Jeudi 21 novembre 2024

Économie

Interview exclusive avec le représentant résident du FMI au Burundi | Samuel Delepierre : « L’objectif, c’est l’augmentation des réserves en devises jusqu’à l’équivalent de trois mois d’importations en 2026-27 »

06/08/2023 Commentaires fermés sur Interview exclusive avec le représentant résident du FMI au Burundi | Samuel Delepierre : « L’objectif, c’est l’augmentation des réserves en devises jusqu’à l’équivalent de trois mois d’importations en 2026-27 »
Interview exclusive avec le représentant résident du FMI au Burundi | Samuel Delepierre : « L’objectif, c’est l’augmentation des réserves en devises jusqu’à l’équivalent de trois mois d’importations en 2026-27 »

Le 17 juillet, le conseil d’administration du FMI a approuvé un accord pour un programme de 38 mois au titre de Facilité Elargie de Crédit (FEC) en faveur du Burundi. D’un montant de 271 millions USD, avec possibilité de décaissement immédiat de 62,6 millions USD. Il vient pour soutenir les réformes économiques du pays. Depuis, plus d’un se demandent si ce premier décaissement a eu lieu, son utilisation et son impact sur la vie des Burundais… Le point avec le représentant résident du FMI au Burundi.

Au regard de la situation socio-économique qui ne cesse de se détériorer, quels sont les grands axes autour desquels le gouvernement doit centrer ses réformes avec l’octroi de cette FEC ?

Effectivement, le contexte économique et social est difficile. La reprise économique post-COVID-19 a été stoppée par l’impact des chocs extérieurs (notamment la guerre en Ukraine et l’augmentation des prix des produits alimentaires importés) et intérieurs (dans le secteur agricole). Le Burundi a enregistré une croissance faible en 2022 (1,8 %) et une accélération de l’inflation, qui a dépassé 30 % en glissement annuel en début d’année. Les déséquilibres extérieurs se sont également aggravés, avec un creusement du déficit du compte courant, une baisse des réserves en devises et l’augmentation de la prime de change sur le marché parallèle. Enfin, la position budgétaire s’est détériorée, avec un déficit public et un ratio de dette publique sur PIB élevés.

Dans ce contexte, un recalibrage des politiques macroéconomique est nécessaire. Le programme du gouvernement soutenu par le FMI comprend quatre grands axes : (1) une consolidation budgétaire de qualité, reposant sur l’augmentation des recettes fiscales et permettant la préservation des dépenses sociales et l’investissement, (2) l’unification des marchés de changes officiel et parallèle, (3) un resserrement de la politique monétaire pour soutenir l’unification amorcée et juguler l’inflation et enfin (4) la mise en œuvre de réformes structurelles et de bonne gouvernance afin de soutenir une croissance à long terme forte, inclusive et porteuse d’emplois.

Est-ce que ces 62,8 millions USD pouvant être immédiatement décaissés, l’ont-t-il déjà été ?

Oui en effet ! Quelques jours après l’approbation du programme par le conseil d’administration du FMI, le décaissement a été effectué.

Aujourd’hui, le Burundi est confronté à plusieurs problèmes, notamment les pénuries récurrentes du carburant, l’inflation, etc. Dans l’immédiat, cette FEC peut-elle contribuer à inverser la tendance ? 

La pénurie de carburant, qui s’est intensifiée au cours des derniers mois, impacte la vie des Burundais et constitue un frein à l’activité économique et à la croissance. En plus du décaissement immédiat de 62,6 millions de dollars au commencement du programme, on peut citer parmi les objectifs du programme soutenu par la Facilité Elargie de Crédit (FEC) : la réduction des déséquilibres extérieurs, avec notamment l’augmentation des réserves en devises jusqu’à l’équivalent au moins de trois mois d’importations en 2026/27. Cela pourra soulager la pression sur la demande de devises pour les importations, y compris pour le carburant. Toutefois, si la pénurie de carburant peut avoir d’autres causes, à l’instar de difficultés logistiques de transport et de stockage notamment, seules des actions à ce niveau-là seront à même de résorber les difficultés d’approvisionnement en carburant du pays.

Quid de l’inflation ?

Elle représente également un défi majeur, à la fois pour les consommateurs et les acteurs économiques. La Banque de la République du Burundi (BRB) a déjà pris un certain nombre de décisions allant dans le bon sens, notamment l’augmentation du taux des réserves obligatoires de 3 % à 5 % en mai de cette année, ainsi que la hausse du taux de refinancement à 10 % début juillet. J’ajoute que dans le cadre du programme, les autorités se sont engagées à poursuivre le resserrement de la politique monétaire et à réduire la monétisation du déficit public (le financement par la BRB). C’est une série d’actions qui contribuera à lutter contre l’inflation. Celle-ci a déjà commencé à reculer en mai et en juin. Nous prévoyons la poursuite de cette baisse. L’objectif c’est d’atteindre une inflation annuelle moyenne à 20 % en 2023, 16 % en 2024 et environ 10 % à moyen terme.

Parmi les grands axes de ce programme figure : la consolidation budgétaire de qualité, reposant sur l’augmentation des recettes fiscales. Pouvons-nous dire que la récente hausse des taxes et impôts, pratiquement sur tous les produits et services est conséquente de cette volonté ?

L’ajustement budgétaire dans le cadre du programme vise effectivement à placer le ratio de la dette publique par rapport au PIB sur une trajectoire descendante à long terme. C’est pour cela que le programme repose sur une augmentation des recettes en 2023/24, permettant au déficit de se contracter significativement tout en protégeant les dépenses prioritaires de développement et sociales. Ainsi, l’ajustement budgétaire se poursuivra à moyen terme, permettant une réduction du déficit à 2,5% du PIB à horizon 2026/27. Est-ce que la récente hausse des taxes et impôts suit cette logique ? Ce qui est sûr, la mobilisation des recettes intérieures en s’appuyant à la fois sur des mesures fiscales et non fiscales et sur des améliorations de l’administration et des recettes, soutiendra les objectifs de ce programme du gouvernement.

Avec la réintroduction du Marché Interbancaire des Devises (MID), la libéralisation et la dé-segmentation des marchés de change afin de faciliter les transactions, font partie des objectifs à atteindre. Selon vous, pourquoi la mayonnaise peine à prendre forme au point que l’opinion accuse la BRB de tâtonnements ?

Il y a plusieurs raisons à cela. La principale étant que le taux de change officiel ne reflète pas encore l’équilibre entre l’offre et la demande de devises. Par ailleurs, l’incertitude quant à l’évolution du taux de change peut entraîner un ralentissement puis l’immobilisation des transactions sur le MID.

Il faut reconnaître que la mise en place du MID au début du mois de mai est un pas dans la bonne direction. Toutefois, je n’en disconviens pas que les transactions sur le MID sont à ce jour très limitées. Ce qui laisse penser que ses participants sont en attente de la poursuite de la réforme, inachevée à ce stade. Idéalement, à terme, les banques commerciales devraient échanger librement sur le MID au taux de marché, des devises issues des recettes d’exportations ou des entrées de capitaux. Je ne désespère pas que ce soit un objectif qui sera atteint.

Sinon, le programme du gouvernement soutenu par le FMI comprend l’unification du taux de change, ce qui signifie :(1) un réalignement du taux de change officiel pour refléter la réalité du marché – avec comme résultat attendu : la suppression de la prime de change sur le marché parallèle, (2) la modification de la formule de calcul du taux de change officiel pour y inclure l’ensemble des transactions de change et ainsi éviter la résurgence du marché de change parallèle et (3) la libéralisation et la dé-segmentation des marchés de change afin de faciliter les transactions et s’assurer de l’apport suffisant de devises sur le marché. A ce niveau, la BRB doit se doter d’une politique d’intervention claire afin de limiter la volatilité sur le marché des changes.

Cette réforme du taux de change ne peut être mise en œuvre d’une façon isolée. Elle doit être accompagnée en parallèle d’un ajustement de la politique budgétaire et d’un resserrement de la politique monétaire afin de rééquilibrer l’économie, assurer in fine un cadre macroéconomique stable.

Depuis quelques jours, suite à la pression fiscale, bon nombre d’hommes d’affaires commencent à délocaliser leurs activités. Quelles sont les réformes à mettre en œuvre pour juguler cette tendance ?

Si la faible croissance économique des dernières années peut s’expliquer par la série de chocs ayant touché le Burundi, la croissance potentielle (c’est-à-dire la croissance de long terme à pleine utilisation des facteurs de production capital et travail, et prenant en compte la productivité globale des facteurs) reste entravée par la quantité et la qualité des infrastructures ainsi que par le niveau insuffisant du capital humain. Pour atteindre une croissance forte, durable et inclusive, le Burundi ne peut pas se passer d’investissements dans ces domaines (énergie, transports, éducation santé). Ce sont des impératifs.

Le secteur privé est l’autre élément indispensable de l’équation. Et celui-ci a besoin d’une situation économique et financière stable, d’un accès aux devises pour financer les importations nécessaires à la production, d’un cadre de gouvernance de qualité et plus généralement un environnement des affaires qui facilite les investissements.  Concernant la pression fiscale, il est en effet essentiel que l’ajustement budgétaire, qui est nécessaire, repose notamment sur l’élargissement de l’assiette fiscale, en amenant dans le secteur formel les activités qui sont à ce jour dans le secteur informel et ne contribuent pas aux recettes budgétaires. Ce, tout en accélérant la modernisation de l’Office Burundais des Recettes (OBR), notamment à travers son informatisation.

Que faire contre la corruption, la mauvaise gouvernance, l’opacité dans l’attribution des marchés publics, etc. ?

Le FMI n’a pas encore procédé à une évaluation approfondie de la gouvernance au Burundi. Ceci pour vous dire que je ne suis pas en mesure de m’exprimer par rapport à ce sujet. Toutefois, je peux vous dire que le FMI s’est doté en 2018 d’un cadre d’action renforcé en matière de gouvernance.

Plus spécifiquement, dans le cadre du programme du gouvernement du Burundi soutenu par le FMI, l’accent sera mis sur la bonne gouvernance et notamment sur l’amélioration de la gestion des finances publiques. A ce titre, il faut savoir que le gouvernement s’est engagé à effectuer et publier en 2024 un diagnostic de la gouvernance. Ce travail permettra d’identifier les points faibles et les priorités à suivre. J’en profite pour souligner que le FMI, ainsi que les autres partenaires au développement du Burundi, fournissent déjà une assistance technique continue. Ce, à travers des missions régulières et des experts basés dans le pays, notamment dans les domaines (1) du cadrage économique et budgétaire, (2) de la préparation et l’exécution budgétaire, (3) de la gestion de la trésorerie et de la dette, (4) du rapportage, etc. Pour complément d’information, il faut savoir que durant la consultation au titre de l’Article IV 2022, le rapport annuel du FMI sur la situation économique au Burundi a été publié dans une étude sur le cadre budgétaire et de gouvernance au Burundi, détaillant le cadre de passation des marchés publics.

FMI

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