Mercredi 18 décembre 2024

Économie

Interview exclusive avec Dr Diomède Ninteretse : « Une vision sans actions est un rêve. Aussi, l’action sans la vision est une peine perdue »

18/12/2024 0
Interview exclusive avec Dr Diomède Ninteretse : « Une vision sans actions est un rêve. Aussi, l’action sans la vision est une peine perdue »

Du 5 au 6 décembre 2024, le gouvernement du Burundi a organisé une Table ronde autour de la vision 2040-2060 avec les partenaires au développement et des investisseurs privés. Dr Diomède Ninteretse, expert en leadership, analyse son organisation et ses résultats. Il donne aussi des conseils pour attirer les investisseurs étrangers dans le pays.

Quelle analyse faites-vous de la Table ronde qui vient de se tenir à Bujumbura ?

D’abord, je dois signaler que ce n’est pas une table-ronde.

Pourquoi ?

Il est important de voir quel était son objectif global. Si on analyse le document de départ, c’était de partager la vision du gouvernement en matière du développement socio-économique du Burundi, les réformes envisagées afin de mobiliser les parties prenantes et les ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de cette vision.

On peut analyser même l’objectif spécifique. Il suffit également de voir le format et la méthodologie utilisés.
Pour les objectifs spécifiques, on dit que la Table ronde vise à partager les grandes orientations de la Vision, Burundi pays émergent en 2040, pays développé en 2060. L’autre point était de présenter le Plan national de développement 2018-2027 révisé, son Plan d’action prioritaire ainsi que les ressources financières nécessaires à sa mise en œuvre.

Le troisième point, selon les objectifs spécifiques, c’était de communiquer aux partenaires les réformes importantes en cours et à venir visant à renforcer la croissance économique, la gestion des finances publiques, le développement du capital humain afin de restaurer un cadre macro-économique adéquat, soutenir les objectifs du PND 2018-2027 révisé.

Concrètement, c’était quoi ?

Je crois que même pour le moins informé, il n’y a pas lieu de parler d’une table ronde. C’était un atelier d’échanges. D’ailleurs, il suffit de regarder la méthodologie utilisée. C’était des exposés sur la vision, sur le plan national, sur le cadre macro-économique. Il n’y avait pas la partie importante de collecte des fonds et des engagements sur des secteurs clés.

Qu’est-ce qu’alors une Table ronde ?

Il s’agit d’abord d’un groupe très restreint où on invite les partenaires au développement spécifiques, spécialisés dans un domaine X. Il y a les secteurs clés.

Par exemple, le Burundi devait dire : maintenant, nous avons un problème de devises. Et là, on invite la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, les partenaires travaillant dans la macroéconomie pour discuter de l’inflation et voir comment on peut augmenter la croissance économique.

S’il s’agissait d’inviter les partenaires-clés au niveau de l’énergie, le Burundi pouvait montrer ses gisements de Nickel. Dans ce cas, le pays pouvait appeler ceux qui travaillent dans les minerais pour discuter. Avec un plan stratégique et un plan d’action bien montés. Là, vous leur dites : si vous injectez autant d’argent, nous allons avoir autant de tonnes du Nickel et gagner tel montant.

Bref, une table ronde est organisée sur base d’un secteur spécifique et des bailleurs spécifiques avec un calendrier déterminé. Le grand problème que j’ai constaté est que la problématique n’était pas bien définie.

Parce que maintenant, il y a des indicateurs macro-économiques clairs. Notamment, l’appui budgétaire. Le Burundi n’est plus capable d’avoir des devises pour importer de la matière première. Cela ne peut que passer par l’appui budgétaire où on apporte les devises au pays. C’est à partir de cet argent, de ces devises que l’Etat peut orienter son économie vers la production. Parce que si on n’augmente pas la production du thé, du café, des minerais, on ne va pas avoir des devises.

Si on parle de pays émergent, pays développé, ce n’est pas spécifique. Il y a d’autres pays qui ont travaillé sur la Vision. Ce n’est pas une invention du Burundi.

Par exemple ?

Il y a le Maroc qui a travaillé sur l’énergie avec la construction d’un barrage extraordinaire. Aujourd’hui, c’est à partir de ses revenus que le Maroc essaie encore une fois d’augmenter la production par rapport à ce secteur-clé.
Donc, pour une table ronde, on analyse un secteur-clé d’un pays qui peut générer le développement. C’est à partir de ce secteur qu’on peut développer d’autres leviers.

Maintenant par exemple, le Burundi n’a pas parlé de l’inflation. Pourtant, c’est une situation qui est là. Aujourd’hui, elle est de plus de 30%. Ce qui est une situation anormale. Ne pas parler de cela lors de cet atelier, pour moi, c’est une faute. C’est une certaine négligence de la réalité. On ne peut pas aller dans une situation globale. Ce n’est pas ça une table ronde. Oui, la vision est bien annoncée mais on doit aller dans un secteur-clé.

Mais, la table ronde a connu une participation massive. Plus de mille participants…

C’est impossible. On ne peut pas avoir une table ronde de mille bailleurs de fonds. Les bailleurs sont connus notamment la Banque mondiale, le FMI, la BAD, les pays de l’UE, etc. Alors, pour 1 000 participants, ça devient un dialogue entre partenaires. Je comprends que c’est bon de l’organiser mais je pense qu’il faut raffiner davantage et effectivement aller dans les secteurs clés et chercher les résultats clairs.

Pour les investisseurs privés, il faut monter un document techniquement stratégique, sous forme d’un plan d’affaires. Là, vous montrez à l’investisseur que s’il investit 1 milliard de dollars, il va avoir deux milliards de dollars avec des avantages y relatifs.

Les partenaires au développement ou les bailleurs ne cherchent pas un avantage comparatif notamment le gain, le bénéfice.

Pour un investisseur privé, ce qu’il aimerait entendre c’est de lui dire on a autant de tonnes de Nickel, autant de maisons à acheter, etc. C’est cela qui l’intéresse. C’est pourquoi il faut monter un plan d’affaires attractif. Les investisseurs privés ne viennent pas parce qu’ils aiment le Burundi, ils viennent pour réaliser des bénéfices.

Mais, au cours de ces deux jours, il y a eu des promesses de soutien financier

J’ai vu effectivement les partenaires qui ont promis de l’argent. Mais, ces montants seront utilisés dans quel domaine ? Je crois que ça sera dans l’humanitaire pour aider les victimes des inondations par exemple, les malnutris, les malades du Mpox, etc. Ce sera pour des urgences. Ce n’est pas dans le développement.

Pour vérifier, allez leur demander combien sera investi dans le café ? Maintenant que nous vivons une crise de carburant suite au manque de devises, combien sera réservé à l’approvisionnement en carburant ? Parce que c’est un problème réel que le Burundi doit pouvoir définir clairement. Vous n’aurez pas de réponses précises.

Ces partenaires ont toujours existé. Mais, le Burundi a manqué souvent une vision claire pour les orienter avec un plan bien monté, un calendrier bien ficelé et un mécanisme de suivi de ces partenaires. Le Burundi souffre d’un manque de ce dernier. Les partenaires continuent à appuyer comme ils l’entendent. Quand on parle d’une vision sans actions, c’est un rêve. Aussi l’action sans la vision, c’est une peine perdue. Il faut aller dans le concret et organiser une véritable table ronde basée sur des secteurs clés avec des indicateurs macroéconomiques connus par tout le monde et éventuellement essayer d’augmenter les leviers essentiels notamment la croissance économique, le développement des infrastructures, l’amélioration de la qualité des services. Pour définir une vision, il faut commencer par un diagnostic de l’état des lieux. C’est ce qui nous manque.

Que faut-il faire pour attirer les investisseurs étrangers ?

Le Burundi a besoin de beaucoup de choses. Les gens ne veulent pas le dire. Ils continuent à affirmer que les choses vont bien. Mais, pour attirer les partenaires, surtout les investisseurs privés, le Burundi a besoin plus particulièrement d’améliorer la stabilité politique et la sécurité.

C’est-à-dire ?

Il faut renforcer l’Etat de droit parce que, depuis le début de la crise de 2015, les bailleurs continuent à trouver des arguments pour justifier l’absence de leurs appuis. On dit en effet que le Burundi n’a pas encore atteint la voie démocratique. Il suffit de regarder les gens qui se retrouvent dans les pays étrangers, les réfugiés burundais. Ils sont estimés à plus de 300 mille. Ce n’est pas rien. Certaines organisations continuent toujours à prendre l’argent qui était destiné au Burundi pour le développement, pour assurer les urgences de ces réfugiés. C’est notamment l’alimentation, les soins de santé de ces gens qui se retrouvent dans les pays limitrophes.

Au Burundi, il y a souvent le refus des résultats des élections. Vous vous souvenez le cas récent de 2020. Les bailleurs et les investisseurs sont au courant de tout cela.

C’est vrai. Il y a une sécurité. Tout semble aller. Mais, je pense que c’est important qu’encore une fois, le gouvernement puisse non seulement aller pour renforcer cet Etat de droit mais aussi promouvoir cette réconciliation. Car, il y a des conflits internes entre les partis politiques. On le voit sur le terrain. Il y a des conflits internes au sein même du parti au pouvoir et dans d’autres partis. Regardez ce qui se passe au sein du parti CNL et de l’Uprona même si la réconciliation est déjà enclenchée.

Bref, il faut assainir. C’est juste quelque chose que l’autorité politique ou le président de la République peut faire facilement. Parce que c’est la première condition sine quoi non pour attirer les investisseurs.

Y-a-t-il des exemples du passé ?

Il suffit de regarder en 2005. Quand le président Pierre Buyoya a accepté de négocier et de mettre en application l’Accord d’Arusha, on a connu beaucoup de partenaires de développement. On a connu beaucoup d’investisseurs jusqu’à avoir une croissance de 8%. On a même laissé les crédits qu’on avait. Même à l’époque de Buyoya, les gens disaient ça marche, ça marche mais enfin de compte, il fallait absolument passer par cette étape. Il faut aussi une réforme économique.

