Mener une investigation sur la pollution par des débris plastiques, tel était le but d’une étude sur une trentaine de lacs et réservoirs récemment effectuée sous la coordination d’une université italienne. Et le lac Tanganyika était sur la liste. Dr Claver Sibomana, professeur associé, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences, département de Biologie à l’Université du Burundi, a contribué à cette étude. Il revient sur cette dernière et ses résultats.
Quel était l’objectif de l’étude menée sur certains lacs et réservoirs dans le monde ?
D’abord, l’étude a été coordonnée par une équipe de chercheurs de l’Université de Milano-Bococca en Italie. Elle réunissait des chercheurs du monde entier. Nous avons travaillé sur 38 lacs et réservoirs, dont deux lacs africains, à savoir le lac Tanganyika et le lac Sibaya en Afrique du Sud.
L’objectif était de mener une investigation sur la pollution par des débris plastiques. Car, les études précédentes s’étaient limitées sur un nombre limité de lacs. Même en cas d’un nombre un peu élevé, il n’y avait pas de méthodologie standardisée pour permettre la comparaison.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons suivi une méthodologie d’échantillonnage et de traitement de données standardisé. Ce qui a permis la comparaison entre ces différents lacs pour ainsi établir la relation entre la concentration et le type de plastiques, les micro-plastiques et les caractéristiques du lac, la géomorphologie, l’hydrologie ainsi que le bassin versant en considérant l’occupation du sol et la densité de la population.
Que peut-on entendre par la géomorphologie d’un lac ?
Cela renvoie à sa profondeur, sa largeur, sa longueur, le relief du fond.
De façon globale, quels ont été les résultats ?
Notre étude indique que deux types de lacs sont particulièrement vulnérables à la contamination au plastique. Ce sont les lacs et réservoirs qui sont dans les zones densément peuplées et urbanisées. Et les grands lacs et réservoirs avec des zones de dépôt élevées avec un temps très élevé de rétention d’eau et de niveau élevé d’influence anthropique.
Vous avez travaillé sur le lac Tanganyika. Quel a été le constat ?
J’ai pris les échantillons au large de Nyamugari, au sud de Bujumbura. C’est dans une zone qui est encore considérée comme non polluée. J’ai filtré une quantité d’eau à la surface. Les échantillons ont été analysés pour voir la concentration des micro-plastiques.
Résultat ?
A notre étonnement, nous avons trouvé une concentration de micro-plastiques d’environ 2,5 particules par m³. En comparant avec les autres lacs, le lac Tanganyika a presque une valeur moyenne. Il n’est pas parmi les lacs avec les plus grandes concentrations en déchets plastiques. Mais je souligne que j’ai pris des échantillons dans un endroit qui était considéré comme non polluée.
Si on prend les échantillons dans d’autres coins proches de la ville, la concentration en micro-plastiques est supérieure ?
Je pense qu’en considérant les résultats au large ou bien dans la baie de Bujumbura, la concentration en micro-plastiques doit être supérieure.
Le lac Tanganyika est donc vulnérable…
On peut dire que le lac Tanganyika est vulnérable à la contamination au plastique. D’abord, il répond aux critères de vulnérabilité. Il est particulièrement près de la ville de Bujumbura.
Il faut aussi voir la densité de la population tout autour et le niveau d’urbanisation autour de la ville. C’est un lac avec une profondeur très élevée et une zone de dépôt des débris plastique.
Le temps de rétention d’eau est très élevé. Le lac Tanganyika a beaucoup d’affluents avec un seul exécutoire, la Lukuga. Ce qui augmente le risque de contamination par les plastiques.
Mais, quand vous parlez de micro-plastiques, que voulez-vous dire ?
C’est un terme qui est utilisé pour désigner les débris plastiques en dessous de 5 millimètres de longueur.
Sont-ils nuisibles à la santé ?
D’abord, il faut savoir que leur étude ne date pas de longtemps. C’est très récemment qu’on a commencé à étudier leur présence. D’abord dans l’eau et puis dans les organismes vivants récemment dans le corps humain.
Dans les études menées remontant à moins de dix ans, on a constaté la présence de micro-plastiques dans les intestins des poissons, les crustacés, les mollusques qui sont comestibles et les fruits de mer.
On a aussi constaté qu’avec la consommation de ces organismes, l’homme peut ingérer ces micro-plastiques. Selon une étude menée en 2022, on a trouvé des micro-plastiques dans des poumons, dans le sang humain des volontaires.
Quelles sont leurs conséquences sanitaires ?
Jusqu’aujourd’hui, on n’a pas encore bien déterminé la conséquence sur la santé. Mais il y a lieu de s’inquiéter.
Y a-t-il moyen d’éviter leur présence dans le lac Tanganyika ou les réduire ?
Il y a moyen d’éviter ou de réduire au maximum la pollution du lac Tanganyika par les micro-plastiques. On parle beaucoup de la gestion des déchets plastiques. Il faut continuer à mettre en œuvre les mesures de réduction maximale de l’utilisation des objets en plastique, comme le recyclage, et la mise en place de certaines infrastructures permettant de bloquer ces déchets afin qu’ils ne se déversent pas dans le lac ou bien dans les rivières.
Mais à qui revient la responsabilité pour l’atteinte de cet objectif ?
Je pense que les responsabilités sont partagées. Chacun doit jouer son rôle. Avec un accent particulier sur le gouvernement, les services en charge de la protection de l’environnement et de la gestion des déchets, notamment dans les villes.
Il faut quand même souligner le rôle ou l’impact de la ville de Bujumbura sur cette question. Il faut que les services publics s’activent pour agir dans la gestion, le recyclage et la sensibilisation.
Il faudrait prendre des mesures pour que la population qui n’a pas encore compris le bien-fondé de la réduction des déchets plastiques soit sensibilisée et mise devant ses responsabilités par des mesures contraignantes.
Le gouvernement a interdit l’importation et l’usage des emballages plastiques. Mais, ils sont encore là. Qu’est-ce qui manque pour que la décision soit effectivement appliquée ?
Cela relève de la responsabilité des pouvoirs publics qui doivent veiller à la mise en application de cette mesure. Et ce n’est pas seulement les emballages plastiques qui devraient être bannis, on devrait aussi encourager les gens à utiliser des produits plastiques réutilisables.
Si la concentration des micro-plastiques continue d’augmenter, n’y a-t-il pas risque d’impacter négativement le travail de la Regideso ?
Certains peuvent passer à travers le système de filtrage. Il faut aussi souligner que ces particules peuvent être emportées par l’air et être inhalées par l’homme à travers la respiration.
Votre appel ?
Les gens doivent être conscients du danger que ces micro-plastiques peuvent représenter pour la biodiversité et les différents écosystémiques dont nous dépendons pour l’alimentation. Il faut que les gens essayent d’agir pour réduire au maximum la pollution par les micro-plastiques. Si on ne mange pas du poisson du lac Tanganyika, on boit son eau du robinet ou on l’utilise pour la cuisson, etc.
Si on n’agit pas ensemble, on voit que la biodiversité de ce lac est menacée. Et même si les études ne l’ont pas encore démontré, notre santé est en danger. Il y a lieu de s’inquiéter.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze