17 juin, journée mondiale contre la désertification et la sécheresse. Un phénomène dont l’une des conséquences est la disparition de la biodiversité. Dr Samuel Ndayiragije, inspecteur général au ministère de l’Environnement, fait le point sur la situation des aires protégées et la biodiversité.
Que doit-on entendre par biodiversité?
C’est la diversité biologique, la variabilité des organismes vivants, y compris les écosystèmes terrestres, marins et aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie. La biodiversité est une partie de l’environnement.
Quelle est sa situation au Burundi ?
C’est un secteur fort négligé. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature exige qu’un pays ait au minimum 17% de son territoire en aires protégées. Ici, elles ne représentent que 5,1%. Nous avons à peu près autour de 140 mille hectares. Très insignifiant.
Quid de la flore et la faune ?
La situation nous interpelle. 12 espèces de mammifères ont complétement disparu du territoire national.
Par exemple ?
Des lions, des éléphants, des rhinocéros, des girafes, etc. D’autres en voie d’extinction : des buffles, des hippopotames, les grands rapaces, des batraciens, etc. Certaines essences arbustives naturelles restent uniquement dans la Kibira et à Bururi.
Les marais disparaissent, un avantage et un inconvénient. Ils procurent de la nourriture à la population, mais entraînent la disparition de la biodiversité.
Quel est l’état des lieux des aires protégées ?
Auparavant, nous en avions 16. Certaines ont disparu. C’est le cas de Kinoso, à Makamba. Cet espace est aujourd’hui occupé par la population.
Le parc de la Rusizi, avec à peu près 10 mille hectares. Côté delta, le braconnage est une menace. On y trouve des oiseaux, des hippopotames, des antilopes, des crocodiles, etc. On y cherche aussi du bois de chauffage. Sur sa rive gauche, une ferme qui s’est accaparée d’un espace vaste. Il y a aujourd’hui des milliers de vaches.
Côté palmeraie, la principale menace est le cimetière de Mpanda qui n’est régi par aucune loi. C’est là qu’on trouve des arbres endémiques : les faux-palmiers (urukoko). Aujourd’hui, ils ne poussent plus. Une portion de ce domaine a été attribuée à un homme d’affaires. Un gaspillage total car ses cannes à sucre n’ont rien produit. Le braconnage et la recherche du bois de chauffage y sont pratiqués. Il y a aussi des champs de coton de la Cogerco. Sans oublier des feux de brousse.
La Kibira est-elle bien protégée ?
Loin de là. La Kibira était une grande forêt qui comprenait Ijenda, Muramvya et Kayanza. Aujourd’hui, il ne reste plus que des endroits presqu’inaccessibles. La chasse de quelques rares mammifères qui y restent est la principale menace. On y coupe également des arbres pour le sciage, des gens en extraient des minerais illégalement, mettant en cause ses limites surtout à Mabayi (Cibitoke).
Quid de celles du Nord ?
La situation est identique. Pour les paysages protégés du Nord, il y a une forte pression anthropique. Les limites sont mises en cause. Les gens veulent s’accaparer les réserves.
Le parc national de la Ruvubu est le plus grand parc de mammifères dont dispose encore le Burundi. Sa superficie est à peu près de 50 mille hectares. Il s’étale sur huit communes des provinces Karusi, Cankuzo, Muyinga et Ruyigi. Mais les animaux se trouvent uniquement dans Kigamba et Buhinyuza.
Le buffle est l’animal phare de ce parc. Fin 2017, on en avait recensé 1200 animaux. Il y a aussi des antilopes. On y trouve aussi des crocodiles, des hippopotames, quelques rares phacochères et panthères. Beaucoup d’oiseaux migrateurs qui viennent pêcher dans les lagunes au bord de la Ruvubu.
Dans le Sud et l’Est, il paraît que la situation n’est pas rassurante ?
Elle se dégrade de plus en plus. La petite forêt de Monge a presque disparu, suite à une pression anthropique. Seule la forêt de Bururi a été relativement protégée, ces dernières années. Mais à Vyanda, Rukambasi, Kigwena… La situation est catastrophique. La population envahit ces patrimoines.
Dans le Moso, l’aire protégée de la Maragarazi est menacée. La Sosumo s’est accaparée de sa bonne partie en y plantant de la canne à sucre. La population en a aussi profité. D’un moment à l’autre, elle peut disparaître. Idem pour un paysage protégé sis à Cankuzo, commune Gisagara. Il est sous menace quasi-totale à cause de l’immigration.
Bref, malgré des efforts de l’Etat, la biodiversité est en pleine souffrance.
Ces espaces sont gardés par les éco-gardes. Sont-ils suffisants et bien équipés ?
Pas du tout. D’abord, il y a eu une formation sur le tas. Ce sont des paysans qui travaillent avec des jeunes diplômés A2, A3. Ils montent la garde avec des bâtons, des lances ou des machettes. Or, la plupart des braconniers viennent avec des fusils. Par conséquent, les éco-gardes fuient.
Que faire alors ?
On devrait renforcer la formation, mais également la protection comme c’est le cas dans d’autres pays. Au Kenya, en Tanzanie, les éco-gardes sont armés. Ils sont aussi moins nombreux. Des moyens et des infrastructures de déplacement leur manquent aussi. Il faudrait des pistes bien aménagées.
Est-ce que la disparition de ces aires protégées ne constituent-elles pas une perte pour le pays ?
Une grande perte pour le Burundi et l’humanité entière. La forêt est une richesse mondiale.
Que dit la loi en matière de préservation de la biodiversité ?
Au Burundi, il n’y a pas une loi sur la biodiversité. Depuis 2016 ou 2017, elle n’a jamais dépassé le cap du Conseil des ministres. Le code de l’environnement, sa loi-mère, est aussi vieux. Il date de 2000. Il y a une grande lacune en matière législative dans notre pays. Pour compliquer les choses, l’environnement est devenu une partie du ministère de l’Agriculture.
Est-ce conciliable ?
Je ne le pense pas. Il faut qu’on ait des dirigeants prévoyants et clairvoyants pour pouvoir ménager les deux. Chez nous, l’agriculture est primordiale, mais nous avons aussi besoin de l’environnement puisque nous sommes en retard.
Que proposez-vous ?
Ce secteur mérite un ministère avec un cahier des charges bien déterminé. Pour un pays où plus de 90% de la population vit de l’agriculture, on doit mettre le paquet sur le secteur agro-pastoral. Et s’il faut encore mettre le paquet sur l’environnement, c’est trop demandé. Il faut être des extraterrestres pour faire tourner les deux secteurs dans un même ministère.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze