Les Nations-unies viennent de renouveler le mandat de son rapporteur spécial sur les droits humains au Burundi. Il a accepté d’accorder une interview au Journal Iwacu. Selon lui, le renouvellement du mandat est un processus avec des objectifs assez précis. C’est une décision des Etats qui composent le Conseil des droits de l’Homme. Le mandat est encore nécessaire car la situation des droits de l’Homme au Burundi ne s’est pas améliorée. Telle est sa lecture.
Le Burundi se dirige vers les élections de 2025, quelle est, selon vous, la situation des droits de l’Homme au Burundi ?
La situation des droits de l’Homme pour la période allant de juillet 2023 à juin 2024 est contenue dans le rapport présenté devant le Conseil des droits de l’Homme le 23 septembre 2024.
Il en ressort que les droits de l’Homme restent un véritable défi pour le pays. Et, en cette période préélectorale, la constante est le rétrécissement et le verrouillage de l’espace civique, l’absence de dialogue inclusif, le caractère forcé de l’enrôlement des citoyens sur les listes électorales, …
La situation des droits de l’Homme dans ce pays n’est pas du tout reluisante. Le rôle du rapporteur spécial est justement d’attirer l’attention sur les risques de telles insuffisances et de formuler des recommandations pour une meilleure prise en charge des différentes problématiques.
Le gouvernement a toujours clamé que vos rapports sont biaisés et politiquement orientés, quel est votre commentaire ?
Il n’est pas nécessaire de faire un commentaire sur ce sujet. Le rapport que je présente chaque année est une obligation résultant de la résolution qui crée le mandat. Le rapport doit ensuite répondre à plusieurs critères qui sont très stricts et objectifs. Enfin, le rapport est adressé au Conseil des droits de l’Homme.
La résolution qui institue le mandat met à la charge de l’Etat du Burundi une obligation de coopération. En réalité, c’est la coopération qui aurait permis une élaboration consensuelle ou, à tout le moins, une élaboration qui prenne en compte les positions du Burundi.
En l’absence d’une telle coopération, les positions de l’Etat burundais sont difficiles à cerner et a fortiori à prendre en compte. Néanmoins et en tout état de cause, c’est au Conseil des droits de l’Homme, commanditaire de mes rapports qu’il faudrait s’adresser pour avoir une réponse à cette préoccupation.
Pensez-vous que le gouvernement burundais fait semblant de ne pas voir la réalité ?
Il est difficile pour moi de me mettre à la place du gouvernement burundais. Le rapport que je produis fait déjà toutes les constatations pour la période couverte. Les rapports produits sont des outils assez importants et peuvent aider les Etats à améliorer la situation au sein de leur juridiction respective.
Il faut se rappeler qu’en matière de droits de l’Homme, il y’a une interdépendance entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. On ne peut qu’apprécier les droits dans leurs globalités.
Du coup, on ne peut pas dire que tels droits ou tels droits ne sont pas des priorités. Encore faut-il que l’Etat en ait conscience. Et de manière générale, la situation des droits de l’Homme peut être un critère déterminant pour les investisseurs étrangers.
Il y a eu des progrès quand-même ?
Je pense que le rapport élaboré cette année 2024 contient tous les éléments d’appréciation de la situation des droits de l’Homme pour la période couverte.
Quelles sont vos priorités pour l’année 2025 ?
Mes priorités pour l’année 2025 sont les élections, la situation des réfugiés, l’espace civique qui se rétrécit.
Comment comptez-vous y arriver alors que le gouvernement du Burundi ne veut pas collaborer avec vous ?
Que l’on se comprenne bien. Que le Gouvernement burundais veuille ou non travailler avec le rapporteur spécial n’est pas un problème ou source de blocage dans la mise en œuvre du mandat qui m’a été accordé.
Le mandat est une décision des Etats composant le Conseil des droits de l’Homme et de manière plus large de l’ensemble des Etats composant l’Organisation des Nations-unies (ONU).
Refuser de coopérer ou de travailler avec une procédure spéciale, c’est défier l’ensemble des Etats qui composent la plus grande organisation qui existe sur la terre.
Cela est d’autant plus problématique actuellement que le Burundi est membre du Conseil et que c’est ce même Conseil qui a mis en place le mandat de rapporteur spécial. En somme, le Burundi fait partie d’un organe tout en refusant de mettre en œuvre les décisions de cet organe. C’est à ne rien comprendre !
La Coalition Burundaise des Défenseurs des droits Humains vivant dans les camps de réfugiés (CBDH/VICAR) tire la sonnette d’alarme. D’après cette organisation, il s’observe des refus d’asile et des rapatriements forcés en Afrique de l’Est, notamment en Tanzanie. Que comptez-vous faire pour ces réfugiés burundais ?
La première chose à faire est de vérifier les informations reçues. Ensuite, en fonction des constatations, des options d’actions pourront être envisagées. Cela peut être le plaidoyer avec les Etats abritant les réfugiés ou des discussions avec les institutions qui gèrent les réfugiés.
Il faut avoir à l’esprit que la gestion des réfugiés entraîne un coût pour les Etats. Si dix (10) ans après la crise de 2015, il y a toujours des réfugiés, cela doit interroger.
Si l’hospitalité a prévalu au début de la crise, dix (10) ans après, les réalités ont dû certainement changer. Les Etats ont leurs propres réalités et contraintes.
La meilleure réponse est l’amélioration de la situation des droits de l’Homme et, à ce moment-là, je pense que le retour des réfugiés pourra être organisé sur la base du volontariat.
Autrement, en l’état actuel, que les réfugiés rentrent ou pas, des défis existent.
Certains Burundais, y compris des scientifiques, critiquent votre méthodologie de recueil des informations. Ce qui, selon eux, renvoie à un rapport « déséquilibré ». Votre observation ?
Je ne suis pas fermé à la critique. Mais, il est souvent facile de rester loin et de lancer des critiques et des observations. Je serais tout à fait reconnaissant si je pouvais échanger avec ces personnes.
Cela me permettra de leur expliquer la méthodologie en usage pour ce type de document au sein des Nations -unies ainsi que les règles applicables. On pourrait même s’associer pour élaborer le rapport. Ou même encore mieux, ils pourront soumettre un rapport alternatif. Ce rapport sera aussi soumis à l’appréciation de la communauté.
En outre, j’ai déjà eu à le dire à plusieurs reprises. C’est un rapport commandité par le Conseil des droits de l’Homme. Le rapport doit remplir les critères indiqués par cet organe. Il ne s’agit pas de produire un rapport complaisant si cela ne reflète pas la réalité situationnelle.
Ce n’est pas la première fois que vous publiez des rapports sur la situation des droits humains au Burundi. Y a-t-il un impact ? Quel est votre constat ?
En effet, cela est exact. Mais, il faut souligner que l’élaboration et la présentation du rapport est une obligation qui découle de la Résolution qui met en place le mandat.
Elle met à la charge du rapporteur spécial une obligation d’une part de faire une présentation orale devant le Conseil des droits de l’Homme avant, d’autre part, de soumettre un rapport écrit à cet organe puis à l’Assemblée générale.
La question pourrait utilement être posée au mandant quant à son impact et les constatations qui en découlent. Pour ma part, l’objet du rapport est de faire un diagnostic objectif de la situation et de mettre en exergue les défis en matière de droits de l’Homme par voie de conséquence proposer des recommandations afin d’en améliorer la situation.
Le constat reste le même depuis les rapports présentés par la Commission d’enquête indépendante. La situation des droits de l’Homme reste préoccupante au Burundi. Et, on ne voit aucun acte palpable d’une volonté politique pour une quelconque amélioration.
Pourquoi continuez-vous alors cette aventure ?
Il faut se rappeler que le Burundi est un Etat membre de l’ONU et qu’à ce titre des obligations sont liées à la qualité de membre. Un des objectifs des Nations -unies est la paix, la sécurité et le respect des droits de l’Homme.
La mise en place d’une procédure spéciale obéit à un besoin et ambitionne la résolution d’un défi. Et de par le monde, des exemples de procédure pays qui ont été mis en œuvre et qui ont été achevés, existent.
Au Burundi, les violations des droits de l’Homme sont toujours d’une certaine ampleur et aucune mesure n’a été prise ni pour en poursuivre les auteurs ni pour faire des reformes.
Je dirai donc que ce n’est pas moi qui continue cette aventure. Ce sont les conditions pour quitter les procédures spéciales qui ne sont pas remplies. Mais, en tout état de cause, c’est une décision qui relève de la volonté des Etats.
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