Après la réunification des « ailes » du parti Uprona, l’aile Charles Nditije a un mot à dire.
Quelles sont les conditions/ préalables que vous aviez posées pour entrer dans cette réunification des Badasigana ?
Nous sommes entrés dans cette réunification et ce rassemblement des Badasigana parce que nous estimons que c’est la seule voie pour réhabiliter le parti de l’Indépendance, redorer son blason et lui permettre de continuer à participer activement dans les institutions du pays ainsi qu’au développement harmonieux et durable du pays
Et après ?
Nous voulions ce processus pour qu’il mette ensemble toutes les tendances sur un même pied d’égalité sans qu’une tendance prétende dominer ou imposer une autre. Une tendance au fait qui va vers les uns et les autres pour mettre ensemble leurs forces et être plus fort ensemble.
C’est un processus aussi qui devrait être piloté librement sans qu’il y ait une injonction ou une interférence du parti CNDD-FDD dont on connaît le rôle néfaste dans le démantèlement du parti Uprona tout comme d’autres formations politiques de l’opposition.
En plus, c’est un processus qui devrait mettre en avant une vision politique, un projet de société, un programme politique axé sur la réhabilitation de l’Accord d’Arusha, l’Etat de droit, la bonne gouvernance, la séparation des pouvoirs, une justice indépendante ainsi que négocier les conditions de retour des réfugiés.
Nous voulions aussi mettre nos forces ensemble avec les autres forces vives de la Nation, les partis politiques, les membres de la société civile afin de négocier avec le CNDD-FDD la réouverture des espaces des libertés, des droits civils et politiques pour permettre le bon fonctionnement de toutes les organisations politiques et de la société civile. Nous devrions également nous entendre sur les étapes à suivre.
Et l’échec de votre réunification avec l’Uprona de Kumugumya ?
Pour nous, le processus de réunification tel que nous le souhaitions n’est pas sur la bonne voie et partant ne produira pas les résultats escomptés pour les raisons suivantes : c’est un processus dont les parties prenantes ne sont pas parvenus à s’entendre sur les objectifs des uns et des autres qui me semblent ne pas être les mêmes. Les uns, surtout ceux de Kumugumya, et ceux de l’aile de Tatien Sibomana et Evariste Ngayimpenda veulent participer aux élections de 2025 quoi qu’il en coûte pour décrocher des postes à l’Assemblée nationale, au Sénat, au gouvernement et ailleurs dans l’administration.
Cette soif du pouvoir, des places à occuper pour des avantages matériels et salariaux, ils l’ont déjà démontrée par le passé notamment lors de la mascarade des élections de 2020. Souvenez-vous qu’à côté de ceux de Kumugumya, Evariste Ngayimpenda et Tatien Sibomana, pour ne citer que ceux-là, avaient adhéré aux partis, qui au CNL, qui au FDS Sangira, qui au Ranac pour pouvoir justement être mis sur les listes électorales de ces partis alors qu’ils étaient censés diriger le parti. A mon sens malheureusement, ils n’ont rien décroché et ils ont été obligés de revenir à l’Uprona pour se réclamer comme des leaders du parti Uprona. Ce qui est quand-même déplorable. Normalement, si on va dans les élections, il faut d’abord négocier les conditions de la tenue des élections crédibles.
Qu’avez-vous suggéré ?
Le comité de coordination nationale mis en place ainsi que les comités de coordination au niveau des provinces et des communes qui devraient travailler de manière consensuelle n’ont pas pu fonctionner tel que nous le souhaitions.
J’avais suggéré qu’on devrait se voir régulièrement avec Olivier Nkurunziza, Evariste Ngayimpenda pour redresse les points d’achoppement chaque fois que de besoin. Mais, malheureusement, ils n’ont jamais voulu qu’on se mette ensemble et qu’on discute régulièrement.
On a vu qu’il y avait une volonté d’imposer des membres du comité de Kumugumya. Nous avions aussi proposé que les élections puissent se tenir en tenant compte du nouveau découpage administratif depuis la colline, en passant par la commune, la province jusqu’au niveau national pour qu’on puisse élire des militants engagés qui ont fait leurs preuves et qui sont compétents. L’objectif étant qu’on puisse mettre en place des organes au niveau national qui devraient être consacrés par un congrès national et qui devraient définir la vision, le projet de société de cet Uprona réunifié.
Malheureusement, ils ne l’ont pas voulu. Ils veulent imposer des gens pour qu’ils puissent les positionner pour les élections à venir.
Est-ce que la réunification de l’Uprona de Kumugumya et les ailes de Tatien Sibomana et d’Evariste Ngayimpenda vise les prochaines élections ?
La participation à tout prix aux élections de 2025 et 2027 est le leitmotiv principal de cette réunification dans le but, comme je l’ai dit, de décrocher des avantages à travers des places que voudra bien leur donner le CNDD-FDD. Je dis bien que voudra bien donner parce que les dés sont déjà jetés. J’y reviendrai. Le CNDD-FDD les interpelle en leur disant eh bien venez nous accompagner et on va vous récompenser par quelques miettes afin justement que cette mascarade électorale de plus soit crédibilisée aux yeux de l’opinion.
Qui dit se préparer bien aux élections dit normalement négocier un environnement favorable à des élections crédibles ; négocier un cadre légal qui favorise la participation équitable dans les mêmes conditions.
