Où en est-on avec le rapatriement des réfugiés burundais vivant en Tanzanie? Quelles perspectives pour ceux établis dans d’autres pays ? Comment se fait le rapatriement dans ce contexte particulier de covid-19 ? Etc. Entretien avec Brigitte Eno Mukanga, la représentante a.i du HCR au Burundi.
Le Groupe technique de travail de la commission tripartite a tenu récemment à Kigoma une réunion sur le rapatriement volontaire des réfugiés burundais vivant Tanzanie. Quels résultats ?
Il s’agissait, du 22 au 24 juillet, de l’évaluation d’un plan d’action qui existe déjà. Il y avait des objectifs que nous nous étions fixés antérieurement et il fallait donc faire le bilan, voir ce qui a été déjà ou pas encore fait.
Parmi les recommandations, il a été notamment question d’accroître les efforts de plaidoyer afin de susciter les fonds nécessaires à l’opération de rapatriement. Un processus qui demande beaucoup de fonds : pour le transport, la collecte des vivres et des non-vivres et la réintégration des rapatriés.
Aussi a-t-on convenu de la coordination interministérielle pour la réintégration effective des rapatriés. Cette dernière exige en effet le concours de ministères clés aux différents besoins qu’ils connaissent. Il faut penser par exemple au problème d’accès à la terre qui en appelle à l’intervention du ministère de l’Agriculture.
L’autre recommandation a été la question de la prise en charge des rapatriés spontanés. Les réfugiés n’étant pas contraints de rentrer via le cadre prévu par la commission tripartite, il convient de s’assurer que les retours spontanés sont mieux coordonnés. Les retournés spontanés doivent aussi bénéficier d’un paquet retour équitable ainsi que les documents pour faciliter leur accès à l’assistance et à la réintégration.
Quel est l’état des lieux du rapatriement pour l’heure ?
A ce jour, nous avons déjà accueilli presque 88 mille rapatriés en provenance de différents pays, dont plus de 87 mille de la Tanzanie où le rapatriement a commencé en 2017. Le reste étant essentiellement issu de la RDC (184) et du Kenya (742).
Il faut rappeler que lors des discussions de novembre 2019, nous avons convenu de faciliter tous ceux qui voudraient rentrer en rapatriant entre mille et deux mille réfugiés la semaine, soit deux convois par semaine. Mais toujours est-il que le processus de rapatriement reste volontaire. Ainsi, ils ont été parfois en dessous ou au-delà des prévisions.
Le rapatriement se fait donc en dents de scie, ce qui relève de la volonté ou des besoins des réfugiés. Sauf qu’il est venu à être suspendu lors de la période électorale, le gouvernement voulant peut-être s’assurer le contrôle strict des mouvements. Mais à ce niveau de rapatriement, il faut cependant souligner le grand défi de la pandémie du coronavirus.
Le rapatriement se poursuit-il dans ce contexte particulier de la Covid-19 ?
Avec la pandémie du nouveau coronavirus, nous avons engagé des discussions avec les deux gouvernements pour demander la suspension du processus de rapatriement. Car il y avait nécessité d’un certain nombre de mesures à prendre pour éviter la propagation de ce virus, surtout dans les zones d’accueil. Les entretiens n’avaient pas encore abouti, mais nous avons profité de la petite suspension occasionnée par la tenue des élections pour adapter les infrastructures à notre disposition au contexte de la pandémie. Notamment la réinstallation des points d’eau, la prise de température dans les centres d’accueil, etc.
Après, avec le lancement de la campagne de dépistage de masse de la Covid-19, nous avons plaidé pour le dépistage dans les centres de transit des rapatriés. Il se fait systématiquement dans ces centres. A Makamba et à Ruyigi notamment.
Quels sont les défis auxquels vous faites face dans le processus de rapatriement?
Le grand défi est celui de l’insuffisance des moyens financiers, des ressources nécessaires surtout pour couvrir les projets de réintégration des rapatriés, qui sont de grands projets. Il faut entendre ici notamment le réaménagement des écoles, le besoin des abris pour ces retournés, etc. Il faut aussi noter la problématique de réinsertion des enfants rapatriés dans des écoles. Actuellement, uniquement autour de 52% parviennent à se réintégrer dans les écoles. Tandis que, pire, au niveau du secondaire, moins de 10% d’élèves arrivent à s’intégrer. Nous devons tout faire avec l’aide des autres agences pour faciliter l’absorption de la population qui revient, notamment par l’augmentation de salles de classe. Les besoins en eau et assainissement, l’octroi des pièces d’identité ou encore le besoin de la terre constituent d’autres services qui exigent trop de moyens financiers.
C’est par la couverture de ces besoins que nous pouvons nous assurer d’un retour véritablement durable. Car, à défaut, il y a risque de reprise du chemin d’exil et il n’y a pas plus triste que d’avoir des gens qui font plusieurs fois le cycle d’asile. Nous devons ainsi tout faire avec les autorités communales et provinciales sans oublier les autres partenaires de développement pour nous assurer de ce retour durable.
Les conditions de vie dans les camps de réfugiés en Tanzanie ne constituent-ils pas une contrainte au retour ?
C’est oui et non. Non dans le sens où ils viennent d’eux-mêmes pour se faire enregistrer. Et pour preuve, nous y avons encore plus de 166 mille réfugiés burundais.
Et puis, oui. Il y a une certaine forme de contrainte et le HCR ne cesse de le dénoncer. Nous avons sorti plusieurs communiqués et engagé des discussions avec les autorités tanzaniennes afin d’arrêter cette attitude. Personne ne souhaite devenir réfugié. Quand on devient réfugié, c’est parce qu’on est poussé par une certaine situation. Et tout le monde peut le devenir, surtout dans le contexte africain. Ainsi, demandons-nous au pays d’asile, en l’occurrence la Tanzanie, de continuer à assurer la protection de ceux qui ne sont pas encore prêts à rentrer.
C’est vrai les Etats nous rappellent souvent qu’ils sont souverains. Ceci est une discussion, quoique difficile, qui doit continuer pour que tout le monde puisse respecter les droits des réfugiés. Il faut souligner que la réinstallation dans des pays tiers est difficile, surtout qu’elle ne concerne en général qu’ 1% de la population.
Hormis ceux établis en Tanzanie, quelles perspectives pour le rapatriement des Burundais réfugiés dans d’autres pays ?
Au niveau des autres pays, nous avons également des accords tripartites signés par le passé, mais qui méritent d’être réactivés. Nous avons notamment tenu une réunion avec la RDC, qui enregistre presque 100 mille réfugiés burundais, et deux convois étaient déjà arrivés l’année passée n’eût été la covid-19. Au Kenya, avec 13 mille réfugiés burundais, le rapatriement a été suspendu avec la fermeture de l’aéroport. S’agissant du Rwanda, il y a également cet accord tripartite, sauf que le rapatriement n’a pas encore commencé. En tout cas, lors de notre dernière rencontre à Kigoma, il a été, entre autres points à l’ordre du jour, question de voir comment relancer ces accords tripartites en place. Notamment avec la réouverture des frontières.
Propos recueillis par Edouard Nkurunziza