Que voulez-vous dire concrètement ?

Il faut simplifier les procédures administratives. Quand on parle de l’exonération, il faut se rassurer que ceux qui ont des exonérations sont de véritables investisseurs et éviter des spéculations.

Au niveau de la fiscalité, il ne faut pas fermer les entreprises qui sont déjà en cours de fonctionnement. Au contraire, il faut encourager les entreprises en difficulté mais qui ont une volonté de travailler. Ce qui passe par l’allégement de la condition fiscale.

L’autre élément très important, c’est la réduction de la corruption. On parle souvent de ce fléau. Même le président de la République ne cesse de le dire. Il en est de même au niveau de l’OBR et du ministère des Finances. On vient de changer les responsables. J’espère que cela va résoudre la question de corruption parce que selon les rapports, on dit que sur 10 camions, 7 ne paient pas des impôts. Ce qui est anormal. Il appartient aux décideurs de mettre en place des mécanismes pour lutter contre cette corruption. Un investisseur étranger ne va pas venir s’il y a toujours la situation de corruption.

Il faut aussi le développement et le renforcement des infrastructures. Il faut parler de l’internet, de l’accessibilité à la technologie. Les gens ont besoin de transférer l’argent de New York, de Paris vers Bujumbura ou vice-versa.
Le Burundi peut ne pas développer les produits mais il peut développer les services. C’est un pays stratégique. Il y a aussi la capitalisation du capital humain.

Est-ce que le Burundi en a suffisamment ?

Bien sûr. Nous avons des gens très instruits, très formés qui ont travaillé dans différentes institutions et qui continuent à aller chercher de l’emploi ailleurs. Nous avons les médecins, les ingénieurs, … qui se trouvent ailleurs ou dans les pays limitrophes. Il faut pouvoir les capitaliser, les intéresser, revoir le système de paiement.

Souvent, on nous accuse que nous n’avons pas de compétences nécessaires alors que nous avons des Burundais qui sont à l’étranger et qui voudraient bien servir le pays.

Le soutien aux investisseurs est aussi nécessaire. Le partenariat public-privé peut donner des résultats positifs. Malheureusement, les gens se précipitent pour vendre les entreprises menacées de faire faillite au lieu de les réformer, de les restructurer. Il faut penser à la protection des investisseurs. Les investisseurs ont besoin d’être protégés.

Quand vous avez déjà donné un titre de propriété, ne pensez pas que demain, vous allez le retirer. Si vous avez donné des exonérations, ne pensez pas que demain vous allez les revoir, les intimider, leur demander de la corruption. Pour les protéger, il faut faire de bonnes lois qui permettent de transférer et de rapatrier les fonds, etc. Je crois qu’il y a des réformes à faire. Ce qui est important c’est de trouver les bonnes personnes pour assurer cette situation.

Quelles sont ces réformes à faire ?

C’est notamment dans le domaine agricole. Il faut que les produits vivriers ou laitiers puissent être transformés et conservés pour l’exportation. Il faut aussi une exploitation des ressources minière et naturelles. Moi, je ne comprends pas pourquoi dans cette conférence on n’a pas montré l’état des lieux pour ces secteurs.

Il y a le tourisme. On a dit que nous avons plus de 200 sites touristiques mais qui ne sont pas très développés. Pour le lac, on dit qu’il faut encore reculer pour respecter la zone tampon. Mais, il y a des investisseurs capables de construire au bord des mers, des océans. Le lac n’est pas exploité. Il faut aussi renforcer la diplomatie économique.

C’est-à-dire ?

Il faut pouvoir savoir vendre ce pays. Le Burundi a beaucoup de choses à dire. Il faut donc renforcer la capacité des diplomates burundais pour savoir comment vendre l’image du pays. La diplomatie, c’est aussi aller dire à ces réfugiés de rentrer au pays. Et là, il faut créer des conditions favorables au rapatriement.

Il faut renforcer la gouvernance et la transparence. On l’a vu. Sous l’époque Jean Baptiste Bagaza, le développement a eu lieu. En 2005 aussi. On a des modèles. Bref, le Burundi a besoin d’un Benchmarking.

Ce qui signifie ?

C’est une méthode qui consiste à comparer les performances ; les pratiques ; les processus d’une organisation, d’un pays. Bref, n’importe quelle entité donnée avec d’autres entités ou avec des standards de référence. L’objectif principal est d’identifier les meilleures pratiques en vue d’améliorer la qualité, l’efficacité et la compétitivité.

Je fais référence à la situation du Maroc, du Botswana, de l’Ethiopie pour un modèle de vision réussie avec des projets bien montés et surtout adaptés aux ressources disponibles et potentielles. Cherchons ces équipes pour venir nous apprendre ! Soyons humbles et écoutons beaucoup plus que parler ! Importons les bonnes pratiques d’ailleurs !

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