En marge de sa visite au Burundi, du 15 au 18 septembre 2024, ce diplomate de carrière et aujourd’hui directeur général du Musée royal de l’Afrique centrale (AfricaMuseum), s’est entretenu avec Iwacu.
Qu’est-ce que les gens peuvent retenir de votre visite au Burundi ?
Je viens de prendre mes fonctions au Musée royal de l’Afrique centrale il y a plus d’un an (en mai 2023). Il était donc important pour moi de venir au Burundi pour rencontrer nos partenaires et faire des propositions sur notre coopération. J’ai eu des contacts avec les Officiels au niveau de la Présidence, du ministère de la Culture et de l’Université du Burundi. J’ai pu rencontrer des étudiants où j’ai animé une conférence.
Avant, je suis allé voir mon homologue du Musée national de Gitega où j’ai rencontré également le directeur général de l’Office burundais pour la Protection de l’Environnement (OBPE). Et le premier jour, j’ai fait une visite de courtoisie au ministère burundais des Affaires étrangères. J’ai pu aussi visiter le centre de l’OBPE de Bujumbura.
Dans notre visite au Burundi, j’ai également rencontré la société civile et la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) parce que cette dernière fait aussi un travail sur le passé. En tant que Musée et institution scientifique, nous aurons l’importance de raconter justement notre passé commun puisque les deux pays (la Belgique et le Burundi) ont eu un chemin commun. En ce moment donc, nous avons plusieurs terrains de coopération.
Lesquels ?
D’abord nous avons des partenariats autour de la Biologie. Il faut savoir qu’il y a quelques espèces de mouches qui sont très importantes pour la pollinisation et l’agriculture. Là-dessus, nous avons un partenariat avec l’OBPE. Nous avons également une collaboration avec l’Université du Burundi sur des questions de taxonomie de poissons.
Vous ne vous imaginez peut-être pas l’importance de la biodiversité au Burundi. En matière de poissons, il y a énormément d’espèces. Ce qui est une richesse naturelle du Burundi, mais qui, quelque part aussi, fait partie d’un patrimoine mondial de biodiversité qu’il est important de préserver.
Au-delà de cela, nous avons aussi des coopérations en matière de géologie. En ce moment, j’ai deux collègues géologues en visite au pays et qui travaillent avec leurs collègues burundais sur les risques naturels. Un de ces risques qui se manifestent souvent dans la région, ce sont les glissements de terrain.
C’est quelque chose qui est présent dans la nature, mais qui, avec l’agriculture et la surpopulation accélérées dans la région, constitue un danger pour les vies humaines. C’est dans ce domaine où on fait la coopération scientifique qui est vraiment importante pour les populations.
C’est tout comme domaines de partenariat ?
Non. Il y a aussi une coopération dans le domaine culturel. Nous travaillons sur un projet européen qui va permettre à des Musées en Afrique de se joindre à un réseau de directeurs des Musées africains et européens. Ici, nous nous intéressons aux formations et aux renforcements des capacités en matière de gestion, de collection et d’organisation d’expositions.
Le Musée royal de l’Afrique centrale dont vous êtes DG a été érigé en 1898 à la gloire de la « mission civilisatrice » et pour honorer le projet colonial du roi Léopold II. Quelle est sa mission aujourd’hui ?
Nous avons deux missions. Nous sommes plus connus d’abord en tant que Musée. À ce titre, depuis une dizaine d’années, nous sommes en train fondamentalement de questionner et revoir notre manière de fonctionner. C’est ce qu’on appelle décoloniser une institution qui trouve ses racines dans le passé colonial de la Belgique. Aujourd’hui, nous voulons changer notre fonctionnement et surtout les mentalités.
Alors qu’auparavant nous étions un Musée sur l’Afrique, aujourd’hui nous voulons être un Musée qui travaille avec l’Afrique et les Africains. Que ça soit nos homologues scientifiques ou de la société civile dans des pays tels que le Burundi ou que ça soit des personnes afro-descentes en Belgique, nous voulons les impliquer beaucoup plus dans le passé et travailler avec ces derniers en tant que partenaires dans un esprit de cocréation.
