Vendredi 22 novembre 2024

Société

Interview exclusive avec Ferdinand Simbaruhije : « Recrudescence des cas de viol : un phénomène très préoccupant »

26/12/2023 Commentaires fermés sur Interview exclusive avec Ferdinand Simbaruhije : « Recrudescence des cas de viol : un phénomène très préoccupant »
Interview exclusive avec Ferdinand Simbaruhije : « Recrudescence des cas de viol : un phénomène  très préoccupant  »

Recrudescence des cas de viol à l’endroit des enfants, les conséquences sur le vécu de ces derniers, la problématique de réunir les preuves et celle liée à l’obtention d’une expertise médicale par les victimes… Entretien avec Ferdinand Simbaruhije, chargé de la communication à la Fenadeb.

Pourquoi la recrudescence des cas de viol envers les enfants dans ces jours-ci ?

Au niveau de la Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi (Fenadeb), nous constatons avec amertume la recrudescence du phénomène de viol à l’égard des enfants dans le pays. Pour nous, la situation est très préoccupante. Et rien ne peut expliquer un tel comportement.

Avez-vous des chiffres ?

Les chiffres qui sont à notre disposition sont très alarmants. Pour la période allant de janvier à novembre 2023, notre Fédération a pu recenser plus de 300 cas d’enfants victimes de viol.

Concrètement, quelles en sont les causes ?

Selon les enquêtes menées, les causes sont variées. Elles sont dues d’abord aux croyances obscurantistes. Il y en a qui pensent que ça serait une richesse pour eux. D’autres pensent que les rapports sexuels faits avec les enfants pourraient guérir certaines maladies. D’autres commettent ce crime parce qu’ils ont des problèmes mentaux.

Et au niveau des écoles ?

Au niveau des écoles, il y a des filles qui ont de mauvaises notes aux niveaux des évaluations. Des éducateurs mal intentionnés profitent de la faiblesse de ces filles et exigent à ces dernières de coucher avec eux en échange de points dont elles ont besoin. Une situation que nous dénonçons et déplorons.

Quid des conséquences ?

Elles sont nombreuses. De tels rapports sexuels peuvent être la source de grossesses non désirées, d’abandons scolaires et de maladies sexuellement transmissibles.

Nous observons aussi des mariages précoces, des cas de décès. Il y a aussi la stigmatisation, le phénomène d’enfants en situation de rue. Quand ces filles mettent au monde, parfois leurs enfants ne sont pas reconnus par leurs pères. Compte tenu de cette situation, l’enfant n’a pas où aller et peut se retrouver dans la rue.

Où en est-on avec les enquêtes sur le cas de Kelsey Iteriteka, la fillette de Buterere qui a été violée puis étranglée ?

C’est un cas que nous avons suivi au niveau de la Fédération. Nous avons effectué des descentes sur le terrain et nous avons constaté que la police a immédiatement diligenté des enquêtes et appréhendé les présumés auteurs. Le dossier suit son cours normal.

Mais d’aucuns épinglent des failles de la justice dans ce genre de dossiers. Votre commentaire ?

Nous constatons qu’on essaie quand-même de décourager les auteurs de ces forfaits en les réprimant conformément à la loi. Mais évidemment, nous apprenons aussi qu’il y a des cas isolés où les auteurs sont relâchés avant les enquêtes.

Nous déplorons aussi des cas de règlement à l’amiable qui se font entre les parents des victimes et les présumés auteurs. Or, la loi ne permet pas un tel arrangement.

D’une part, les victimes et leurs parents dénoncent la lenteur dans le traitement de leurs dossiers, d’autre part, les magistrats évoquent la problématique de réunir les preuves car, selon eux, les viols se font dans des endroits cachés. Avez-vous la même lecture ?

Dans le temps, nous avons constaté cette lenteur. Mais aujourd’hui, s’il y a un viol qui est commis dans tel ou tel endroit, les acteurs engagés dans ce domaine, c’est-à-dire la police et le parquet, font tout pour arrêter le présumé auteur. Parfois même pour de tels crimes, il y a des jugements de flagrance.

Et cette problématique de réunir les preuves dans la fraîcheur des faits ?

En fonction de la distance qui sépare l’endroit de la commission du crime et les instances chargées de secourir l’enfant, il y a un problème. Nous avons entendu des magistrats qui se lamentent disant qu’ils mettent beaucoup de temps pour arriver au lieu de la commission du crime, faute de moyens de déplacement.

Dans le temps, il y avait des centres intégrés de prise en charge des victimes des VBG. Ces centres avaient des services dont la victime avait besoin, en l’occurrence le service légal, médical, et psychosocial. Mais, il se pourrait que ces centres ne fonctionnent plus.

Les victimes ou leurs parents parlent aussi de la problématique liée à l’obtention d’une expertise médicale exigée parfois par les OPJ et les magistrats dans l’instruction des dossiers liés aux viols. Qu’en dites-vous ?

C’est un grand défi pour les victimes. C’est un document qui exige parfois des frais de déplacement que la victime n’a pas.

C’est aussi un document qui peut coûter entre 10 mille et 30 mille BIF. Des sommes qui dépassent les moyens dont disposent les victimes. Il faudrait que ce document soit gratuit. Ce serait une avancée dans la protection de l’enfance.

Dans tout cela, quelle est la contribution de la Fenadeb ?

Chaque fois que nous apprenons qu’il y a un viol qui a été commis quelque part, nous le dénonçons. Nous avons des avocats qui assistent les victimes de ces viols. Nous écoutons les victimes et leurs parents pour une orientation dont ils ont besoin parce que parfois ils peuvent avoir besoin d’un service que nous n’avons pas. Dans ce cas, nous pouvons leur indiquer un autre acteur qui peut les aider pour tel ou tel service.

Que recommanderiez-vous ?

Nous recommandons au gouvernement que les centres intégrés de prise en charge des victimes des VBG soient encore fonctionnels dans toutes les provinces du pays. Nous recommandons aussi que les parquets soient dotés de moyens de déplacement pour qu’ils puissent faire des enquêtes en temps utile.

Nous demandons aux acteurs engagés dans la protection des droits de l’enfant de travailler en synergie parce qu’il s’agit d’un domaine complexe qui exige une conjugaison d’efforts.

Il faut que les gens soient sensibilisés sur la protection de l’enfance parce qu’ils ignorent les droits de l’enfant qui sont reconnus et protégés par les textes juridiques nationaux et internationaux.

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