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Interview exclusive – Antoine Ndayiragije : « Lusaka contribue indirectement dans le développement de Kayogoro »

02/12/2020 Commentaires fermés sur Interview exclusive – Antoine Ndayiragije : « Lusaka contribue indirectement dans le développement de Kayogoro »
Interview exclusive – Antoine Ndayiragije : « Lusaka contribue indirectement dans le développement de Kayogoro »

L’accueil des réfugiés, le travail de la CVR, la cohabitation politique post-électorale, le développement socio-économique, des commerçants qui migrent vers d’autres pays …. Antoine Ndayiragije, administrateur de la commune Kayogoro, en province Makamba, fait le point.

Aujourd’hui, il y a un grand mouvement de retour des réfugiés burundais. Quelle est la situation à Kayogoro ?

Oui. Notre commune est aussi concernée. Là, nous avons deux catégories de rapatriés. D’abord, ceux qui ont fui le pays en 1972. Seulement, ils ne sont pas en grand nombre aujourd’hui. Ils ont commencé à arriver en 2008. Ensuite, nous accueillons ceux de 2015.

Quels sont les défis rencontrés dans cet accueil ?

Pour la première catégorie, nous avons quelques problèmes d’accès aux terres. A leur arrivée, nous procédons à leur identification. Et la question de récupérer leurs terres, c’est la Commission nationale des terres et autres biens (Cntb) qui s’en occupe. Mais, en attendant la restitution, ils sont installés dans des abris provisoires. Heureusement, la majorité a déjà été rétablie dans leurs droits. D’autres attendent les décisions de la Cntb.

Pour ceux de 2015, pas de problèmes majeurs. Parce que leurs terres ont été protégées. Même leurs maisons. Ils retournent directement dans leurs domaines. Ils reçoivent un paquet retour. Chaque fois, nous demandons aux résidents de les accueillir amicalement et de leur venir en aide. Les rapatriés sont à leur tour invités à intégrer les coopératives collinaires.

Et socialement ?

C’est là que nous avons de sérieux problèmes. Il arrive des cas où un rapatrié rentre avec une autre femme alors qu’il avait laissé une autre au Burundi. Une situation très difficile. Mais, on se réfère à la loi burundaise pour trancher. Il y a aussi des enfants non enregistrés qui rentrent avec des parents. Là, nous leur recommandons de se faire enregistrer à l’état-civil. Idem pour les mariages illégaux. Nous leur exigeons de régulariser. Pour les élèves rapatriés, en collaboration avec les autorités scolaires, ils réintègrent l’école.

Ce rapatriement coïncide avec le travail de la CVR. Comment appréciez-vous son travail ?

La population a tellement soif de la vérité. Cela pourra peut-être renforcer la cohésion sociale dans l’avenir. Cette commission est déjà à l’œuvre à Kayogoro. Elle a déjà récolté des témoignages. Des témoins ont dit la vérité. C’est vrai la crise de 1972 n’a pas épargné notre commune. Des fosses communes ont déjà été répertoriées.

Il y a aussi la crise de 1993 ? Comment Kayogoro a vécu cette période ?

En 1993, notre commune a été aussi touchée. A cette époque, j’étais en 8ème année. A ce que je sache, il n’y a pas eu de tueries interethniques ici. Pas un Hutu qui a tué un Tutsi. Et vice-versa. Seulement, il y a eu la peur. Ce qui a poussé beaucoup de gens à fuir vers la Tanzanie.

Mais, il paraît que votre commune a été une zone de combats?

Oui. Quand est venu le moment pour ceux qui se sentaient opprimés de se réveiller pour défendre la démocratie, ils ont été bien accueillis à Kayogoro. Nous avons vraiment combattu pour la démocratie. Même celui qui n’a pas pris un fusil, il a nourri les combattants pour la démocratie. Et la bataille s’est bien clôturée. Nous en sommes fiers. Même aujourd’hui, nous veillons pour la démocratie. Nous ne souhaitons pas que la paix retrouvée après tant de sacrifices soit encore perturbée.

Quid de la cohabitation politique post-électorale ?

Très bonne. D’abord, ici dans notre commune, la campagne électorale s’est bien déroulée. Pas d’incidents majeurs à signaler. Les partis politiques ont bien collaboré et cohabité. Ce qui a fait que même après les élections, la cohabitation politique est restée bonne et s’est beaucoup améliorée par après. Les politiciens, la population, chacun vaque tranquillement à ses activités quotidiennes pour se développer.