Cela passe par une Constitution qui soit ouverte, un Code électoral consensuel, la Ceni et des démembrements mis en place de manière concertée. Tout n’a pas été fait et ne sera pas fait d’ici à 2025, d’ici à 2027.
Avec l’Uprona réunifié, nous proposions de laisser libre de penser et de concevoir notre vision politique, notre projet de société, notre programme politique que nous devrions soumettre à la volonté populaire pendant les élections.
Pour cela, il fallait concevoir, élaborer de manière concertée ce programme, ce projet de société, cette vision mais rien de tout cela n’est envisagé dans le processus de réunification parce que ce n’est pas leur premier objectif comme je l’ai déjà dit.
Est-ce que les élections de 2025 et 2027 seront crédibles ?
Qui dit élections crédibles dit élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives. Pour cela, il y a des préalables, des conditions minimales qui doivent prévaloir au Burundi avant, pendant et après les élections.
Il faut d’abord que l’environnement politique et sécuritaire soit apaisé et rassurant pour tout le monde. Or, aujourd’hui, le Burundi connaît un climat de terreur, de violences multiformes, d’intimidation dirigé contre les opposants politiques ou supposés comme tels.
Au niveau des violations des droits de l’Homme, y compris le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, on déplore les violations des droits de l’Homme, les violations du droit à la vie, les enlèvements, les disparitions forcées, les violences basées sur le genre, les tortures, les arrestations et les détentions arbitraires contre les opposants.
Cela a été dénoncé par les députés de l’UE tout comme le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies notamment en 2021 lors de la 46e réunion du Conseil des droits de l’Homme qui a déclaré que la situation des droits de l’Homme reste profondément préoccupante au Burundi. Doudou Diène a invité la communauté internationale à être vigilante et à reconnaître la gravité des violations de l’Homme, et les autres traitements dégradants, les persécutions, la persistance de l’impunité, le manque d’ouverture des espaces démocratiques.
En plus, pour que les élections soient crédibles, il faut que le cadre légal et réglementaire ouvre les espaces des libertés politiques. Malheureusement, nous constatons que la Constitution du 7 juin 2018 enterre définitivement l’Accord d’Arusha qui avait stabilisé le pays. Cette même Constitution consacre un monopartisme de fait et donne aux présidents de la République des pouvoirs exorbitants qui peut nommer les membres du gouvernement indépendamment des résultats obtenus aux élections législatives.
Le fonctionnement des partis politiques, des membres de la société civile et des médias indépendants avant, pendant et après les élections est quasi impossible quand on regarde comment cela se passe aujourd’hui.
Si on regarde le nouveau Code électoral qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat en avril de cette année, il ajoute le drame au drame parce qu’il a été d’abord initié de façon unilatérale. Il est liberticide et met des barrières quasi insurmontables devant certaines formations politiques. Je citerai par exemple les 100 millions de caution pour la présidentielle, les 2 millions pour les législatives et les 200 mille pour les communales. Quel parti politique pourra disponibiliser ces montants si ce n’est que le CNDD-FDD qui est corrompu et qui pille les biens de l’Etat un peu partout, qui rançonne le peuple burundais ?
Donc, on comprend bien qu’en aucun cas tout cela ne pourra pas conduire à des élections crédibles. Ce sera encore une fois une mascarade électorale que celle qu’on a connue en 2020 si ça ne sera pas pire puisqu’Agathon Rwasa qui les menaçait a été mis hors course.
Quel appel lancez-vous aux Badasigana ?
Nous leur demandons de ne pas céder au découragement ; de rester serein ; de rester fermes et déterminés malgré le contexte difficile de terreur, de misère ; de rester debout ; de continuer à défendre l’idéal de paix, d’unité, de réconciliation à travers la restauration de l’Accord d’Arusha , de la démocratie et de l’Etat de droit.
Nous leur demandons aussi de ne pas suivre les leaders qui ne pensent qu’à suivre aveuglement le CNDD-FDD pour décrocher quelques miettes et d’autres avantages sans penser nullement à l’intérêt général, à la paix et à la sécurité pour tous.
Tout cela est pour nous en quelque sorte donner une caution à un pouvoir criminel, dictatorial. C’est quelque part une traitrise à l’idéal de paix, d’unité telle que prôné par le prince Louis Rwagasore.
Nous demandons aussi à nos militants de dépasser les clivages politiques et ethniques ainsi que de combattre toute forme de division et d’exclusion.
Nous leur demandons de se mettre ensemble avec les autres forces vives de la Nation pour former un vaste mouvement de résistance interethnique, intergénérationnel, intergenre pour dire non au pouvoir du CNDD-FDD qui a plongé le pays dans une misère sans nom, lequel pays est au bord de la faillite comme l’a dit lui-même le président Evariste Ndayishimiye.
Nous leur demandons de prendre leur courage en mains malgré ce contexte difficile et surtout d’éviter d’être dupes ou complices ; de refuser d’être inféodés au CNDD-FDD ; de refuser sa complicité par leur silence ou par manque de lucidité.
Nous leur demandons enfin de mieux s’organiser ; d’être solidaires ; de mettre de côté toute autre considération partisane afin de se focaliser sur un seul objectif qui me semble prioritaire et qui vaille la peine, à savoir la paix, la sécurité et la dignité du peuple burundais comme le souhaitait le héros de l’Indépendance, le prince Louis Rwagasore.
Ensemble, il faut y croire et continuer à y croire.