Dimanche 22 décembre 2024

Environnement

Interview exclusive  avec Jean Marie Sabushimike :« N’attendez pas les pertes en vies humaines, délocalisez ces gens le plus tôt possible ! »

29/04/2024 1
Interview exclusive  avec Jean Marie Sabushimike :« N’attendez pas les pertes en vies humaines, délocalisez ces gens le plus tôt possible ! »
Jean Marie Sabushimike, géomorphologue

A Muhuta, un glissement de terrain a fait un mort, des milliers de déplacés, des centaines de maisons et champs agricoles détruits. Des éboulements rendent aussi souvent des routes impraticables. Jean-Marie Sabushimike, géomorphologue, explique les causes de ces glissements. Il donne aussi son commentaire sur la gestion des catastrophes naturelles qui s’observent actuellement au Burundi dont les inondations.

Sur la colline Gabaniro, commune Muhuta, province de Rumonge, un mouvement de terrain a occasionné d’importants dégâts dont une personne morte, 2 485 déplacés et bien d’autres dommages. Que peuvent-être les causes d’un tel glissement ? 

Les causes peuvent être classées en deux groupes de facteurs. D’abord,  il y a ce que nous appelons  prédispositions naturelles. C’est-à-dire que chaque fois dans ce genre de situation, il faut tenir compte de l’environnement géologique sur place.

Quel est alors l’environnement géologique sur ce site ?

Nous avons constaté sur la carte géologique que ces glissements se sont produits sur un terrain où la roche en place est constituée par des granites qui se sont altérées jusqu’à des profondeurs assez considérables variant entre 50 et 80 m.

Là, la première chose qu’il faut reconnaître c’est que ces mouvements de terrain  se sont produits sur un terrain géologiquement prédisposé. Deuxième chose, il faut considérer que nous sommes dans la zone du rift occidental africain. Les roches en place, en se soulevant, elles se sont fracturées depuis l’échelle du terrain jusqu’à l’échelle du minéral. Ce qui facilite davantage l’altération sur place. Et j’ai toujours attiré l’attention sur ce comportement géologique, c’est-à-dire que la fracturation de la roche a occasionné ce qu’on appelle altération diaclassique.

C’est-à-dire ?

Cela signifie que l’on observe d’immenses boules de granites, qu’on appelle aussi boules émoussées, parfaitement bien arrondies. Et dans ces sols des Mirwa, précisément dans la partie qui surplombe Bujumbura et le lac Tanganyika, généralement vous y trouverez ces grosses boules enterrées dans le sol. Elles constituent de véritables bombes une fois que les mouvements de terrain se déclenchent. Ce qui s’est passé à Gabaniro, les conditions géologiques s’y prêtent bien.

Il faut ajouter le deuxième facteur géomorphologique très important, à savoir la pente sur place. Quand on regarde la topographie, c’est ce qu’on appelle seuil topographique capable de déclencher effectivement ce genre de mouvement de terrain.

Il existe aussi le facteur naturel qui est d’ailleurs le plus grave : le seuil pluviométrique.

Comment ?

Ces fortes pluies qui s’abattent sur les hautes terres des Mirwa, elles ont l’occasion de s’infiltrer. C’est vrai. Nous disons souvent qu’elles ruissellent. Mais, finalement, elles arrivent à pénétrer dans le sol surtout quand elles s’infiltrent dans une discontinuité structurale du sol. C’est là où commence la rupture d’équilibre du sol avec deux forces en présence : la force de stabilité du bassin dépassée finalement par la force de cisaillement (c’est une force interne à tout matériau qui tend à faire glisser l’une sur l’autre les deux parties de la pièce). Ainsi, se déclenche les mouvements de terrain.  Ce que j’exprime comme géomorphologue, ce n’est pas une faille comme telle.

Pourquoi contestez-vous cela ?

Parce que la faille est une cassure brutale avec une expression de compartiments, un compartiment qui s’affaisse et un autre qui se soulève. Où de toute façon, on doit avoir un matériel dur. Il est vrai que ce terrain se trouve sur des anciennes failles qui ont été provoquées par la tectonique du rift occidental africain mais ce ne sont pas des failles qui ont provoqué ce glissement. Ce sont des fissures consécutives justement à cette instabilité des versants qui se sont déclenchées à la suite de ces prédispositions géologiques et topographiques avec cette fois-ci un facteur déclenchant, le changement climatique traduit par de fortes pluies.

