A l’occasion de la célébration du jubilé d’or de l’Institut d’Education physique et des Sports (IEPS) de l’Université du Burundi, dans la semaine du 11 au 15 mars 2024, le doyen Dr Adrien Ngayimbesha a exprimé sa fierté par rapport aux réalisations de l’institut. Cependant, il a reconnu l’existence de défis du moment dont les solutions ne sont pas envisageables à court terme. Suivez !
Pouvez-vous nous parler de l’histoire de l’IEPS et de son évolution au fil des années ?
Et bien si je commence par l’existence de l’institut, il a vu le jour en septembre 1974. Il a ouvert ses portes et débuté les enseignements en tant qu’institut d’Education physique et des Sports à part entière. Sinon, avant 1974, il y avait des enseignements, mais ils étaient mélangés à d’autres.
Cela veut dire quoi ?
De 1968 à 1972, il y avait une formation multidisciplinaire Chimie-Biologie-EPS ». Et à l’issue de la formation, les lauréats pouvaient enseigner et la Chimie et la Biologie et l’EPS. Après, la chimie est partie pour rester avec Biologie-EPS.
Là aussi, le lauréat était appelé à pouvoir enseigner la Biologie et l’EPS à l’école secondaire. On a alors commencé l’Institut d’Education physique et des Sports tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Combien de lauréats avez-vous déjà sortis ?
De 1974 à l’année académique 2011-2012, 37 promotions ont déjà suivi les enseignements ici à l’IEPS. Nous avons fait sortir 635 lauréats, parmi lesquels il y avait 29 lauréates filles uniquement.
Alors, depuis l’année académique 2011-2012, il y a eu un changement dans l’organisation des enseignements au sein des institutions d’enseignement supérieur. Nous avons basculé dans le système connu sous l’appellation de BMD.
C’est-à-dire ?
Avant, les enseignements étaient organisés en quatre années et les lauréats sortaient avec le niveau licence. Avec ce changement, les enseignements sont à trois années et le lauréat sort avec le niveau que nous appelons bachelier.
Alors, depuis cette année de basculement dans le nouveau système, nous avons déjà fait sortir neuf promotions. Pendant les neuf promotions, nous avons 351 lauréats garçons contre 130 lauréates filles.
Donc un engouement du côté féminin ?
Avant, l’engouement était très faible. Mais avec le temps, nous constatons effectivement que le nombre de candidates dans notre institut évolue d’année en année.
Si bien que dans les neuf promotions, nous avons 130 lauréates, alors que dans les 37 promotions de l’ancien système, on avait uniquement 29. La différence est de taille.
Comment est née l’idée de création de l’IEPS ?
Avant, dans l’enseignement supérieur, il y avait la Faculté des lettres, la faculté des Sciences et bien d’autre Facultés. L’autorité d’alors s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose qui manquait, à savoir la formation à la pratique physique, à la mobilité. Le rôle joué par l’activité physique dans l’enseignement était une lacune.
Du coup, elle a constaté la nécessité de former les gens qui sont capables d’encadrer et de promouvoir la pratique physique, non seulement à l’université, mais dans les écoles secondaires depuis la base et dans tout le pays.
Le gouvernement de l’époque a alors contacté des partenaires afin qu’ils puissent trouver les gens qui pourront faire démarrer les activités de l’Institut d’Education physique et des Sports.
C’est ainsi que les partenaires français, résultat de la coopération, ont été contactés et notre institut a commencé à fonctionner grâce aux enseignants français qui y étaient affectés. Finalement, ces partenaires français sont partis. Ils ont été remplacés par des lauréats burundais qu’ils avaient formés.
Y a-t-il des réalisations en éducation physique dont votre institut peut se vanter après 50 ans d’existence ?
Bien sûr. Je peux classer les réalisations en éducation physique en trois catégories qui correspondent aux trois missions principales assignées à l’institut.
Ces trois missions sont l’enseignement et la formation ; la recherche et enfin le service à la communauté. Si je reviens sur l’enseignement, et bien, vous venez d’entendre que nous avons fait sortir beaucoup de lauréats.
Si je prends le total de l’ancien système et celui du nouveau système, nous sommes déjà à un effectif qui avoisine les 1 500 lauréats déjà sortis, qui sont affectés ici et là dans notre pays et même ailleurs à l’étranger.
Pouvez-vous être plus concret
Nous avons formé pour le pays. Les gens sont là en train de travailler et de servir la Nation dans des domaines variés. Il s’agit notamment de l’enseignement des cours d’EPS et d’autres cours connexes dans les écoles secondaires.