Notre deuxième mission est certainement de travailler en tant qu’une institution scientifique. Nous sommes une institution pluridisciplinaire. On travaille sur la Biologie, la Science de la terre, l’Anthropologie, l’Histoire, l’Archéologie et la Musicologie. En rassemblant toutes ces disciplines, nous voulons être un partenaire des institutions en Europe, aux États-Unis et particulièrement en Afrique. Nous avons des partenariats avec des institutions dans au moins une vingtaine de pays africains.
En quoi alors cette deuxième mission peut être utile ou profitable pour le Burundi ?
Je crois que nous avons un passé commun. Il est alors important pour nous de partager les archives, les connaissances et les capacités pour raconter ce passé. Cette coopération entre scientifiques, Burundais et Belges, m’est très chère. Pour moi, il est également essentiel de non seulement développer nécessairement une seule vision sur notre passé, mais de permettre aux différentes voix de se compléter. Parfois, peut-être c’est se contredire.
Mais, ces foras permettront d’enrichir le débat sur ce passé colonial et d’arriver à une meilleure compréhension commune. Il ne faut pas s’arrêter seulement à notre passé, il faut regarder vers l’avenir. Les coopérations que je viens d’énumérer sont pour moi importantes pour l’avenir du pays. Par exemple, le sous-sol du Burundi est actuellement considéré comme un des atouts du pays. Nous pouvons, par conséquent, apporter des éléments, dont des archives, des cartes qui apportent des informations pouvant aider le gouvernement à accélérer la prospection et l’exploitation minière du pays.
Cela a été le sujet d’une réunion tenue à la Présidence où on a clairement dit que nous voulons le faire en toute transparence. Et notre engagement en tant qu’institution c’est de mettre à la disposition du pays les données que nous avons. Ce sont des données historiques, mais qui sont aussi collectées par nos chercheurs jour après jour.
En septembre 2022, une délégation du Parlement belge était en visite au Burundi « pour examiner avec les parlementaires burundais les impacts du colonialisme belge et définir les perspectives ». Que pensez-vous de ce besoin d’une mémoire partagée ?
Je crois que cette commission a mené un travail important. Des recommandations ont été formulées. Et celles qui portent sur le fonctionnement du Musée, nous les appliquons. Il est vrai que ces recommandations n’ont pas été votées, in fine, par les Parlements puisqu’il y avait des discussions politiques allant dans le sens de réparation. Or, cette question n’est pas de mon ressort.
C’est une question éminemment politique et qui dépasse mes compétences en tant que directeur général du Musée royal de l’Afrique centrale. Elle fait d’ailleurs l’objet de nombreux débats, en Afrique comme en Europe, mais elle n’est pas encore tranchée. Il ne faut pas quand même sous-estimer les difficultés qui y sont liées. Mais nous, en tant que Musée, on peut être un lieu de discussion.
Mais, le Burundi, comme ses homologues de la région, reste confronté à un racialisme, conscient ou non, « inoculé » par l’anthropologie coloniale. Y a-t-il un programme d’AfricaMuseum pour le Burundi en vue de permettre la relecture de l’Histoire ?
Je crois que ce chapitre a été fermé depuis longtemps. En 1964, le Musée a déjà transféré ses collections de dépouilles humaines vers les Musées de Science naturelle avec un jugement que l’anthropologie physique n’était pas une science. Ce que nous faisons aujourd’hui au Musée, c’est justement de déconstruire le discours colonialiste et raciste ou racialisant qui, à un certain moment, a été mené à l’époque par le Musée.
D’ailleurs, dans notre exposition permanente, vous allez retrouver une salle qui porte sur le racisme aujourd’hui. Vous allez y trouver aussi un dépôt de statues qui se trouvait à l’époque au Musée même dans les salles. Aujourd’hui, elles ont été remises dans un dépôt.
Il peut être visité avec un guide. Ce dépôt démontre justement combien et comment à l’époque, en créant certaines images, le Musée a contribué à racialiser. C’est une tâche essentielle du Musée. Nous donnons plus particulièrement aux enfants (1-18 ans), un accès libre au Musée.