N’allez pas chercher mille voies pour comprendre comment ces glissements de terrain se sont déclenchés.

Même si vous rejetez cela, certaines informations disent qu’il pourra y avoir une faille qui ferait qu’une partie de l’Afrique de l’Est se détache du reste du continent. Votre commentaire.

J’entends effectivement des gens qui disent c’est la faille qui part depuis tel endroit ; qu’on risque d’avoir un océan qui remplacerait le lac Tanganyika. C’est parce qu’ils ne savent pas ce que c’est la tectonique des plaques.

Ce n’est pas demain qu’on va se retrouver avec une mer intérieure, je le souligne bien. Les chercheurs Chrnosky (français) et Kampuzu (congolais) qui ont annoncé la rupture potentielle de cette zone, ils le prévoyaient sur une période de 15 millions d’années. Il ne faut pas que les gens soient trop inquiétés comme quoi il s’agit d’une très grande fissure qui va provoquer une déstabilisation grave de la sous-région. Ne confondez pas ces simples fissurations du sol avec des fractures régionales.

Revenons à Gabaniro. Y’a-t-il une part de responsabilité de l’Homme dans ce qui s’y est passé ?

Bien sûr. Nous disons qu’à côté de ces facteurs physiques, géologiques, géomorphologiques, il y a bien entendu le rôle de l’Homme. L’Homme qui, avec la pression démographique, a entraîné des dégradations environnementales en détruisant complétement le couvert végétal. Et d’ailleurs, la loi géomorphologique indique que là où se trouve une forêt, une fois qu’elle est détruite par l’Homme, généralement, en saison pluvieuse, ces mouvements de terrain se généralisent.

C’est pour cela que j’aime bien dire que les paysages des Mirwa sont ravinés. Et ces ravinements aussi denses expliquent ce qu’on appelle paysages en dissections très serrées. Ces ravins sont aujourd’hui considérés sur le plan géomorphologique comme un des facteurs de déclenchement de ces glissements. En regardant, pour un œil averti, partout dans ces Mirwa, il y a eu des glissements de terrain. C’est pour cela que vous avez des vallées et des ravins totalement encaissés. Ce qu’on appelle vallées ou ravins en V. Ils se dessinent en lettre V. C’est pour cela que la géomorphologie occupe une place très importante dans l’explication de la dynamique des  paysages des Mirwa.

Quel est votre clin d’œil aux décideurs et à ceux qui habitent dans ces zones-là ?

Il n’y a pas longtemps, j’ai visité les collines qui surplombent la ville de Bujumbura. Personnellement, j’ai été à Mugoboka I & II. Les gens commencent à détruire eux-mêmes leurs maisons en enlevant les toits et les fenêtres. Car, ces glissements de terrain font peur. Les habitants se délocalisent d’eux-mêmes sans qu’on leur recommande de vider les lieux. Ils abandonnent leurs propriétés pour chercher refuge ailleurs.

Ce que je conseillerais encore une fois, c’est de revenir sur ce que j’ai annoncé en 2013.

Concrètement, qu’est-ce que vous aviez proposé ?

C’était lors d’une conférence commanditée par le ministère des Travaux publics d’alors qui avait remarqué qu’il fallait créer un comité national pour surveiller la dynamique des rivières et des ravins des Mirwa. Parce qu’on avait constaté que Bujumbura pouvait être isolé à la suite effectivement de la dynamique de ces rivières et de ces ravins. C’était je pense principalement la cause. Ce projet a existé. Il faut y revenir. Pourquoi on l’a abandonné ?

Dans mes précédents exposés, j’ai évoqué pourquoi ne pas créer des comités des riverains de ces rivières et ravins pour sensibiliser les populations, à commencer par les pouvoirs publics et les décideurs politiques. Nous sommes dans un contexte de changement climatique. Le pire peut arriver encore.

Pourquoi lorsque nous parlons de la vulnérabilité extrême des Mirwa, ces choses n’attirent pas suffisamment l’attention des pouvoirs publics ? Il faut approcher les géologues, les géomorphologues et autres scientifiques.

