Six collines de la commune Kabezi, province Bujumbura, vivent dans la peur, suite aux mouvements de terrains. L’administration communale comptabilise plus de cent maisons détruites, d’autres sur le point de s’affaisser. Jean-Marie Sabushimike, géomorphologue et professeur d’universités, fait le point sur ce phénomène.
Qu’est-ce qui explique ce phénomène de mouvement de terrain qui semble se généraliser dans les Mirwa ?
Nous sommes dans une région tectonique. La masse rocheuse est non seulement très susceptible à l’altération, mais aussi elle est très fracturée à l’échelle des terrains jusqu’à l’échelle des minéraux. Tout ceci accélère le phénomène d’altération très profonde jusqu’à plusieurs dizaines de mètres.
C’est-à-dire ?
Cela signifie que le phénomène crée des masses potentiellement instables, surtout lorsque ces sols se sont développés sur des pentes fortes et longues. Ce qui accélère ce phénomène, c’est surtout le ravinement à partir des zones de faiblesse, de fracture. Des ravins expliquent en effet la présence des versants entiers en mouvement. Ce n’est pas seulement la nature des roches et la tectonique, mais aussi le seuil pluviométrique. C’est une région qui reçoit beaucoup de pluies. Et c’est un facteur primordial pour déclencher les glissements de terrain. Mais aussi la disparition du couvert végétal.
L’homme n’est-il pas en même temps victime et acteur?
L’homme a une part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui dans ces montagnes.
Comment ?
Par ses activités, ses aménagements agraires anarchiques sans respect des normes environnementales. S’il y a des prédispositions naturelles, il y a l’influence de l’homme qui par ses actions accélère ces mouvements de terrain. On ne sait pas comment drainer l’eau que l’homme croit envoyer dans la nature. C’est elle qui va créer des ravins. Et ces derniers vont entraîner des glissements de terrain pour aboutir enfin à la construction des amphithéâtres de ravin.
Les Mirwa sont des zones très vulnérables aux glissements de terrain. L’ensemble du paysage présente déjà un ravinement intense avec des formes d’érosion très diversifiées. Ce qui attire notre attention en termes d’occupation des sols dans ces versants montagneux du Mirwa.
Est-ce que cela ne menace pas la ville de Bujumbura ?
Ce qui se passe aujourd’hui en amont, ces méga-glissements aux pieds des escarpements des Mirwa affectent aujourd’hui Bujumbura. Dans ces escarpements de failles proches de Bujumbura, le ravinement qui crée des torrents traversant la ville de Bujumbura nous montre que son développement urbain durable risque d’être gravement impacté par ces impacts de mouvements de sols.
Bujumbura est d’ailleurs déjà affectée. Il suffit de voir les quantités de matériaux drainés et les inondations qui se forment spontanément dans la ville de Bujumbura. C’est de l’eau qui ruisselle de l’amont vers l’aval. N’oublions pas que même le lac est aujourd’hui touché par ces mêmes phénomènes. La pollution de ses eaux est beaucoup plus marquée par l’érosion des sols des Mirwa.
Faudrait-il interdire l’installation humaine dans ces montagnes ?
Pour connaître la vulnérabilité de ces paysages, ne devrait-on pas disposer d’une cartographie de ces risques à des échelles appropriées ? Est-ce que Bujumbura et ses environs disposent de plans de prévention de ces risques de mouvement de terrain ou d’inondations ?
Mais cette cartographie a été récemment produite…
Cette cartographie qui vient d’être publiée sera-t-elle capable de nous apporter des corrections dans le temps et dans l’espace ? Je dois préciser que le débat n’a pas été multidisciplinaire et national. Il s’est basé sur ce qu’on a appelé les données internationales. Ce qui veut dire que son efficacité n’est pas rassurante. Il ne suffit pas de donner une cartographie informative mais plutôt une cartographie réglementaire.
C’est-à-dire ?
