Mardi 05 novembre 2024

Politique

Interview exclusive avec le Pr Julien Nimubona :«Nous sommes dans le flou»

18/06/2018 Commentaires fermés sur Interview exclusive avec le Pr Julien Nimubona :«Nous sommes dans le flou»
Interview exclusive avec le Pr Julien Nimubona :«Nous sommes dans le flou»

Le président de la République Pierre Nkurunziza a promulgué la nouvelle Constitution, le 7 juin, à Gitega. A cette occasion, il a annoncé que les institutions élues en 2015 et régies par la Constitution de 2005 restent en place jusqu’en 2020. Eclairage du politologue Julien Nimubona.

Avec deux Constitutions en vigueur au Burundi n’y a-t-il pas risque de chevauchement ?

Absolument. C’est tout le problème de cette nouvelle Constitution qui devrait être mise en application. On sait que c’est une loi fondamentale qui doit inspirer et donner corps et esprit à toutes les autres lois. Donc cela suppose qu’avec sa promulgation, d’autres lois assez importantes, y compris les lois organiques, doivent être conçues et adoptées. Il en est de même des textes réglementaires, des décrets, des ordonnances. Néanmoins, le chevauchement des deux textes et la non application de la nouvelle loi bloque l’élaboration et la mise en place de cette nouvelle législation.

C’est vrai que l’article 288 avait prévu que les institutions élues restent en place jusqu’aux nouvelles élections. Et que l’article 289 stipule que les dispositions réglementaires contraires à la nouvelle loi devraient être abrogées. Mais il y a des doutes. Ce qui justifie d’ailleurs le discours de Bugendana que les institutions ne vont pas changer.

Concrètement ?

La Constitution est une loi qui insiste sur les pouvoirs fondamentaux de l’Etat à savoir l’exécutif, le législatif, le judiciaire et d’autres corps. Comment ne pas mettre en place un nouvel exécutif dès lors qu’il y a une nouvelle Constitution ? Sinon, comment mettre en place de nouveaux dispositifs sachant que les textes légaux et réglementaires sont l’émanation de l’exécutif avant d’être adoptés par le Parlement.

Selon la nouvelle Constitution, il y aura un seul vice-président avec un pouvoir dérisoire voire symbolique.
Paradoxalement, nous avons encore deux vice-présidents avec un rôle de coordination des ministères.

En outre, le Parlement de 2015 travaille sur base de l’’’ancienne’’ Constitution. On a entendu qu’il va s’adapter à la nouvelle, ne fût-ce qu’à l’organisation des sessions. Est-ce qu’on ira jusqu’ au bout en modifiant son mode de fonctionnement, notamment les majorités exigées par celle de 2005 et modifiées par la nouvelle au niveau des lois organiques ? Tout cela cause le désordre. Bref, à partir du 7 juin, nous sommes dans le flou.

Y’a-t-il risque de paralysie ?

Pour l’instant, ils ont appliqué l’article 290. Les règles compatibles avec les deux textes peuvent fonctionner. Selon le président de l’Assemblée nationale, les sessions vont dorénavant se conformer à la Constitution révisée.

Sur ce, je m’interroge sur le mode de vote des lois internes. Va-t-on rester sur les majorités exigées par celle de 2005 ou utiliser celles requises par la nouvelle ? Ce sont des directives qui doivent être tranchées par la Cour constitutionnelle.

S’il advenait que le président de la République remanie son gouvernement, qu’en serait-il du respect des deux Constitutions ?

Il peut toujours sortir du cadre de celle de 2005 en nommant un nouveau gouvernement. Mais la question devient politique. L’article 280 semble affirmer que le président de la République peut mettre en place de nouvelles institutions. En même temps, il y a un autre paragraphe indiquant qu’elles doivent rester jusqu’en 2020. En se basant sur le discours de Bugendana, il s’abstient à nommer un nouveau gouvernement.

S’il le fait, la coalition Amizero y’Abarundi est automatiquement exclue. Or comment est-ce que le Cndd-Fdd va faire voter des lois ? On n’a pas le droit de faire sortir les députés d’Amizero. Si on les renvoie, même ceux du parti au pouvoir sautent aussi.

Mais la nouvelle Constitution ne reconnaît pas les coalitions ?

Avant d’être ceux de la coalition, ils sont au départ des indépendants. Or, ces derniers sont reconnus par celle-ci. D’où ils peuvent revendiquer le droit d’être des indépendants. Ce qui fait désordre dans l’analyse constitutionnaliste ou politologique est comment utiliser le même Parlement pour des règles de fonctionnement différentes. Ce qui signifie qu’il y aura d’abord une dissolution. Dans ce cas, le chef d’Etat convoquerait des élections anticipées. Chose qu’il ne veut pas évidement faire.

Pourquoi ?

Cela devient encore une question de politique majeure. Comment peut-on écourter le mandat des députés de la majorité qui auraient pris des engagements financiers sur cinq ans. Ce serait créer une crise au sein de son propre parti.

Quel état d’esprit a prévalu à l’élaboration de la nouvelle Constitution ?

Les constituants reçoivent des injonctions politiques. Les partis dominant la scène politique tendent à faire une commande sur mesure aux commissions chargées de l’élaboration de la Constitution. Ces dernières sont plus politiques que techniques. Elles viennent résoudre les problèmes politiques des gens. Et cela a de graves conséquences sur l’avenir du pays. En l’occurrence, la cohabitation d’un chef de l’Etat avec un mandat de 7 ans et un Parlement avec un mandat de 5 ans s’avèrera difficile. En Afrique, nous n’avons pas une culture démocratique bien ancrée. Le parti au pouvoir pense qu’il sera toujours là. L’idée qu’une opposition gagne les élections ne lui effleure pas l’esprit.

Quelle lecture faites-vous de cette promulgation?

Sincèrement, je n’ai pas compris pourquoi c’est venu aussi tôt. On aurait pu faire cette promulgation en 2019. Les gens n’auraient pas pu poser trop de questions. Lorsqu’on fait une telle opération, on s’attend immédiatement à la mise en place de nouvelles institutions. Ainsi, on voit que le texte promulgué traduit une certitude propre au système politique africain. Là où on organise des élections pour les gagner. Bref, le chef de l’Etat et son parti ont un agenda plus politique que constitutionnel.

Dans un autre angle, on peut voir dans cette promulgation une stratégie du chef de l’Etat pour rebondir politiquement et voir les choses venir. Sinon, quand une Constitution est promulguée, elle doit être appliquée.

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