D’aucuns s’interrogent si la CVR sera à la hauteur de sa nouvelle mission. Quelle sera sa baguette magique? Pourquoi les autres commissions ont échoué? Quid des recommandations à la CVR? Gaspard Kobako, politicien et ancien président la Commission nationale de Rapatriement (CNR) s’exprime.
La CVR se voit confier le traitement de 35 000 dossiers fonciers qui n’ont pas été clôturés par la CNTB. Pourra-t-elle réussir là où les autres commissions ont échoué ?
Jusqu’au moment du transfert des missions initialement confiées à la CNTB, dont le mandat est venu à terme depuis le mois de mars 2022, soit deux ans plus tard, c’est une bonne nouvelle d’apprendre que ses missions viennent d’être confiées à la CVR conformément à la volonté exprimée par le chef de l’État.
Les longues attentes du peuple burundais en général et des demandeurs concernés par les 35 000 dossiers ouverts par la CNTB en particulier, mais qui n’ont pas encore été clôturés, conduisent à une sorte d’espoir. Les demandeurs vont désormais pousser un ouf de soulagement sans nul doute.
Il sied de rappeler, à toutes fins utiles, que plusieurs commissions ont été mises en place depuis la deuxième République, du président Jean Baptiste Bagaza, pour tenter de trouver des solutions aux questions en rapport avec les terres spoliées depuis le génocide des Bahutu de 1972 tel que la CVR l’a déclaré dans son rapport de 2022.
Quelles sont ces commissions?
Il y a d’abord eu la Commission Mandi, du nom de son président sous la 2e République. Ensuite, nous avons vu la Commission présidée et coprésidée par les professeurs Paul Ngarambe et Luc Rukingama appelée Commission nationale chargée du retour, de l’accueil et de la réinsertion des réfugiés burundais (CNR) sous la 3e République du président Pierre Buyoya.
Il y a eu aussi la Commission présidée par Gaspard Kobako héritée du même nom que la précédente (CNR), avec le retour du multipartisme qui donna victoire au parti Sahwanya-Frodebu.
Par la suite, cette commission a été présidée par d’autres présidents sous différents gouvernements des Conventions dites de Kigobe-Kajaga et Novotel avec ce qu’elle a engendré comme dérives. C’était à la suite du putsch rampant depuis la nuit du 20 au 21 octobre 1993. Leur travail s’inscrivait dans cette logique.
Et les autres?
Il faut parler aussi de la Commission nationale de Réhabilitation des sinistrés, CNRS, pendant le gouvernement de Transition après la signature de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation présidée par l’ancien Premier vice-président de la République sous le président Pierre Buyoya, le député Frédéric Bamvuginyumvira, avec toutes les difficultés de blocages qu’elle a connues et dont nous sommes témoin.
Il y a eu aussi la Commission nationale des Terres et autres Biens (CNTB) issue de l’Accord d’Arusha, présidée successivement par abbé Astère Kana et monseigneur Sérapion Bambonanire.
Celle présidée par Monseigneur Sérapion Bambonanire a essuyé une avalanche de critiques, somme toute acerbes, du fait quelle restituait les terres et autres biens à ceux qui en avaient été spoliés.
Nous avons enfin la CNTB présidée par Félicien Nduwuburundi qui a finalement laissé 35 000 dossiers ci-haut indiqués à la fin de son mandat intervenu en mars 2022.
Mais pourquoi toutes ces commissions n’ont pas abouti aux résultats escomptés?
La 1ère commission, tout comme la 2e, ne pouvaient pas rétablir les rapatriés et/ou les ayants droit, dans leurs droits car elles n’en avaient pas reçu le mandat.
Elles avaient plutôt la mission de réconforter des acquéreurs dans des biens mal acquis, souvent avec l’aval de l’État, avec comme conséquences les profondes frustrations.
Les ayants droit devaient donc accepter, la mort dans l’âme, le fait accompli en partageant leurs biens avec les spoliateurs.
La 3e commission que j’ai présidée a tenté de régler les litiges fonciers en tenant compte de l’entente entre certains vrais propriétaires et certains de ces nouveaux acquéreurs. J’ai réussi un tout petit peu.
Par rapport aux acquéreurs qui devaient quitter des propriétés afin que les vrais propriétaires soient rétablis dans leurs propriétés initiales, elle s’est attirée les foudres sur la tête.
Toutes les autres commissions, prénommées CNTB, ont rencontré des problèmes farouches, y compris la CNTB issue de l’Accord d’Arusha dans toutes ses deux versions.
Quelles sont les garanties prouvant que la CVR pourra réussir sa mission?
Nous apprécions positivement les missions confiées à la CVR compte tenu des innovations et propositions diverses faites dans les contenus des articles 11, 12, 14 et 16 du projet de loi régissant la nouvelle CVR.
Ces missions sont lourdes certes, de par leur délicatesse, mais utiles pour des impératifs de réconciliation et dans le cadre d’une justice transitionnelle.
Cependant, la CVR devra être renforcée par des cadres d’appui en quantité suffisante et compétents, car ses missions demandent la sérénité, la perspicacité, la lucidité sans oublier la sécurité.
Pourquoi ne pas laisser ces dossiers aux cours et tribunaux qui sont investis du pouvoir de juger?
Ce genre de dossiers ne sauraient être laissés et/ou cédés aux juridictions ordinaires du Burundi déjà gangrénées par la corruption, référence faite aux déclarations incessantes du chef de l’État, mais également étayées par nos constats sur le terrain.
On observe en effet dans certaines juridictions ordinaires beaucoup de lenteurs dans l’exécution des jugements rendus. Encore que certains jugements sont mal rendus et émaillés de beaucoup d’irrégularités.
En tant que politicien et ancien président d’une commission qui s’est penchée sur les dossiers fonciers des rapatriés, qu’est-ce que vous recommandez à la CVR?
Nous recommandons à la CVR de faire en sorte que les ayants droit ne continuent pas à regarder impuissants leurs biens en train d’être exploités par les descendants de leurs bourreaux et/ou autres acquéreurs de mauvaise foi.
Nous soutenons une justice juste et impartiale. Nous devons nous projeter dans notre passé, quoique douloureux, nous en remémorer et tirer les leçons de l’histoire pour ne pas être obligés de le revivre.
La CVR doit savoir que vider les 35 000 dossiers, tout comme ceux des déplacés intérieurs, est un devoir et non une sollicitation.
Nous sommes appelés à nous mettre dans la peau des victimes pour qu’enfin, nous ne bâtissons pas sur de la haine, du sable mouvant et des rancœurs.
Ce qui pourra alors décourager les révisionnistes et négationnistes de tout acabit, de même que ceux qui souffrent la braise pour attiser le feu d’un conflit de trop.