Vendredi 22 novembre 2024

Environnement

Interview exclusive avec le Pr Salvator Kaboneka :« Les fossés antiérosifs ne sont pas à généraliser »

25/11/2021 7
Interview exclusive avec le Pr Salvator Kaboneka :« Les fossés antiérosifs ne sont pas à généraliser »

Différentes techniques de lutte antiérosives se développent au Burundi. Néanmoins, elles ne sont pas sans impact négatif sur les sols. L’agronome Salvator Kaboneka fait le point.

Qu’est-ce que l’érosion hydrique ?

L’érosion hydrique commence avec la chute des gouttes de pluie sur un sol sans couvert végétal suffisant, causant la destruction des mottes de terre et le déplacement par ruissellement des particules les plus fines. Cette eau chargée (boueuse) dégouline en bas de pente en creusant au passage des canaux. S’il n’y a pas de correction, chaque pluie subséquente enlève des quantités de sol jusqu’à aboutir à un sol totalement nu, qui, à la longue, se réduit à la roche apparente. L’érosion hydrique se passe lorsque le sol ne peut pas emmagasiner ou infiltrer les eaux de pluie, lorsque l’intensité des pluies est supérieure aux capacités de rétention et d’infiltration du sol.

Sa vitesse et son ampleur sont sous le contrôle d’une série de facteurs : l’agressivité climatique liée à l’intensité des pluies, la nature du sol en termes de composition granulométrique (proportion du sable, du limon et de l’argile), les contenus en matière organique, la longueur de pente et son intensité, la couverture du sol et les pratiques culturales et antiérosives.

Combien de types d’érosion peut-on avoir ?

Ils existent trois grands types : l’érosion hydrique en nappe, l’érosion linéaire en rigoles et en ravins et l’érosion catastrophique constituée de glissements de terrain et d’éboulements.

Comment peut-on les distinguer ?

L’érosion hydrique en nappe, uniforme, diffuse et insidieuse consiste en un décapage lent et progressif et une squelettisation des couches supérieures et productives du sol.

A la longue, apparaissent des plages claires et remontées de cailloux. L’érosion hydrique en nappe des parcelles cultivées emporte sélectivement la matière organique et les minéraux argileux du sol, qui sont sources de sa fertilité physique, chimique et biologique.

L’érosion linéaire en rigoles (canaux de moins de 20 cm de profondeur), apparaît par suite de la concentration des eaux de ruissellement dans des zones de rupture de pente. Ces rigoles peuvent être comblées à chaque passage des travaux agricoles comme le labour et le sarclage.

Quant à l’érosion catastrophique, elle consiste en mouvements de masse, en décollement d’une couche épaisse de sol glissant sur un sol compact, emportant en aval plusieurs horizons de sol jusqu’à la roche mère. Ce type est souvent observé dans le Mumirwa et débouche à des destructions de maisons, d’exploitations et des routes.

Qu’en est-il des conséquences ?

Les sédiments issus de l’érosion hydrique par ruissellement constituent la partie du sol la plus riche en matière organique et en éléments nutritifs. Ainsi leur perte aboutit à la perte de surface cultivable, aux pertes physiques et chimiques du sol et à sa productivité.

Pas d’impacts sur nos lacs et rivières ?

La sédimentation consécutive à l’érosion est la cause principale de la pollution des eaux. Elle est à la base de l’augmentation des débits de pointe des rivières, des risques d’inondation et d’envasement des ports. C’est une menace pour les infrastructures économiques. La conséquence la plus dramatique à long terme est l’intensité et la vitesse des pertes en terres agricoles.

Concrètement ?

Les pédologues s’accordent à dire que dans les zones tropicales 1 cm de sol est formé pendant 60 ans en moyenne. Ce qui signifie qu’un sol de 15 cm serait formé pendant 900 ans. Ils affirment aussi qu’un sol de 15 cm aurait en moyenne une masse de 2.000 tonnes /ha.

Les études sur l’érosion menées dans le Mumirwa (Isale) par l’ISABU dans les années 1990 ont souvent enregistré des pertes en terre de 100 à 200 tonnes /ha/an. Un calcul rapide indique que dans cette situation, toute la terre arable de 15 cm de profondeur, accumulée pendant 900 ans, est perdue pendant 10 à 20 ans.

Quel est le meilleur moyen pour lutter contre l’érosion hydrique ?

Le moyen le plus efficace et durable est de réduire l’impact des gouttes de pluie sur le sol et favoriser l’infiltration pour limiter le ruissellement. Sinon, les techniques qui réduisent l’agent érosif (eau) et/ou modifient sa trajectoire sont nombreuses.

Lesquelles ?

Je signale d’abord que plusieurs d’entre elles ont été testées ou font l’objet d’expérimentations au Burundi. Soit par l’ISABU dans le Mumirwa Central (Isale) ou au Moso (Bukemba), soit par l’Institut de Recherche Agronomique et Zootechnique (IRAZ) à Mashitsi (Gitega), soit par l’Université du Burundi à Gashikanwa (Ngozi) et Matongo (Kayanza).

Ces techniques appartiennent à trois grands groupes : les techniques biologiques basées sur la matière organique vivante ou morte (paillis), les techniques physiques du domaine du génie rural et les techniques combinant les deux.
Les méthodes biologiques sont fondées sur la couverture totale ou partielle du sol. Elles comprennent les cultures associées, le paillage (caféier, bananier, ananas, tomate, aubergine) et les bandes mixtes (herbacées et arbustives). De ces méthodes biologiques, les bandes mixtes (associant les herbacées et arbustives) sont les plus vulgarisées au Burundi.

Pourquoi ?
Parce qu’elles réduisent les pertes en terre à 1 tonne /ha/an, de loin inférieures au seuil de tolérance de 12,7 tonnes/ha/an avancé par la FAO, tout en fournissant aux ménages des productions supplémentaires (fourrage, tuteurs, menu bois de feu, fruits).

Les haies mixtes conduisent à une réduction significative de la pente et de sa longueur par formation des terrasses progressives (accumulation de sédiments).

Il y a aussi les fossés antiérosifs et les terrasses radicales. Ce sont des techniques physiques qui jouent le rôle de barrière à l’érosion (au niveau de la phase de transport) et favorisent l’infiltration. Les fossés antiérosifs sont aussi largement pratiqués au Burundi. Mais, des études menées par l’ISABU révèlent qu’avec cette pratique des pertes en terre restent élevées jusqu’à 100 tonnes /ha/an.

Ces fossés ne sont donc pas à généraliser ?

Oui, car ils sont caractérisés par des coûts d’installation et d’entretien élevés et sans avantages immédiats de production pour l’agriculteur.

Comment opter pour la technique de contrôle de l’érosion hydrique la plus efficiente ?

Il y a quatre critères à considérer : l’efficacité prouvée contre l’érosion ; l’augmentation de la productivité et diversification des productions ; la durabilité et la faisabilité et la reproductivité facile de la technologie.

L’érosion hydrique en nappe, facteur dans l’acidification du sol ?

Oui, elle est l’une des causes d’acidification des sols au Burundi. La lutte contre l’érosion hydrique en nappe devrait être comprise comme une « stratégie préventive » de lutte contre l’acidification des sols, sûrement moins onéreuse que la « stratégie curative » de correction d’acidité à travers les apports d’amendements chimiques (chaulage).

Peut-on envisager une reconversion productive des fossés antiérosifs ?

Rappelons d’abord que cette technique largement vulgarisée aujourd’hui date des années 1935-1940. Elle est souvent dénommée la méthode « Tondeur », du nom de l’agronome belge qui était en charge du programme de lutte antiérosive.
Ne serait-il pas intéressant de planter du bananier, du prunier du Japon ou du Grevillea (avec Maracoudja) dans les fossés antiérosifs installés dans les parcelles paysannes ? Ne serait-il pas aussi alléchant de planter du Grevillea, de l’Eucalyptus ou de l’Acacia dans les fossés antiérosifs installés dans les pâturages ?

Faire d’une pierre deux coups ?

Exactement. Les pâturages seraient transformés en paddocks par ces plantations d’alignement, une adaptation et un accompagnement à la politique de stabulation. Bref, une reconversion productive des fossés antiérosifs est possible.
Cette adaptation des fossés antiérosifs n’enlève en rien leur capacité d’infiltration des eaux de ruissellement. Au contraire, les arbres plantés augmentent la capacité et la profondeur d’infiltration du sol par leurs racines, qui constituent des voies préférentielles d’écoulement de l’eau en profondeur.

Quelles sont les autres techniques que vous proposeriez ?

Ce sont des pratiques groupées sous le concept d’agriculture de conservation. Y figurent l’agroforesterie, les cultures associées, les cultures paillées et les cultures intercalaires/alternées. L’agriculture de conservation vise la conservation, l’amélioration et l’augmentation de l’efficience des ressources naturelles, à travers une gestion intégrée du sol, de l’eau et des ressources biologiques combinées à des inputs externes. C’est cela qui la différencie de l’agriculture biologique.

Cette technique existe-elle au Burundi ?

Elle est encore embryonnaire. Elle contribue à la conservation de l’environnement et en même temps à une production agricole durable. Elle repose sur trois piliers : le maintien d’une couverture végétale semi-permanente ou permanente vivante ou morte, le labour minimal et le semis direct et la pratique de la rotation et des associations des cultures.

Que pensez-vous de la technique des « terrasses radicales » ?

Les terrasses radicales ne font pas partie des techniques antiérosives aujourd’hui recommandées. Elles sont formées d’un talus sub-vertical renforcé par des pierres ou par des herbes et d’une terrasse en pente douce inversée avec possibilité d’irrigation et de drainage de la pente en long. Certains associent à cette technique un certain nombre d’avantages.

Lesquels ?

Ils soutiennent qu’elles permettent de créer des zones planes dans des sites montagneux, supprimer l’érosion en nappe, valoriser les terres sur fortes pentes et d’augmenter l’eau disponible pour les plantes.

Est-ce vrai ?

Les opposants à la technique avancent que leur aménagement exige des coûts élevés (jusqu’à 1500 HJ/ha, équivalant à 4.500.000 BIF/ha) et réduit de 50 % la surface cultivable. Sans oublier les risques élevés de glissement de terrain, la forme d’érosion spectaculaire fréquente dans la région naturelle du Mumirwa, qui surplombe la plaine de l’Imbo.
L’installation des terrasses radicales requiert un haut niveau de technicité, perturbe les meilleurs horizons des sols et leur biologie, conduisant à la baisse de la fertilité des sols les 3 à 5 premières années.
Leur valorisation agronomique exige d’importants investissements en fertilisants organiques et minéraux et en amendements.

Elles ne sont donc pas appropriées au Burundi ?

Exactement. Leur évaluation technique et économique a montré qu’elles sont coûteuses à mettre en place et peuvent avoir des effets catastrophiques, surtout sur des terrains à fortes pentes et des sols peu profonds. Les terrasses radicales ont fait l’objet d’expérimentations au Burundi par les services du génie rural. Des échantillons de telles structures existent sur certains sites de Kayanza, Gitega, Karuzi et Rutana. Au Burundi, elles n’ont pas encore dépassé ce stade démonstratif.

Forum des lecteurs d'Iwacu

7 réactions
  1. Kibinakanwa

    Du temps de la colonisation.
    le Burundi était quadrille par des fossés anti érosifs sur toutes les collines.
    Tous les champs étaient protégés par des haies anti érosive plantées de penisetum.
    Le Burundi ne comptait que 1 700 000 habitants.
    Maintenant la population est de presque 12 000 000.
    Un seul exemple vous montrera le désastre.
    Regardez les contreforts de la Capitale.
    Promenez vous à l’intérieur du pays.
    Nous nous dirigeons droit au désastre.
    Le pays n’a pas besoin de milliards pour appliquer des mesures de conservation de sols.

  2. Bellum

    L’eminent professeur a raison sur le grevillea (igereveriyo en kirundi) une plante vertueuse pour les champs mais se trompe sur l’eucalyptus (ikaratusi) qui est une richesse economique mais une catastrophe ecologique car il pompe toute l’eau.

  3. Ndambi

    Excellent , monsieur Kaboneka

  4. SAKUBU

    C,est même clair et compréhensible pour quelqu’un qui n’est pas du domaine.
    Un bon développement qui vaut la peine

  5. Jereve

    Je viens de Mumirwa (paradoxalement les gens de là-bas on les surnomme « ababo » alors qu’ils ne sont pas dans l’Imbo). Je me rappelle qu’ils disaient: amabuye arakura (textuellement les pierres croissent ou grandissent en taille). A-t-on jamais vu des matières minérales qui augmentent naturellement de taille? Ils voulaient de façon imagée parler de l’érosion: chaque fois qu’il pleut, les ruissèlements raclent les sols par petites couches, laissant progressivement apparaître des gros cailloux. Ici on peut aussi dire « isi yarameze amenyo » et quand on a affaire à la terre qui montre ses dents, il n’y a rien à espérer que la famine et la souffrance. Il nous faut suivre avec beaucoup d’attention ce que Pr Kaboneka et les connaisseurs nous disent. La vie de nos familles et des générations futures en dépendent.

  6. Bavuga Jean

    « Un calcul rapide indique que dans cette situation, toute la terre arable de 15 cm de profondeur, accumulée pendant 900 ans, est perdue pendant 10 à 20 ans. » information très importante que si rien n’est faiten plus de la pression démographique le Burundi risque une crise profonde et /ou mème de disparaître. Quelles solutions ,j’ai noté une très globale proposée par l’expert professeur Kaboneka Salvator( que je loue en passant pour son analyse ,la bonne pédagogie et une vulgarisation pour les non initiés):  » planter du bananier, du prunier du Japon ou du Grevillea (avec Maracoudja) dans les fossés antiérosifs installés dans les parcelles paysannes ……
    Faire d’une pierre deux coups ?

    Les pâturages seraient transformés en paddocks par ces plantations d’alignement, une adaptation et un accompagnement à la politique de stabulation. Bref, une reconversion productive des fossés antiérosifs. Des solutions existent et permettent de répondre à plusieurs impératifs. Merci au journal IWACU pour cet article combien enrichissant, nous avons beaucoup d’experts ,il faut les valoriser. La balle est dans le cas des autorités concernées ,ntibazovuge ngo ntavyo bari bazi. Merci professeur Kaboneka pour votre analyse synthétique et instructive.

  7. Ndimanya

    Pourquoi pas dire clairement que c’est à bannir. Le sol est un milieu vivant, comme notre corps, on doit le ménager surtout en évitant de le blesser aussi profondément qu’on l’observe. Il y d’autres alternatives comme tu l’illustre bien et félicitations rentable écologiquement et économiquement

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