Ils servent également dans l’administration, dans les bureaux pédagogiques et même dans l’administration politique.
Ça, c’est du côté volet enseignement. Si je vais dans le volet recherche, et bien l’enseignement et la recherche vont de pair. Quand, il n’y a pas de recherche, il n’y a pas d’évolution. Notre institut a alors fait des recherches dans le domaine de l’enseignement pour mettre à jour les enseignements que nous faisons.
La réalité est que d’année en année et après quelques années, nous devons revoir nos méthodes d’enseignement parce que les résultats de la recherche nous ont montré que les méthodes ne sont plus adaptées. Les contenus sont revus, l’approche méthodologique aussi grâce aux résultats de la recherche. Cette recherche nous aide également dans d’autres volets socio-politiques.
Par exemple ?
Les lauréats qui sortent de notre institut sont appelés non seulement à aller enseigner mais également à vulgariser la pratique physique et le sport à travers au sein de toute la population. Et pour cause, la pratique physique et le sport, c’est pour l’entretien du corps.
On vise également la performance sportive et la performance va de pair avec la recherche. Voilà, c’est dans ce sens-là que nos résultats de la recherche sont appliqués sur le terrain d’entraînement pour pouvoir accéder au haut niveau de performance sportive.
Alors, notre institut est également dans la vulgarisation, dans le rayonnement de la pratique physique sur tout le territoire national.
Expliquez
Un éducateur physique qui est affecté dans une province ou dans une commune est non seulement là pour enseigner mais également pour vulgariser dans la population environnante la pratique sportive et pour faire la détection des talents. Il oriente les athlètes vers telle ou telle discipline en tenant compte des habiletés motrices des uns et des autres. Voilà. Cela, c’est pour la pratique physique.
Il y a le service à la communauté dont j’ai parlé qui est un autre volet très essentiel. Les gens sont ici et là, à gauche à droite, en train d’aider la population, en train de vulgariser la pratique physique sans demander aucun sous.
Comment ?
Dans chaque province, il y a un centre de rayonnement sportif avec un éducateur physique chargé du centre. Il n’est pas payé pour cela.
C’est pour aider la population, vulgariser la pratique physique et les bienfaits de l’activité physique. Il s’agit donc d’un service à la communauté. Aujourd’hui, nous sommes en train d’évoluer. À côté de l’enseignement, à côté de la performance sportive, nous sommes allés dans le domaine de la santé.
Nous avons un laboratoire qui aide surtout les gens qui vivent avec des pathologies chroniques à essayer de résoudre ces problèmes de maladies chroniques non pas par la méthode médicamenteuse, mais en utilisant l’activité physique et sportive. Nous sommes conscients que c’est un outil de remède à ces pathologies, accessible à tout le monde qui veut le moins cher.
Tout le monde peut l’utiliser et être bénéfique pour sa santé. C’est un laboratoire de notre université. Il est logé dans un bâtiment de l’université du Burundi. Il est tenu par un enseignant de l’Institut d’Education physique et des Sports.
Vous avez réalisé beaucoup de choses et vous en êtes fiers. Y a-t-il encore des défis à relever ?
Il existe bien évidemment des défis à relever. Le premier défi, c’est d’abord la massification des étudiants. Nous avons pour le moment un grand nombre d’étudiants alors que le matériel didactique n’est pas suffisant. Je donne un exemple.
J’’ai une classe de basket-ball en première année avec 120 étudiants. Sur une surface d’un terrain de basket-ball, c’est beaucoup. Nous devrions avoir au moins quatre terrains de basket-ball pour un effectif pareil. Or, nous n’avons que deux terrains de basketball qui sont pour le moment exploitables.
C’’est un problème qui est là, que l’on ne peut pas résoudre aussi facilement. Mais cela ne nous empêche pas de travailler.
C’est tout ?
L’autre défi, ce sont les conditions socioéconomiques dans lesquelles notre pays se trouve. Pour le moment, il n’y a plus de restauration comme c’était avant.
Nos étudiants doivent se débrouiller pour manger. Oui, ils reçoivent une aide du gouvernement, une pré-bourse, mais quand même ils perdent leur temps pour aller préparer à manger.
Je pense même que pour faire joindre les deux bouts du mois du côté étudiant, ça devient un problème. Regardez la flambée des prix et la petite somme qu’on réserve à ces étudiants ! Les étudiants ne sont plus aussi motivés comme ils l’étaient avant parce qu’ils doivent se battre pour pouvoir avoir quelque chose à mettre sous la dent.
Du coup, la capacité de performance et la condition physique de nos étudiants vont en diminuant.
