Vulnérabilité de la ville de Bujumbura ; menace du lac Tanganyika ; début violent de la saison pluvieuse ; … Sur ces questions et bien d’autres, Docteur Athanase Nkunzimana, enseignant chercheur à l’Université du Burundi et expert en prévention des risques et gestion des catastrophes hydrométéorologiques s’exprime. Il propose aussi des stratégies à adopter face aux phénomènes météorologiques extrêmes.
La saison pluvieuse a déjà débuté mais avec des pluies violentes et de la grêle. Il y a des dégâts matériels et humains. Qu’est-ce qui justifie cela ?
D’abord, je dois rappeler que nous sommes dans un contexte de changement climatique. Ce dernier est à la base de l’intensification et de la fréquence des phénomènes extrêmes météorologiques qui se manifestent par les pluies intenses et extrêmes, les orages, la tombée de la grêle, les vents violents, etc.
Ils sont suivis par des inondations dévastatrices, des mouvements de masse, des glissements de terrain, des effondrements, des éboulements et des coulées boueuses.
Mais qu’est- ce qui explique cette intensité ?
Elle s’explique par le fait que la condensation pendant cette période s’est faite dans des conditions météorologiques perturbées. Rappelez-vous que durant les trois semaines du mois de septembre, même vers la fin, on a senti des températures élevées.
Cela était un signe éloquent que l’atmosphère burundaise avait une humidité relativement élevée avec des probabilités des pluies. Mais, il n’a pas plu.
Ce qui signifie …
Ce qui indique qu’il y a eu des écarts entre non seulement la température au niveau du sol et la température au niveau de l’altitude à différents niveaux mais également au niveau de la pression au sol.
Pendant cette période, il y a eu la convergence des alizés intertropicaux au-dessus du Burundi ainsi que des masses d’air océaniques qui proviennent de l’Océan indien.
Visiblement alors, la perturbation serait qu’au niveau local, il y a la différenciation entre les niveaux des pressions mais aussi des températures.
Alors, avec la convergence et l’arrivée des masses d’air océaniques, il s’est fait qu’il y ait l’ascendance brutale des masses d’air, ou la formation des nuages, dans des conditions très perturbées. Ce qui se fait le plus souvent en un laps de temps. Et dans ce cas, on s’attend à des pluies très intenses ou bien à la tombée des grêles.
Bref, les éléments du climat, à savoir la température, le vent au sol, le vent au niveau des différents niveaux de pressions et d’altitude ont connu une certaine anomalie.
Dans le cas présent, que voulez-vous dire par condensation ?
Ici, la condamnation c’est le processus de formation de la pluie. C’est-à- dire le passage de la vapeur d’eau ou masses d’air aux gouttelettes d’eau puis la concentration de ces gouttelettes jusqu’à la saturation complète pour enfin tomber sous forme de précipitations.
A Mugamba, la tombée de la grêle a causé d’énormes dégâts
Oui. Lorsque nous avons une condensation, une formation des pluies mais qui se fait dans un laps de temps, sans passer de l’étape A à Z, dans ce cas, on peut s’attendre à des grêles.
C’est-à-dire quoi ?
On a une différence de pression au sol et une pression qui est très basse. Les régions avoisinantes enregistrent alors une pression élevée.
Cet écart flagrant va créer des conditions de déséquilibre. C’est qu’il y aura une masse d’air qui vient combler le vide au niveau de la zone de basse pression et puis, automatiquement, on a à faire à une ascendance forcée dans une atmosphère où l’humidité relative avoisine 100%.
Alors là, la formation des nuages se fait brutalement et il y a la saturation complète suivie par la tombée brusque de ces pluies qui ne parviennent pas à arriver au sol étant liquide mais à l’état solide.
Quels sont les comportements à adopter dans ces conditions ?
Les populations devaient changer leur manière d’exploitation de la terre et surtout respecter les normes environnementales.
Faire quoi précisément ?
Là, je fais allusion à la politique de traçage des courbes de niveau, les fossés antiérosifs, les herbes fixatrices pour protéger le sol. Sinon, vous vous rendez compte que dans les conditions où il y a des pluies intenses, cela occasionne l’intensification d’érosion hydrique.
Donc, les communautés devaient suivre les politiques de protection des versants des collines. Autre chose, c’est sur la conservation et la gestion rationnelle de la récolte.
Pourquoi ?
Parce qu’avec la tombée de la grêle, presque toutes les cultures sont endommagées. La population qui n’a pas su gérer rationnellement sa récolte peut être confrontée à des problèmes de manque de nourriture et de famine.
Qu’en est-il de la protection physique ou des infrastructures ?
Pour se protéger contre les vents violents, les populations devaient apprendre par exemple à protéger leurs maisons soit par des systèmes mécaniques en renforçant les toitures des maisons.
Dans les villes, dès maintenant, il faut penser à renforcer le système d’assainissement, se rassurer de l’évacuation effective de l’eau pluviale, éviter des rejets des déchets dans les caniveaux, faire le curage et le nettoyage réguliers dans ces canaux d’évacuation des eaux pluviales.
Votre message à l’Etat
Je dois commencer par tranquilliser parce que l’Igebu (Institut géographique du Burundi) a déjà présenté les prévisions saisonnières. Il revient alors à l’Etat de prendre des mesures allant dans le sens de prévention de certains risques liés à la tombée des pluies intenses.
Il doit rappeler, interpeller et encourager les populations à suivre les normes environnementales ; réduire de manière sensible l’érosion hydrique par des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. Aussi, il doit encourager et veiller à la bonne gestion de la récolte.
Mais, il y a déjà dans certaines régions des hangars pour la conservation des semences…
Oui. C’est une bonne chose. Mais pourquoi pas pour la récolte destinée à la consommation quotidienne ? Les autorités devaient prendre les devants dans cette politique afin d’avoir une capacité d’adaptation en cas de ces phénomènes extrêmes qui détruiraient leurs cultures.
Il faut aussi sensibiliser la population, lui apprendre les comportements à adopter aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. Surtout que les pratiques préventives diffèrent selon l’emplacement, la topographie et la zone éco-climatique.
Les autorités devaient mettre en application les plans de contingence au niveau des communes, intégrer la notion de prévention dans les plans de contingence communaux.
Tout cela permettrait d’avoir des réserves de nourriture qui aideraient à venir en aide urgemment aux populations nécessiteuses en cas de pluies intenses ou de la grêle.
Quand on fait un petit tour dans les montagnes surplombant la capitale économique, il y a trop de ravins, des glissements de terrain, etc. Qu’est-ce que cela présage pour la ville ?
C’est terrible. Cela montre qu’effectivement, la ville de Bujumbura est à très haut risque de catastrophe climatique. Vous vous rendez compte qu’en peu partout, on a des ravins, des glissements de terrain, des effondrements, … Mais, ce qui est fort choquant, c’est la pression démographique.
Les populations se sont installées sur ces zones à très haut risque. Vous avez des maisons, des infrastructures tout près des ravins et des glissements de terrain, etc.
Tout cela fragilise la ville de Bujumbura. Elle devient une ville très vulnérable. Dans un contexte comme celui-ci, Bujumbura sera toujours menacée d’un côté par les inondations, de l’autre par ces glissements de terrain.
Que faire ?
Des mesures de prévention s’imposent. Et cela demande une certaine rigueur des autorités. Parce que vous vous rendez compte que depuis le sud jusqu’au nord, il y a des quartiers construits dans une logique non urbanistique.
Des quartiers spontanés avec absence totale du système d’assainissement, d’un plan d’aménagement urbain, d’un plan de prévention des risques, etc.
Lesquels par exemple ?
Ils sont nombreux. Là, je citerai Ruziba, Kizingwe, Nkenga-Busoro, Gitaramuka, Gasekebuye, Sororezo, Gikungu-rural, Gisandema, Muyaga, Kumatafari, Winterekwa, Carama, Gatunguru, Gasenyi, etc.
Il reste beaucoup à faire pour prévenir le pire qui attend la ville de Bujumbura. Là, je dois crier haut et fort. Si rien n’est fait, Bujumbura devient de plus en plus vulnérable aux risques de catastrophes climatiques.
Faut-il interdire carrément l’installation humaine dans les Mirwa ? Réorganiser ces nouveaux quartiers construits anarchiquement ? Et ces constructions se font au vu et au su de l’administration. Même certaines autorités s’y installent. Que proposez-vous ?
Suite à la pression démographique et aux activités dont vivent les Burundais, il est difficile d’interdire carrément l’installation humaine dans les Mirwa.
Toutefois, le gouvernement est appelé à mettre à la disposition du public la carte multirisques qui montre les zones à risque et faire appliquer le Code de l’environnement, le Code de l’eau et le Code de l’urbanisme, de l’habitat et de construction. Une fois ces derniers appliqués, on pourra réduire les impacts des risques climatiques.
Pour les villes, je demanderais au ministère ayant l’urbanisme dans ses attributions de restructurer les quartiers spontanés, spécialement dans la ville de Bujumbura, pour éviter d’amplifier sa vulnérabilité aux risques de catastrophes hydrogéologiques et climatiques.
La restauration de ces quartiers permettrait non seulement l’installation du système de communication (routes) mais également la facilitation de l’assainissement (gestion des eaux pluviales, des déchets liquides ou effluents)
Dans moins d’un mois, il se tiendra, à Baku en Azerbaïdjan, la Conférence des Parties (COP29). Après la COP28, certains pays de la région sont rentrés avec des promesses de financements consistants. Mais, au Burundi, on n’entend pas souvent parler des retombées des COP. Votre analyse.
A ce niveau, je ne crois pas que j’aurais beaucoup de choses à dire tant que je n’ai pas les projets déjà réalisés ou les financements déjà obtenus par le Burundi et qu’est-ce qu’on n’en a fait. La personne la mieux indiquée pour répondre à cette question serait le point focal de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique au Burundi. Après son intervention, là, je pourrai faire mon analyse. Je me réserve pour le moment.
Voilà qu’on est déjà dans la saison pluvieuse sans que les eaux du lac Tanganyika aient reculé. Côté Kibenga, des habitants essaient toujours de bloquer l’eau avec des sacs remplis de sable. Quels sont vos conseils aux riverains de ce lac ?
Avec l’expérience, depuis 2020, 2021, on a constaté que le lac Tanganyika recule lentement. C’est cela même qui inquiète. Parce que dans le passé, on croyait que les inondations du lac Tanganyika étaient cycliques. Mais, pour le moment, ce n’est plus le cas.
Parce que vu ces trois années consécutives, on se rend compte qu’il y a eu la récurrence d’inondations, de la montée de ses eaux, avec le pic en 2024. Et comme vous le dites, le recul n’est pas rapide.
Mais, malheureusement, il y a des populations qui tentent de demeurer là en utilisant leurs moyens rudimentaires, les sacs remplis de sable pour se protéger. Et la question c’est sur la durabilité évidement. Est-ce que ces sacs pourront durablement freiner les eaux du lac Tanganyika ? Je dis non. Ce sont des initiatives des collectivités locales.
Oui, on salue ces efforts quand même mais ce ne sont pas des activités qui pourront franchement servir à grand-chose. Il faudrait d’autres mécanismes.
Lesquels par exemple ?
Je sais que le logement c’est plus coûteux. On se sacrifie. Mais, sacrifier sa vie c’est autre chose. Le mieux serait de s’installer ailleurs en attendant le retrait total des eaux du lac.
Pour le moment, on n’est pas sûr si cette montée ne va pas reprendre. Car, les fluctuations du niveau du lac ne sont plus prédictibles. L’histoire récente nous a montré cela. Que ces gens sachent qu’ils sont dans la zone à très haut risque.
Ceux qui n’ont pas de moyens pour construire avec du matériel adapté afin de limiter les eaux du lac Tanganyika devaient chercher l’abri ailleurs et pas dans cette zone tampon.
A ce niveau, le gouvernement devait prendre d’autres mesures pour la protection de sa population. C’est pourquoi, dans certaines conditions, l’Etat oblige les gens menacés à dégager en peu.
Le gouvernement devait exiger certaines conditions pour construire dans cette zone à très haut risque. Il faudra aussi revoir la délimitation de la zone tampon du lac Tanganyika.
C’est-à-dire ?
Il ne faut pas mesurer la zone tampon par distance en longueur ou en largeur mais délimiter la zone tampon par rapport à l’altitude.
Comme ça, on saurait que des populations qui sont à plus de 780 mm sont à l’abri. Mais, celles qui sont en dessus de cette mesure, qu’elles sachent qu’elles sont dans la zone tampon, donc, une zone à très haut risque d’inondations.
Là, seulement ceux qui ont des moyens de construire des infrastructures capables de résister à ces fluctuations du niveau du lac peuvent y rester. Pour d’autres, il faut qu’ils s’installent ailleurs.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze
le climat change suite aux areas climatiques !
Merci beaucoup Dr Athanase pour cette analyse si importante. il est importe de rappeler aux organes/personnes cités que la part d’un scientifique est incontournable dans la prise de décisions pour atteindre un développement durable.