J’ai envie d’avoir un panel des scientifiques qui échangeraient sur cette problématique en profondeur pour éviter des commentaires inutiles.

Un glissement de terrain à Gabaniro avec des dégâts énormes

Des éboulements sont aussi signalés ici et là surtout dans les Mirwa. Ce qui perturbe quelques fois la circulation routière. Si cela se poursuit, Bujumbura  ne risque-t-elle pas de se retrouver isolée de l’intérieur du pays ?

D’abord, je dois préciser que les deux phénomènes (les inondations dans la plaine et les mouvements de terrain dans les Mirwa) vont ensemble.

Pour les routes, nous pouvons nous attendre au pire dans les mois de mai et juin. Il peut y avoir des  glissements de terrain généralisés. Parce que, dans les Mirwa,  ils ont été identifiés depuis très longtemps. Seulement, ce que nous craignons, Bujumbura peut se retrouver comme en 1995 sans communication vers l’intérieur du pays.

Que faire alors ?

Il faut que les pouvoirs publics, notamment le ministre des Infrastructures et des Travaux publics, envisagent des moyens en termes de matériel roulant et de machines appropriées pour dégager les routes. Il s’agit d’un clin d’œil.

Quel commentaire faites-vous sur la manière dont ces catastrophes sont en train d’être gérées ?

L’impression que j’ai eue est qu’on n’a pas vraiment respecté les priorités proposées par le cadre de Syndai en termes de prévention des risques et de gestion des catastrophes. Elles sont de quatre ordres.

Quelles sont ces priorités ?

Le premier axe prioritaire c’est de comprendre effectivement le risque d’inondations dans toutes ses dimensions. C’est-à-dire tenir compte du contexte du changement climatique dans lequel nous sommes. Quand nous avons constaté depuis 2016 ces inondations de Gatumba, est-ce qu’on a eu franchement un plan de gestion d’urgence de ces dernières ? Je l’ai recommandé depuis longtemps. Le plan n’a jamais existé. J’ai dirigé un mémoire sur les inondations de Gatumba. C’était la même recommandation.

Le 2e axe prioritaire, c’est ce qu’on appelle la gouvernance du risque inondations.

Concrètement, que voulez-vous  dire ?

Quand on évoque la gouvernance du risque inondations, il faut voir les compétences du cadre institutionnel : quelles sont les capacités des départements concernés pour le suivi et l’évaluation de ces risques d’inondations sur le littoral du lac Tanganyika ?

En 3e lieu, nous avons ce qu’on appelle cadre légal. Est-ce qu’il est respecté ? Le Code de l’eau, le Code de l’environnement, le Code foncier, celui de l’urbanisme et bien d’autres textes de lois relatifs à l’environnement sont-ils respectés et appliqués ?

Quel est justement votre constat sur le respect de ces textes légaux ?

Le constat est amer. Par rapport du Code de l’eau, les 150 m ne sont pas respectés. Il faut revenir à cette distance. Au niveau environnemental, on a rasé systématiquement les zones tampons qui, normalement, devaient réguler ces inondations tout au moins. Je dis bien qu’il existe d’autres textes de lois qui nous manquent.

Notamment la loi sur la gestion des catastrophes et la loi sur les plans de prévention des risques et gestion des catastrophes. Surtout la loi sur les plans de prévention des risques pour chaque commune. Le cadre légal doit être complété. Il s’agit d’un autre débat.

Quels sont les autres axes prioritaires ?

Le troisième axe prioritaire, c’est l’investissement pour la prévention des risques et la gestion des catastrophes. Comment prévoir ces investissements ? Il faut avoir réalisé d’abord la cartographie de ces risques. C’est un préalable. Ces investissements coûteront combien pour le pays ? Si ce n’est pas possible, que prévoit l’Accord de Paris en termes de solidarité internationale ? Il y a un budget qu’on note chaque année. Est-ce que ces projets ont été réalisés pour financer ce domaine de prévention des risques et de gestion des catastrophes ?

Le quatrième axe, si après tout ce qu’on vient de dire notamment en rapport avec la prévention, il y a une crise, il faut avoir préparé la réponse longtemps à l’avance. Il ne faut pas attendre la réponse le jour de la catastrophe.