L’autre problème est lié aux conditions socioéconomiques dans lesquelles se trouve notre pays. Nos enseignants sont en train d’aller à la retraite un à un.
Le recrutement n’est pas aussi facile que comme on souhaiterait. Là aussi, ça devient un handicap pour exercer efficacement notre métier.
La situation des terrains délabrés n’est-ce pas un autre grand défi ?
Presque tous les terrains de jeu sont en train de vieillir. Ils datent en effet de la création du campus Kiriri dans les années 50.
Ils commencent donc à être amortis. Toutefois, ce n’est pas parce que les terrains ne sont pas en bon état que nous allons croiser les bras.
Nous continuons à travailler autant que faire se peut et à demander aux autorités habilitées pour que leur réhabilitation puisse avoir lieu. Toutefois, nous sommes conscients que les moyens qui sont à notre disposition ne peuvent pas faire tout.
C’est pourquoi nous contactons ici et là les partenaires pour que nous puissions avoir un financement, une aide pour la réhabilitation de ces infrastructures sportives et en même temps académiques.
Même le building dans lequel nous travaillons est vétuste. Nous osons espérer que demain ou après-demain, dans un an ou deux ans pourquoi dans dix ans, nous pourrons avoir un autre lieu de travail à la hauteur de notre carrière.
Est-ce qu’il y a des alternatives qui sont proches par rapport à toutes ces situations ?
Par rapport à la restauration de nos étudiants, il s’agit d’une mesure qui a été prise et dictée par les situations dans lesquelles le pays vivait. En fait, il y a eu une politique d’éducation pour tous. Il en est résulté une augmentation des candidats à l’université du Burundi.
D’où le problème de restauration parce que cela engageait beaucoup de fonds. On a constaté que l’université n’était plus en mesure de nourrir tous les étudiants qui étaient dans le besoin. Mais nous avons le devoir de les accueillir, de les enseigner, mais pas de les nourrir.
D’autant plus que même à l’école secondaire en septième année, les petits garçons ne sont plus nourris. Ça serait insensé qu’un homme de l’université du Burundi soit nourri alors qu’un petit garçon d’une dizaine d’années ne prend pas son petit déjeuner à l’école.
Quand est-ce que cette mesure va être levée ? Je ne sais pas, je ne pourrai pas y répondre. Mais moi, ce que je comprends, c’est qu’avec cette massification, il n’était plus tenable de continuer.
Est-ce qu’un jour on pourra réintroduire la restauration des étudiants ?
La question dépasse le cadre de mes compétences.
Et par rapport aux infrastructures sportives ?
Notre université fait tout ce qui est à sa portée et à la hauteur des moyens qui lui sont alloués. De temps en temps, il y a des infrastructures réfectionnées puisque la taille de l’enveloppe allouée à l’université ne peut pas répondre à tous.
C’est pourquoi nous toquons en peu partout chez nos partenaires pour voir si nous pouvons avoir de l’argent nécessaire à la réhabilitation de nos infrastructures. En 2006, c’est grâce par exemple à la coopération française que la piscine a été réhabilitée.
Nous essayons, avec l’aval et le concours de nos autorités, de demander aux partenaires de nous aider dans ceci et cela. Entre temps, nous continuons d’enseigner en n’utilisant le peu de moyens à notre disposition.
Vos lauréats et lauréates sont sortis en grand nombre, mais ils font face au chômage. Quel est votre commentaire ?
C’est une question qui hante tout le monde, pas seulement les étudiants mais nous les enseignants également. Le politique en est aussi préoccupé. Alors, la question du chômage, nous devons la prendre de manière globale dans toutes les facultés qui existent dans notre pays.
Pour le moment, il n’y a pas de solution miracle. Ce que nous faisons dans les enseignements d’aujourd’hui, nous indiquons aux étudiants qu’à la sortie ils ne doivent pas uniquement être des demandeurs d’emploi mais plutôt des créateurs d’emploi pour pouvoir embaucher d’autres.
Si tu fais des statistiques comparées avec les lauréats des autres facultés et instituts, tu vas constater heureusement que nos lauréats ne sont pas les plus nombreux au chômage. Ils savent comment se débrouiller dans la vie.
Ils ont compris que dans l’enseignement public, c’est vraiment un peu saturé et ils se débrouillent dans le secteur privé. Beaucoup évoluent positivement dans des secteurs qui n’étaient pas de leur prédilection.
Ils parviennent à s’insérer dans la société, à travailler, à évoluer, à avoir de quoi manger. J’ai confiance en nos lauréats. Seuls fainéants sont au chômage.
Propos recueillis par Emery Kwizera