Un enfant albinos de 4 ans a été enlevé à Kinama, commune Ntahangwa en mairie de Bujumbura, le 29 janvier dernier. Son corps mutilé sera trouvé, 48h plus tard, à Cankuzo. L’association Albinos Sans Frontières déplore une vingtaine de cas similaires depuis 2008. Rencontre avec Chadrack Nahumuremyi, son porte-parole.
Comment avez-vous accueilli l’enlèvement et l’assassinat d’Abdul Igiraneza ?
C’est triste. Une très mauvaise nouvelle. Comme tout Burundais, tout être humain animé d’Ubuntu, nous l’avons accueilli avec une grande amertume. Nous sommes vraiment dans le désarroi. C’est un crime odieux. L’enfant a été sauvagement assassiné.
Que s’est-il passé?
Abdul Igiraneza a été enlevé à Bujumbura. Il a été conduit à Cankuzo pour y être lâchement assassiné. Ce trajet pour un enfant de moins de 5 ans, c’est déjà traumatisant.
Selon des informations recueillies dans son quartier, il était parti à l’église qui se trouve près du domicile familial. Ce jour-là, on dit que l’enfant était suivi depuis le matin par ces criminels. Puis, vers 19 h30, il est venu un véhicule noirâtre. L’enfant était en train de jouer avec les autres à l’extérieur. Et ils ont fait semblant de vouloir jouer avec eux puis leur ont proposé de les ramener chez eux. Innocemment, ils sont montés à bord. Mais, par après, ils ont fait descendre les autres enfants et sont restés avec Abdul. Selon les dires de ces enfants, Ils lui ont donné des beignets. C’est autour de 22h que sa maman a constaté son absence à la maison. Directement, on s’est lancé à sa recherche. Sa photo a été mise sur les réseaux sociaux. Même notre association s’est impliquée. C’est finalement lundi matin que nous avons appris que le cadavre de l’enfant a été retrouvé à Cankuzo. Un coup de foudre.
Comment était son corps ?
(Silence). Les photos qui ont circulé sur les réseaux sociaux étaient terribles. Le corps était démembré, dépecé. Les jambes et les bras étaient coupés. On lui avait même mis des cordes au cou. Une atrocité sans nom.
Qui sont les auteurs ?
Des criminels sans nom. Les auteurs sont des personnes qui ont été gagnées par la superstition. Je dois signaler que de tels assassinats ciblés contre les albinos ont commencé en 2008. Jusqu’aujourd’hui, Abdul Igiraneza est la 28e victime.
Les auteurs ont été punis. Etes-vous satisfait?
Oui. Au début, six personnes ont été arrêtées pour des raisons d’enquête. Et par après, quatre ont été libérés. Deux ont été condamnés, dont un à perpétuité avec une amende de 40 millions BIF. Et des enquêtes se poursuivent. Nous disons merci à la justice burundaise. Mais nous aimerions que l’on parvienne à identifier les commanditaires car nous avons appris que ces organes sont vendus en Tanzanie. Nous avons alors besoin de savoir qui sont les commanditaires. C’est de cette façon qu’on parviendra à démanteler ce réseau.
Ces punitions sont-elles suffisantes vu le crime commis ?
Pas du tout pour quelqu’un qui a tué une personne. Le plus important pour nous est de poursuivre les enquêtes pour identifier les commanditaires.
Le chauffeur du véhicule des ravisseurs a été relâché. Est-ce normal ?
C’est la déception! Les juges qui ont décidé de le relâcher doivent avoir leurs raisons. Mais nous estimons qu’il devrait être interrogé pour donner les détails de cette opération depuis Bujumbura jusqu’à Cankuzo. En tout cas, son rôle doit être déterminé.
Outre ces assassinats, les albinos font face à beaucoup d’autres défis. Par exemple ?
Si on part du cas d’Abdul, il ne vivait plus avec son père. Sa mère se débrouillait seule pour sa survie. Et ce, parce qu’Abdul était né albinos. Le père d’Abdul n’a pas voulu reconnaître son fils. Au contraire, il a accusé son épouse de l’avoir trompé avec un blanc. Et ils ont divorcé.
Des problèmes sanitaires aussi ?
Beaucoup d’albinos sont atteints du cancer de la peau. Au cours de ces dernières semaines, nous venons d’enterrer trois des nôtres, suite à cette maladie. Sans moyens financiers, démunis ils ne peuvent pas se faire soigner à temps. Aujourd’hui, nous avons quatre autres cas graves. Ils souffrent du cancer de la peau. Ils ont besoin d’une assistance pour se faire soigner.
L’accès aux soins et aux médicaments n’est pas facile. Car, au Burundi, il n’y a pas de spécialistes qui peuvent nous traiter efficacement comme au Rwanda, en Tanzanie et au Congo Brazzaville. Les crèmes solaires pour la protection de notre peau sont très chères. On doit s’approvisionner de l’étranger. Un petit flacon coûte environ 9000FRW. Et toujours pour se protéger, un albinos doit porter un chapeau et un habit à longue manche. Des lunettes antisolaires aussi. Or, beaucoup de familles des albinos sont pauvres, incapables de s’en procurer.
Quid de la place des albinos dans la société, de l’éducation des enfants albinos ?
Au niveau social, malgré les sensibilisations, il reste beaucoup à faire. Il faut d’abord qu’on te reconnaisse au niveau de la famille. Après la société fera de même.
A l’école, les albinos ne se sentent pas à l’aise. Suite aux problèmes de vision, un enfant albinos était placé près du tableau noir ou utilisait des papiers. Aujourd’hui, les enseignants n’ont pas ce temps pour s’occuper particulièrement d’eux.
Il arrive même que d’autres enfants le découragent par des moqueries, des injures, etc.
Combien d’enfants albinos se trouvent sur le banc de l’école aujourd’hui ?
Selon le recensement que nous avons effectué en 2010, il y avait 996 albinos au Burundi. Mais, par après, nous n’avons pas pu trouver des moyens financiers pour effectuer un autre recensement. Mais, par des données récoltées ici et là sur les naissances d’enfants albinos, aujourd’hui, nous sommes 1240. Ceux qui sont à l’école sont au nombre de 419. Nous avons aussi six étudiants, dont trois filles.
Votre appel aux albinos?
Nous demandons aux albinos de se protéger. Ne pas s’aventurer seuls dans les rues. On devrait comprendre qu’un albinos est un enfant comme les autres. Le jour où les parents comprendront cela, il n’y aura plus d’assassinats d’albinos. A l’Etat, il faut sanctionner de façon exemplaire les auteurs de ces crimes.
… »Nous avons alors besoin de savoir qui sont les commanditaires »…
Ni hier, ni aujourd’hui, pas demain peut-être, les commanditaires au Burundi ne sont jamais inquiétés. Qui vivra verra. Pourtant, on nous dit que tous les gouvernements que nous avons connus ont des services de renseignement très puissants.