Le fléau du VIH-sida semble disparaître dans les pensées des Burundais. Là où il se manifeste, c’est la peur des on-dit et le repli sur soi. Mais, sa propagation prend de nouveau de l’ampleur au Burundi et les victimes ne cessent d’augmenter. Les solutions pour le combattre existent et sauvent les vies des plus téméraires. Eliane Becks Nininahazwe est artiste et militante engagée dans la lutte contre la stigmatisation. Elle nous en dit plus.
Comment traduisez-vous la stigmatisation ?
Le plus grand nombre de Burundais considèrent toujours le VIH-sida comme quelque chose de tabous et n’osent même pas en parler. Cette pratique est révolue dans le sens où les traitements sont à la portée des malades et leur efficacité porte des fruits. En témoigne ma longévité. Il y a plus de 20 ans que je vis avec parce que j’ai su prendre le taureau par les cornes.
Quand j’ai été diagnostiquée positive au VIH-sida, j’avais déjà un diabète au stade avancé. Malgré les dires du médecin qui m’avait diagnostiquée, m’invitant à me préparer au cercueil, je n’ai pas baissé les bras. J’ai eu la chance que plusieurs n’ont jamais eue parce que mon mari m’a soutenue. Il a tout fait en dépensant des moyens colossaux pour que j’ai accès au traitement.
Quant à la stigmatisation, je la traduis par un exemple d’une victime. Ma cousine en est morte et son mari aussi. En 2014, je m’affirmais et je sensibilisais par rapport au VIH-sida. Avec un microphone sur la place publique, dans ma région natale de Gihanga de la province de Bubanza, je parlais aux gens de ma séropositivité. C’est là où on m’a dit que le mieux est que je convainque ma cousine d’aller se faire dépister et de suivre un traitement parce qu’elle et son mari étaient gravement malades.
Ouvertement ?
Oui. J’ai alors fait tout ce que je devais faire mais, elle a prétendu qu’on lui avait diagnostiqué une malaria de six mois. Ce qui était totalement faux. J’ai tout fait pour la convaincre, mais en vain. C’est après mon départ que son mari est mort en avril 2015. Ma cousine est décédée un mois après. Ça m’a profondément touchée et j’ai eu l’initiative de mettre en place un club socio-culturel « Inyambo star de Gihanga » à travers lequel on pouvait utiliser l’art dans la lutte contre la stigmatisation.
Chaque 1er décembre, depuis 2020, des activités culturelles sont organisées où des artistes de tout genre entrent en compétition avec des prix pour les meilleurs.
Qu’est-ce qui est mieux à faire selon vous ?
Les personnes diagnostiquées positives ne doivent pas se replier sur elles-mêmes. Elles doivent comprendre que le VIH-sida est une maladie chronique. Il faut qu’elles ôtent de leur tête cette peur qui leur dit qu’elles vont prendre des médicaments toute leur vie et que le ciel vient de leur tomber dessus.
Les diabétiques sont là et j’en fais partie depuis 1999. Je suis aussi dans cette catégorie des séropositifs, donc dans les deux camps. Pourquoi les diabétiques reconnaissent le diabète comme une maladie chronique et non les séropositifs. La routine des médicaments par jour ne m’a pas fait peur. Ajouter un comprimé à ceux du diabète n’allait que me soulager.
Une fois diagnostiqués positifs, les malades ont tendance à fuir le monde et à changer de comportement. Cela est une mauvaise chose dans la mesure où le risque de développer d’autres comportements négatifs devient grand.
C’est pourtant difficile à accepter et à assumer
Je suis d’accord que les premiers jours sont difficiles, mais chaque jour est un combat. Mes premiers jours à moi aussi ont été difficiles. Les exemples qui ont fait que je me batte sont multiples : « Cette Jeanne Gapiya que j’entends à la radio a survécu. Pourquoi moi je ne peux pas me battre », me demandais-je. Et mon mari d’ajouter : « Il y a des guerres où des gens survivent ».
Je me suis souvenue de comment j’ai survécu à une épidémie de choléra quand j’avais 15 ans dans un site de déplacés de la crise de 1993. Cela n’a fait que me rendre encore plus courageuse pour la nouvelle bataille. Je me suis promis de combattre et d’avoir des enfants. Ils sont là. Ma dernière bataille est de vivre pendant100 ans.
Et qu’en est-t-il de la prévention ?
Il y a une catégorie de personnes qui peuvent avoir le virus sans qu’elles le sachent. D’autres ont un virus devenu indétectable c’est-à-dire qu’elles ne présentent pas de risque de contaminer. Une personne, selon son système immunitaire, peut vivre avec le virus pendant un certain temps.
La première prévention c’est le dépistage. Le dépistage est conseillé suivant le mode de vie sexuel que chaque personne adopte. Il y a ensuite l’utilisation des préservatifs. Je sais que certains jeunes ne savent pas ce que c’est à cause du manque de sensibilisation.
Aujourd’hui, avec l’avancée des recherches, il y a des pilules « PrEP » de prévention qui sont prescrites après un dépistage négatif. Ces pilules ne préviennent pas les autres maladies sexuellement transmissibles je le signale. Pour les femmes, il y a un préservatif « vagina ring » qu’elles peuvent mettre. Il dure 30 jours et ne gêne pas les partenaires. D’autres recherches sont en train d’être faites.
C’est tout ?
Il y a aussi une injection contre seulement le VIH en train d’être développée qui se fait une fois pendant six mois. Il paraît que cette injection est déjà arrivée au Rwanda.
Les modes de prévention évoluent et c’est pourquoi les gens devraient recourir à la prévention plutôt qu’attendre pour prendre des médicaments à vie. Ça fait partie de mes actions : sensibiliser les gens à la prévention.
Une autre chose plus importante est de connaître son état sérologique à temps parce que les complications deviennent minimes pourvu que les pilules qui ont été développées ne présentent plus d’effets secondaires comme les anciennes.
Un mot pour les activistes et le gouvernement ?
Quand j’étais petite, j’entendais des chansons de sensibilisation sur la lutte contre le sida comme « ushaka kuramba, ushaka ikibondo, ushaka akuzukuru, n’akuzukuruza, ni wirinde sida ». Ce qui se traduit en français « si tu veux vivre longtemps, si tu veux un enfant, un petit enfant, un arrière petit enfant, préviens-toi du sida ». Ce qui a presque disparu. Les gens apprenaient par ces sensibilisations l’utilisation par exemple du préservatif.
On peut entendre parler du sida le 1er décembre, lors de la célébration de la journée mondiale de lutte contre le sida et pas plus. Maintenant, les gens ont commencé à banaliser la maladie et à dire que c’est une simple maladie sans savoir le vécu des malades.
Le ministère de la Santé publique et de la lutte contre le sida devrait se ressaisir et relancer les campagnes de sensibilisation contre cette maladie ; rappeler aux Burundais que le sida est toujours là ; qu’il y a encore des enfants qui naissent avec.
Et pour les artistes ?
Il y a des endroits reculés du pays où l’accès à l’information est quasi inexistant. Des endroits où on qualifie d’empoisonnement les signes du virus. Les artistes sont là et j’en fait partie. Nous devons relancer la sensibilisation avant que ça ne soit trop tard.
Les jeunes aujourd’hui doivent savoir que cette maladie n’épargne personne et qu’ils sont les plus exposés. Qu’ils apprennent au moins à se prévenir. Les préservatifs sont accessibles partout et leur utilisation n’est pas compliquée. Les bons moments ne se vivent pas seulement pendant la jeunesse.
Il y en a aussi qui ne se fassent pas dépister et qui contaminent les autres sans le savoir. Le dépistage est gratuit partout dans les centres sanitaires et il n’y a rien de honteux à connaître son état sérologique.
Et votre contribution ?
Ma contribution est de continuer la sensibilisation avec mon club « Inyambo star » dans ma commune natale Gihanga. Pendant l’évènement Gihanga talent show, personne ne rentre comme il est venu. C’est une sorte de sensibilisation qu’on fait avec différents artistes.
Des séropositifs y sont invités. Ils donnent des témoignages pendant l’événement. Ils racontent leur vécu. Tout le monde les trouve normaux et bien portants. Ils répondent aux différentes questions du public et l’interaction est très bénéfique.
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