Il nous faut une cartographie à usage administratif et à usage des localités concernées. C’est très important. J’ose le dire que cette cartographie nous manque encore cruellement.
Les habitants des localités concernées par ces glissements de terrain demandent d’être délocalisés. Une meilleure solution ?
C’est une option pour épargner des vies humaines. Mais il ne faut pas prendre cette décision sans base de données scientifiques. Il faut d’abord procéder à un zonage des lieux à très hauts risques avant que les personnes qui y habitent soient victimes de ces mouvements de terrain. Il faut s’assurer de la réinstallation de ces personnes. Aujourd’hui, les déplacés des inondations de Gitaza, Nyaruhongoka, Rutunga… se trouvent actuellement à Mayengo. Ils sont dans de belles maisons. Mais ils se plaignent d’avoir un problème de survie. Construire des maisons est une bonne chose, mais il faut prévoir aussi comment ces déplacés vont survivre.
Plus d’une année après des inondations, certains habitants de Gatumba ont été installés dans des sites. Promesse a été faite d’effectuer des travaux pour sa protection. La menace est-elle déjà écartée ?
Cette situation peut se reproduire car nous sommes dans un contexte de changement climatique. Cette zone est victime des inondations chaque fois qu’il y a de fortes pluies sur la sous-région. Des excès pluviométriques apportés par la rivière Rusizi ou la diffluence du lac Tanganyika.
Pour prévenir cela, rien n’a été fait d’extraordinaire jusqu’aujourd’hui. Et le pire peut arriver encore. Et les déplacements des populations peuvent être encore plus massifs.
Ce que j’avais recommandé aux pouvoirs publics, c’était de procéder à l’analyse approfondie d’un plan d’urgence que l’on devait déclencher le moment venu pour gérer ce genre de crise. Malheureusement, ce plan n’existe pas encore pour Gatumba. Pourtant, nous devrions avoir un plan de prévention de ces inondations qui sont déjà bien localisées. On devait accompagner ces plans de prévention par un plan d’urgence. Ce sont des documents exigés dans le domaine de la gestion des catastrophes.
Qu’est ce qui manque, selon vous ?
La volonté politique. Aujourd’hui, on sait qu’on devrait avoir un plan d’urgence pour les glissements de terrain dans les montagnes des Mirwa, pour les inondations dans la plaine de l’Imbo, pour les incendies.
Quelle est l’importance de ces documents ?
Pour chaque phénomène qu’il soit naturel ou anthropique, si on a déjà identifié sa capacité de nuisance, il faut disposer de documents comme cela se fait ailleurs. En France, chacune des mairies dispose de son identification des risques avec des plans de prévention conséquents. Même chose pour les plans d’urgence. Chaque commune doit donc gérer ses propres risques.
Votre appel ?
Il faut absolument que nous changions de méthode de travail. En matière de prévention et de gestion des catastrophes, laissons les paroles pour des actions. Elles manquent complétement. Elles n’ont pas de base. C’est pourquoi je réitère mon appel pour une cartographie bien localisée des impacts potentiels que l’on peut calculer avec les mains et pouvant nous donner des renseignements importants pour dire pourquoi telle action est nécessaire ici.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze
« …Il faut absolument que nous changions de méthode de travail. » ! Pour tout M. Le professeur !
Solutions : les gens compétents à la place qu’il faut ! Même si le choix se fait parmi les militants, cela devrait être la ligne directrice.
« Par ses activités, ses aménagements agraires anarchiques sans respect des normes environnementales. »
L’adjectif qualificatif « anarchique » est un vocable à succès dans le contexte burundais. Quelles normes environnementales, connues par les agriculteurs, que ceux-ci ne respectent pas?
Après avoir culpabilisé les victimes, M. Sabushimike s’interroge: « Est-ce que Bujumbura et ses environs disposent de plans de prévention de ces risques de mouvement de terrain ou d’inondations ? »
On peut se demander si les prétendues normes environnementales ont été pensées avant d’avoir établi la cartographie des risques.