Nous suivons beaucoup de groupes scolaires avec des programmes pédagogiques visant à démasquer le discours colonialiste et raciste qui, à un certain moment, a été utilisé comme un instrument de propagande par des agents coloniaux.
La Belgique est souvent accusée de « conserver certains objets du patrimoine immatériel burundais ». En définissant la décolonisation en trois temps : réparation, restitution, réappropriation, quel regard portez-vous sur ces trois enjeux pour le Burundi ?
La position de la Belgique est très claire. Nous avons aujourd’hui une loi qui date de 2021 qui dit que les objets qui ont été volés ou retenus à cause de la violence et la manipulation vont redevenir la propriété du Burundi, tout comme au Rwanda et au Congo.
La question de la réappropriation est aussi cruciale. À quoi bon de restituer des objets quand on ne peut pas comprendre quelle était la signification sociale, économique, politique, culturelle et spirituelle de ces objets ?
Et là-dessus, je reviens justement à ce réseau entre directeurs de musées africains et européens.
Notre volonté est d’intensifier la coopération à ce sujet, permettant par exemple de faire des expositions communes entre l’Europe et l’Afrique. Cela permettra, de part et d’autre, de mieux comprendre quelle est la richesse africaine qui date de bien avant, à l’époque coloniale. Il ne faut pas réduire l’Afrique à son passé colonial. Même les efforts des archéologues ont déjà démontré que l’Afrique est le berceau de l’Humanité.
Dans le prolongement de son projet « MuzunguTribes », le photographe burundais Teddy Mazina a fait, en 2023, une exposition sur « My name is no-Body » visant à comprendre la persistance des stéréotypes ethno-raciaux par le prisme de la photothèque coloniale. Pourquoi vous l’avez tiré à boulets rouge ?
Le Musée avait commandé une vidéo à Teddy Mazina. Il en a, in fine, proposé une exposition qui, en voulant dénoncer certains stéréotypes risquait, dans l’esprit du public, de les renforcer même. La position du Musée a été ainsi très claire : nous avons permis à Teddy Mazina d’aller de l’avant dans cette exposition. Mais nous lui avons demandé d’être présent dans l’exposition pour faire une médiation et pour expliquer sa démarche qui, en fait, n’était pas claire.
Il a accepté de le faire pour deux jours. Malheureusement, il n’a pas eu le temps de le faire plus de deux jours. Ce n’était pas une exposition en tant que telle. C’était une exposition dont le message n’était pas de nature à réconcilier.
Ce sont des personnes, particulièrement des afro-descentes qui m’ont demandé de ne pas ouvrir l’exposition sans médiation. Je regrette qu’il n’ait pas eu du temps pour faire ce travail de médiation.
Dans le long couloir qui mène au Musée, on peut lire cette devise d’AfricaMuseum : « tout passe sauf le passé ». Quel est le message qui est derrière ?
C’est un message que nous reconnaissons notre passé et que nous ne voulons pas l’occulter. Dans l’exposition permanente du Musée, nous voulons montrer par exemple le passé colonial et démasquer le discours colonial. Dans la Grande Rotonde du Musée royal de l’Afrique centrale, il y a par exemple certaines statues qui sont très stéréotypantes.
Nous nous intéressons à cet ancien langage colonial tout en essayant de le déconstruire. Cette devise ne signifie pas en fait que nous voulons nous limiter au passé, nous voulons également parler de l’Afrique et de sa richesse culturelle et scientifique à travers des expositions.
Propos recueillis par Pascal Ntakirutimana
C’est à travers la coopération que se fait la recolonisation.Il a parlé de mouches et coopération biologique.Attention aux mouches et moustiques génétiquement modifiées créés dans le but de réduire la surpopulation de la région dont parle ce monsieur.Les anciens colons n’ont pas abandonné le projet de continuer à disposer de nos ressources naturelles.D’ailleurs il parle de volet politique.Nous ne sommes pas dupes.J’espère qu’Iwacu va publier mon message pour être lu par tous.