Puisque les inondations de Gatumba, la montée des eaux du lac Tanganyika sont déjà connues ; puisque les dégâts des rivières comme Kanyosha, les glissements de terrain dans Muhuta, on les a déjà vus ; Rutunga, Gitaza, Nyarungoka, … On devrait normalement se munir d’un plan de réponse en cas de catastrophes.

Dernièrement, le gouvernement a sorti un communiqué appelant les partenaires à lui apporter un soutien pour assister les victimes des catastrophes naturelles. Est-ce qu’on ne devrait pas préciser le montant recherché ?

Evidemment. A chaque plan de réponse d’actions à réaliser vous évaluez le coût de chaque action. Dans le cas contraire, on comprendra ce qu’on nous reproche chaque fois, à savoir que le coût de l’inaction devient encore plus cher par rapport au coût des actions préventives. On remarque que les actions de gestion des urgences sont souvent très chères ; le relèvement ou la résilience devient difficile si on ne l’a pas prévu longtemps à l’avance.

Aujourd’hui, Gatumba, Kibenga et bien d’autres localités sont inondées. Mais, les gens sont encore là. Est-ce qu’on ne devrait pas les délocaliser de force surtout qu’on a déjà annoncé de fortes pluies en mai ?

Evidement pour l’intérêt de ces mêmes populations qui ne comprennent pas ce risque, dans toutes ses dimensions. Je veux dire avec des possibilités de pertes en vies humaines. Donc, n’attendez pas les pertes en vies humaines, délocalisez ces gens le plus tôt possible !

Déjà, les maladies sont là : le paludisme, le choléra, etc. Lorsque des latrines explosent dans la nature, il ne peut pas manquer de conséquences sanitaires.  Il suffit de regarder la couleur des eaux, des sols,  etc. Vraiment, la santé des sinistrés est exposée. Il faut prendre des dispositions nécessaires pour les sauver.

Pour le cas de Gatumba, le gouvernement a déjà déclaré qu’on va délocaliser les gens. Mais, ces populations demandent toujours la construction des digues. Votre réaction.

 

Pour le cas de Gatumba, je me suis déjà exprimé là-dessus plusieurs fois. Il faut une étude multidisciplinaire des scientifiques qui peut parler des prédispositions naturelles notamment la géologie, la topographie, la climatologie et l’hydrologie. Il faut étudier la nappe phréatique de Gatumba qui est aujourd’hui à surface. On ne peut pas le contester. C’est pourquoi la route aussi est inondée. Vous partez de Gatumba centre jusqu’à la frontière burundo-congolaise, vous verrez partout des nappes d’eau à la surface. Les eaux souterraines se trouvent à la surface.

Bref, pour Gatumba, non seulement il faut un aménagement conséquent mais aussi il y a des actions urgentes : faire déménager les populations qui s’exposent à de très hauts risques, notamment sanitaires. Les latrines, les fosses septiques, les puits perdus, …, tous les déchets s’observent à la surface. La zone, l’air et les eaux sont pollués. Donc, la santé est très exposée. Je pense qu’il s’agit d’une urgence aiguë.

La construction des digues exige des moyens financiers importants mais sur base encore une fois d’une étude plus approfondie avec des aspects d’impact environnemental et social. Là, on pourrait même solliciter la solidarité internationale.

Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. hakizimana jean capistran

    None nkubu SABUSHIMIKE uwomuha gutunganya ubushikiranganji muvyo bujejwe harimwo les infrastrures et la gestions des catastrophes naturelles ubwo uburundi n’ abarundi ntakarusho bworonka??? Certains diront que les choses sont plus faciles A dire qu’A faire mais j’aurais aimE que l’on tente de placer les technocrates car on ne sais jamais jusu’A preuve du contraire!!
    Je me rappelle de cet auteur qui disais que  »ce qui se concois bien s’enonce clairement et les mots pour le dire viennent aisement » et j’ai tendance A penser que pour faire quelque chose il faut savoir en tracer les contours. Surement que SABUSHIMIKE sait, mieux que plusieurs, tracer les contours de la thematique relative A la gestion des catastrophes, encore qu’un bon gestionnaire commence par la prevention. Gire amahoro

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