Montée des eaux du lac Tanganyika, débordement de la rivière Rusizi et glissements de terrain entraînent des dégâts énormes. Le géographe Jean-Marie Sabushimike fait le point.
Ces derniers temps, des inondations s’observent dans certains coins de l’Imbo. Pourquoi ?
Je ne suis pas du tout surpris de cette situation pour plusieurs raisons. J’évoquerais la première raison qui est celle du changement climatique en marche. Et pas seulement au Burundi mais au niveau mondial, régional et sous régional. Des excès pluviométriques s’observent au Burundi avec ses impacts.
L’Institut Géographique du Burundi (IGEBU) avait projeté les prévisions météorologiques du 15 octobre 2019 au 31 mai 2020 comme quoi le Burundi allait connaître une pluviométrie exceptionnelle. C’est-à-dire tout le Burundi occidental comprenant le Mugamba, les Mirwa, les plaines de l’Imbo. Les plateaux centraux n’étant pas épargnés. L’IGEBU avait prévu aussi une augmentation considérable de la pluviométrie dans le reste du territoire burundais. En résumé, ce qui nous arrive aujourd’hui était prévisible.
C’est-à-dire ?
Les spécialistes de la prévention des risques et de gestion des catastrophes devaient s’attendre à cela. Je l’avais communiqué à plusieurs reprises. Je l’avais même cartographié dans la plaine de l’Imbo, Bujumbura et ses plaines. C’est bien mentionné dans la stratégie nationale pour la prévention des risques et la gestion des catastrophes que j’ai réalisée pour le compte de la Plateforme nationale pour la prévention des risques et gestion des catastrophes. Il s’agit d’une zone à très haut risque d’inondations. J’avais aussi identifié le Bugesera comme zone sensible au déficit pluviométrique, aux sécheresses récurrentes. Et j’avais prévu que les escarpements des failles des Mirwa sont vulnérables aux glissements de terrain.
Aujourd’hui, on remarque que même la distance qui était prévue par le pouvoir législatif en fixant les 150 m le long du lac Tanganyika a été dépassée.
Quelle en est la cause ?
Parce qu’on n’a pas pris le temps d’analyser. Les inondations du lac Tanganyika ont atteint 700 m voire 800 m. Le seuil critique de 600 m a été dépassé. Je reviens sur ce qui nous coûte très cher : l’absence de la culture du risque. Les gens n’ont pas hésité à détruire les zones tampons pour y ériger des hôtels, des infrastructures, etc.
Les autorités ont-elles pris au sérieux votre étude?
(Rires). Non. Peut-être en partie oui. Parce que même cette limite de 150 m n’a pas été discutée à base des connaissances véritablement scientifiques.
N’aurait-il pas été plus prudent de délocaliser les habitants de Gatumba bien avant?
Je le dis sous-réserve de l’autorité de la Plateforme Nationale. Au mois de décembre 2019, je leur avais dit qu’il faut absolument déménager de force les gens de Mushasha I et II. Je m’adressais à l’administrateur communal de Mutimbuzi. Et ce n’était pas pour la première fois. Quelques temps après, le terrain est redevenu en apparence sec. Mais pas pour longtemps. Et voilà, aujourd’hui, c’est pratiquement tout Gatumba inondé. De même que j’avais dit que les débordements de la Rusizi et ceux du lac Tanganyika vont nous entraîner dans des situations catastrophiques. Et demain, le pire peut encore arriver.
Aujourd’hui, on approche la fin de la campagne électorale. Est-ce que vous sentez que les différents candidats sont préoccupés par la protection de l’environnement ?
(Rires.) Certaines personnalités politiques l’expriment avec timidité. Vous savez quand nous parlons des constructions aujourd’hui submergées d’eau, ce sont des maisons, des infrastructures qui n’ont pas été érigées dans la clandestinité. Il y a eu des autorisations des pouvoirs publics, des autorisations et des permis de construire.
Quelle serait la part de la rivière Lukuga par rapport à ce qui se passe dans le lac Tanganyika ?
Peut-être la part de la Lukuga serait minime par rapport au volume des pluies exceptionnelles qui ont été enregistrées dans la région. Les débordements de la Rusizi n’ont rien à avoir avec la rivière Lukuga. Seulement, elle peut jouer un rôle dans la régulation.
Pourrions-nous espérer que la situation va redevenir normale ?
En douce, c’est possible. La période des pluies exceptionnelles touche vers la fin. Au cas contraire, il faut envisager désormais des plans de réponse à commencer par le plan d’urgence, c’est-à-dire tenir compte de l’alerte précoce. Il faut noter que ces pluies exceptionnelles avaient été annoncées.
Mais qui devrait alerter en premier lieu pour éviter le pire ?
Il y a quelqu’un qui devrait déclencher l’alerte avant la montée des eaux du lac Tanganyika. Il fallait prendre le temps de l’organisation de la réponse. Parce que beaucoup de gens ont été désagréablement surpris. Et si on avait déclenché l’alerte précoce comme c’est prévu techniquement, l’évacuation aurait été organisée à temps.
Par exemple à Gatumba, on aurait prévu le rassemblement à temps. Ce sont là des lacunes de la gestion de ces évènements catastrophiques. Il y a tout un système d’organisation et de coordination nationale qui devrait cette fois-ci prendre des précautions en termes d’alerte précoce et de gestion de ce genre de crise.
Est-ce que cette gestion hâtive n’entraîne pas d’autres conséquences ?
Absolument. Ce genre de rassemblement improvisés s’accompagnent de maladies telles que le choléra, la dysenterie, la méningite, le paludisme, etc. Ce sont des situations qui créent des vulnérabilités extrêmes, qui entraînent des stress et fragilisent les déplacés tant physiquement que moralement. La communauté internationale devrait agir.
Que faire ?
Il faut prendre un temps nécessaire de réalisation des études en profondeur. Et tout le monde, en l’occurrence les pouvoirs publics, les citoyens, les médias, doit participer dans la recherche des solutions durables. C’est un débat qui nous interpelle. Que chacun donne sa contribution. Il faudra revenir sur la question d’aménagement du territoire.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze