que nos interventions appellent un certain nombre de ressources, la mobilisation des ressources humaines mais aussi financières.
Alors le ravin est un phénomène naturel qui vient comme ça. C’est à l’improviste. Et du coup, cela exige des fonds énormes surtout dans un contexte où ce n’était pas quelque-chose qui était prévue. Là, le premier défi commence par là. Mais, de toute façon, nous essayons de nous battre. Nous avons déjà des équipes sur terrain.
Avez-vous des exemples concrets des travaux en cours sur terrain ?
Je citerais notamment à Ngozi où le ravin Rusuguti est en cours de réhabilitation, à Kayanza où les ravins de Gatwaro et Kigwati, Kinga, etc. A Karusi, à Buhiga et à Rumonge, nous avons notamment le ravin de Kanyenkoko, à Gitega, c’est le cas de Nyamugari à Musinzira, Bwoga, etc.
Bref, nous sommes en train d’intervenir selon les priorités. Malgré le contexte difficile en termes financiers, nous avons des ravins dont les études pour mettre en place les devis et pouvoir mobiliser les fonds sont en cours ou terminés.
Là, c’est la plupart des ravins de Bujumbura, entre autres le ravin qui menace les quartiers nord à partir du ruisseau Cari. C’est aussi le cas par exemple du ravin au niveau de Gisyo où nous voyons des ravins qui menacent les infrastructures publiques et les habitations. Les études sont terminées et les devis en cours de finalisation.
Et après, ça sera le fameux problème lié à la mobilisation des fonds. Nous essayons de nous battre dans ce contexte qui n’est pas facile. Donc, à nous de tranquilliser les autres qui se trouveraient dans des conditions pareilles, en danger à proximité des ravins.
Comme nous l’avons fait pour les autres cas, nos équipes restent mobilisées. Ravins par ravins, nous élaborons des devis, nous utilisons les fonds disponibles, etc. Et au fil et à mesure que les fonds sont disponibles, on passe successivement à l’étape de construction.
Quel est votre message à l’endroit des partenaires financiers?
Nous l’avons déjà fait. C’est comme dans le contexte dans lequel nous avons fait la réhabilitation du ravin de Gasekebuye. Il y avait un grand ravin de plus d’une vingtaine de mètres, et avec la mobilisation des fonds des partenaires, nous avons par exemple, avec l’appui de l’OIM, mobilisé des fonds allant jusqu’à plus de 650 millions de BIF.
Et il y a des fonds supplémentaires que l’OIM a mis à notre disposition pour mettre le barrage. Il a été installé en aval de ce ravin-là pour freiner le processus de l’érosion qui conduit général à l’apparition des ravins.
Est-ce que la mobilisation des fonds est-il facile ?
La question de se battre contre les ravins et les autres défis comme les catastrophes naturelles n’est pas l’apanage d’un seul acteur. Le gouvernement dispose de plusieurs canaux notamment la plateforme nationale qui travaille avec certains partenaires.
C’est une démarche à encourager parce que certaines de ces catastrophes découlent du changement climatique. Et là, il doit y avoir une solidarité à l’échelle nationale, régionale et internationale.
Aujourd’hui, il y a une nouvelle montée des eaux du lac Tanganyika. Y a-t-il des actions déjà entreprises pour y faire face ?
La montée des eaux du lac Tanganyika n’est plus à démontrer. Cela se voit qu’au fil et à mesure, le niveau progresse. Nous interpellons les riverains du lac Tanganyika de respecter, et de faire respecter les zones tampons qui sont signalés par les différents textes réglementaires.
Cela permettrait d’avoir quand même une zone de respiration du lac sans toutefois atteindre les habitations, les infrastructures publiques. Nous essayons d’apporter notre contribution dans le concert des autres acteurs.
Concrètement que faites-vous ?
Pour le cas du lac Tanganyika avec les menaces que cela engendre au niveau du port de Bujumbura, nous faisons partie de l’équipe technique qui est en charge de suivre les aménagements du port.
Et nous avons par exemple récemment contribué en essayant de proposer des scénarios pour pouvoir confronter efficacement les défis liés à la montée des eaux du lac Tanganyika. Nous avons proposé des aménagements pour protéger le mur de la clôture qui était en train d’être détruite.
Maintenant les travaux sont en cours pour y faire face. Nous restons disponibles pour apporter notre contribution que ça soit côté technique ou mobilisation des engins qui sont à notre disposition.
C’est une question qui concerne tout le monde. Mais je dois signaler que ce n’est pas un travail qui est l’apanage de nous seul comme OBUHA, mais cela doit être une solidarité avec les différents partenaires.
Actuellement, il y a un phénomène de ravinement tout autour de Bujumbura. Il y a aussi des constructions anarchiques dans les zones à risques. Votre message à la population.
Un message particulier va dans le sens de sensibiliser, de conscientiser la population, les différents acteurs en général. D’abord, pour prendre conscience de la réalité des changements climatiques avec ses implications notamment sur l’importance ou l’ampleur du ruissellement des eaux de pluies.
N’oubliez pas surtout la détérioration, le changement des paramètres du sol. Ce qui fait que nous observons une tendance globale à la déstabilisation des pentes.
Heureusement, maintenant, nous disposons de la cartographie multirisque qui nous montre des zones qui sont dans un contexte de forte susceptibilité que ce soit par rapport aux glissements de terrain, aux inondations, etc.
Je pense qu’il est grand temps d’exploiter ces cartes dans les zones à forte sensibilité pour pouvoir élaborer des restrictions bien cadrées, spécifiquement dans ces zones de forte susceptibilité.
Dans ce contexte, tout ce qui est travaux d’aménagements doivent être contrôlés. Idem pour toute activité qui se déroule dans les rivières afin que les populations sachent où est ce qu’il faut extraire le matériau de construction, où est-ce qu’il faut protéger.
Il faut contrôler tout, aller même jusqu’au niveau des bassins versants. Si nous intervenons uniquement en milieu urbain seulement, à partir des berges des rivières, ça serait se tromper.
Parce qu’il y a des processus qui se déroulent dans les bassins versants, les techniques culturales par exemple, ou si nous ne faisons rien contre l’érosion à grande échelle, ce sera toujours cette déstabilisation qui se traduit par les ravins que nous voyons ici et là.
Je pense qu’il y a énormément à faire. Et c’est à partir des différents domaines du pays. Vous voyez que même dans le secteur agricole, nous devons faire quelque-chose pour lutter contre l’érosion.
Nous devons également limiter le déboisement. Parce qu’avec la déforestation, nous accélérons l’érosion. Et cela, va en faveur du ravinement.
Tout ce qui est construction doit être précédé par des études pour voir quels sont les impacts sur les risques. C’est notamment les ravins qui sont en train de coûter cher à l’économie du pays.
Vous est-il facile de contrôler que toutes les nouvelles constructions suivent ces directives ?
C’est une recommandation qui est là et nous faisons tout pour la faire respecter. Toute nouvelle construction doit d’abord faire objet d’étude. Parce que quand les gens viennent demander les permis de construire, il y a plusieurs aspects que nous devons regarder.
Lesquels ?
Nous regardons d’abord l’emplacement de la parcelle, certains aspects constructifs, etc. Nous exigeons les dispositifs de gestion des eaux pluviales. Il doit y avoir des réservoirs pour gérer l’eau de pluie. Parce que, parmi les grands défis que nous voyons ici à Bujumbura, cela a trait à l’écoulement des eaux de pluie.
Cependant, des cas de constructions hors normes existent toujours.
Je dois dire qu’il y a quelques cas rares où nous surprenons des gens en cours de construction sans documents exigés qui sont les seuls moyens de contrôler les constructions, les habitations et ainsi pouvoir anticiper certains risques.
Et là, dès que les cas pareils sont renseignés, nous faisons tout pour arrêter le chantier. Je pense que c’est question de sensibilisation. Si l’administration à la base, la population sont sensibilisées, ce serait bien. Parce que personne ne serait tenté de faire ce qui est contre la loi.
Et nous devons nous investir dans cette logique pour ne laisser personne derrière. Car, un seul maillon faible de la chaîne peut faire que la procédure ou la lutte ou le combat que nous sommes en train de mener contre les désastres naturels ne soit pas efficace.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze