Aimée Laurentine Kanyana, ministre de la Justice, nous livre ses éclairages sur les lamentations des justiciables liées à la campagne d’exécution des décisions judiciaires et sur d’autres questions, notamment certaines réformes du pouvoir judiciaire contenues dans la nouvelle Constitution.
Combien de dossiers comptez-vous exécuter ? Et pendant combien de temps ?
Nous avons commencé une campagne de descentes sur terrain pour constat d’exécution des dossiers judiciaires. C’est une campagne qui va durer six mois. Nous avons au moins deux mille dossiers. Il y en a qui seront concernés par l’exécution des dossiers judiciaires coulés en force de chose jugée. Il y en d’autres dont il sera question de descentes sur terrain pour constater les faits rapportés par les judiciables. Il y aura aussi des descentes sur terrain pour vérification des mesures d’exécution qui ont été réalisées et dont les parties n’ont pas été satisfaites.
Certains judiciables se lamentent comme quoi certains magistrats leur demandent des frais de déplacement. Qu’en dites-vous ?
Aucun magistrat n’est autorisé à demander des frais de déplacement. Tous les frais nécessaires ont été mis à leur disposition. Il n’y a aucune raison que ce soit le justiciable qui supporte cette charge. Par ailleurs, même en dehors de cette campagne, les juridictions sont organisées de telle façon que le justiciable ne soit pas obligé de payer quoi que ce soit. L’Etat a disponibilisé tous les moyens nécessaires.
Des cas de rébellion contre l’exécution des jugements surtout en matière foncière. Comment expliquez-vous cette attitude ?
C’est une attitude tout à fait normale. Il y a des gens qui peuvent manifester des comportements inacceptables. Des gens qui cherchent à faire des recours interminables. Ainsi, quand il s’agit de l’exécution, ils se rebellent contre la décision.
Quelles sont les mesures prises pour juguler cette pratique ?
Nous essayons d’y remédier en écoutant les parties. Si l’une ou l’autre partie ne veut pas accepter la décision judiciaire ou l’arrangement à l’amiable qui a été fait, le parquet prend ses responsabilités pour la mettre hors d’état de nuire.
Il s’observe souvent des disparitions de dossiers au niveau des greffes. Comment y remédier ?
Cela ne devrait pas arriver étant donné qu’il y a, au niveau des greffes, un système de classement qui permet de trouver chaque dossier. Dans la plupart des cas, on a constaté que la disparition des dossiers est liée à la corruption. Il y a des greffiers qui sont corrompus, qui font disparaître des dossiers pour le compte de celui qui a perdu le procès.
Quand nous constatons un tel comportement, nous punissons sévèrement les coupables. Nous interpellons les greffiers pour qu’ils s’expliquent. Et nous pensons que cette stratégie sera efficace.
Une lenteur dans le traitement des dossiers judiciaires. Y- a-t- il insuffisance de magistrats ?
Jusqu’à présent, nous avons un personnel suffisant. Mais pour qu’un dossier puisse avancer, il y a plusieurs facteurs. Il y a les justiciables eux-mêmes qui peuvent faire que le dossier n’avance pas. Il y a aussi la lenteur des services judiciaires. Nous faisons des réunions de sensibilisation à l’endroit des magistrats pour qu’ils soient conscients que le dossier d’un prévenu, qu’il soit libre ou détenu, doit être traité avec célérité.
Malheureusement, il y a des magistrats qui n’ont pas ce souci. Il y a, enfin, le problème de complexité d’un dossier. Il y a des dossiers où on doit trouver des éléments à charge et à décharge. Au lieu de bâcler ce dossier, le magistrat doit prendre son temps pour rendre une décision de qualité.
Des magistrats arrêtés et emprisonnés. De quoi sont-ils accusés?
Le magistrat est supposé être l’homme le plus honnête qui puisse exister afin que les justiciables puissent avoir confiance en lui. Huit magistrats incarcérés en un seul mois, c’est catastrophique. Pour nous, il faut punir sévèrement tout magistrat coupable d’un comportement qui dénote une certaine corruption, tout comportement qui ne permet pas l’épanouissement de la justice pour tous. Tous ceux qui ont été arrêtés au mois de mai sont accusés de corruption.
L’article 226 prévoit un conseil supérieur des parquets. Quelle sera sa valeur ajoutée ?
Des justiciables se lamentent comme quoi le ministère public et le juge sont régis par un même statut. Il n’y a pas vraiment de séparation tranchée entre le magistrat qui est chargé des poursuites et le juge qui analyse les dossiers lui soumis par le ministère public.
Nous voulons que la magistrature debout puisse faire correctement son travail sous les ordres de l’exécutif et soumettre les dossiers au juge indépendant qui va trancher sans qu’il ait des relations très serrées. La magistrature assise sera gérée par un conseil à part. Il pourra aussi être efficace dans le suivi du comportement des magistrats assis pour que ceux-ci puissent avoir la pleine indépendance.
L’article 2013 prévoit des quotas ethniques, 60% pour les Hutu et 40% pour les Tutsi. Peut-on dire que le pouvoir judiciaire est politisé ?
Ce n’est pas une politisation du pouvoir judiciaire. L’Accord d’Arusha prévoit ces proportions dans les institutions. Je crois que cela est aussi important au ministère de la Justice parce que la proportion a été faite en fonction des composantes de la population burundaise. C’est pour que la population puisse avoir pleinement confiance dans ces institutions.
L’article 50, 52, de la nouvelle Constitution dispose qu’ « aucun Burundais ne peut être extradé ».
C’est pour renforcer la justice burundaise car elle est aussi capable de punir les coupables des différentes infractions. Mais cela ne signifie pas qu’un Burundais qui a commis une infraction dans un autre pays ne sera pas puni. Si un Burundais se rend coupable d’une infraction à l’extérieur du pays et si ce dernier fournit des éléments à charge, les juridictions burundaises sont capables de faire des enquêtes et de rendre une décision judiciaire qui permet de punir le coupable.
Concernant les présumés putschistes du 13 mai 2015 faisant l’objet de mandats d’arrêt, ne craignez-vous pas une réciprocité diplomatique ?
L’extradition dont on parle, c’est quand un Burundais doit être transféré dans un autre pays pour y être jugé. Mais quand il s’agit d’un Burundais qui est à l’extérieur, nous demandons à ce qu’il soit transféré pour qu’il soit jugé par les juridictions burundaises. Il n’y a aucun problème quant à la coopération judiciaire.