Sur quoi est basé le développement de votre commune ?

Elle vit surtout de l’agriculture et de l’élevage. Nous faisons aussi le commerce des produits agricoles. Le manioc constitue la base. A la récolte, nous avons au moins 15 camions de type Fuso, remplis de manioc, qui descendent à Bujumbura. Cette culture fait vivre des familles et la commune via les taxes. Et là, il faut ajouter le maïs, le haricot, arachide, colocase, etc.

Ensuite, aujourd’hui, chaque colline a une coopérative. Nous apprécions l’initiative du gouvernement d’octroyer dix millions BIF par colline. Cela permet l’amélioration du niveau de vie des membres. Et elles sont inclusives.

Nous avons construit six marchés modernes. Ce qui signifie que chaque zone a un marché moderne sauf la zone Bigina qui compte deux marchés.

Ces infrastructures sont-elles alimentées en électricité ?

Seul le marché de Kayogoro est alimenté en électricité. C’est notre combat aujourd’hui. Le processus est en cours. En 2018, nous avons acheté des équipements électriques totalisant 240 millions BIF. Et ce, avec l’enveloppe donnée aux communes via FONIC.

Qu’est ce qui n’a pas marché ?

Dans nos prévisions, on projetait de les alimenter à partir de la SOSUMO. Mais, l’argent destiné aux communes a été, cette fois-ci, envoyé dans les coopératives. Et les travaux se sont arrêtés.

Ces équipements risquent donc de se détériorer ?

Non. Nous avons écrit au ministre ayant l’énergie dans ses attributions pour qu’il puisse nous aider à trouver une solution. Ces équipements doivent servir notre commune. Il nous a déjà répondu. Il a déjà envoyé une équipe sur le terrain. Des appels d’offres ont été déjà lancés. Nous espérons que dans les jours à venir, les travaux d’installation de ces équipements vont commencer.

Mais on parle beaucoup de commerçants qui désertent Kayogoro vers la Zambie. Pourquoi ?

Nos commerçants sont très curieux et entreprenants. Ce sont eux qui occupent nos marchés. Mais cela n’empêche pas qu’ils aillent où il y a un grand bénéfice. Beaucoup sont allés investir en Zambie mais pas pour une installation définitive.

Ils y installent des boutiques et des kiosques qu’ils confient aux employés. Et le bénéfice est rapatrié à Kayogoro pour augmenter le capital ou redynamiser le commerce. Ils construisent de belles maisons, achètent des véhicules de transport, etc. Bref, Lusaka contribue indirectement dans le développement de Kayogoro. Ils se rendent en grand nombre même au Malawi, en Afrique du Sud, etc.

Qu’en est-il des échanges entre Kayogoro et la Tanzanie ?

La Tanzanie est un pays frontalier. Et nous effectuons des échanges. En cas de diminution de la production de manioc dans notre commune, les Tanzaniens y écoulent le leur. Idem pour le maïs, l’arachide, etc. Et ce via les passages sur la rivière Malagarazi. Mais de notre côté, la sortie se fait par la voie officielle de Mabanda parce qu’ici sur cette rivière, il n’y a pas de services douaniers.

Quelles sont les mesures prises ici à Kayogoro pour se prémunir contre le coronavirus ?

Nous interdisons les sorties et les entrées via la Malagarazi. Nous essayons de faire un contrôle régulier sur la frontière. Nous sensibilisons aussi la population au respect des gestes barrière pris par le ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida.

Par exemple ?

Se laver les mains au savon régulièrement avec de l’eau propre, installer des kits de lavages des mains dans des endroits de grand rassemblement, ne pas se serrer les mains en se saluant, la distanciation sociale, etc.

Dans votre région, on parle d’histoires de sorcellerie, de fétichisme. Quid de Kayogoro ?

(Rires). Oui. Ces histoires existent ici, mais ce n’est pas toujours vrai. Seulement des cas isolés. Je ne peux pas confirmer ou infirmer. Quand on échange avec la population, on te dit que cela existe. Mais difficile de le prouver. Nyange est un endroit de Makamba très réputé en la matière. On dit qu’il y a des experts en la matière : des sorciers, des féticheurs, des tradipraticiens, ceux qui volent, etc. C’est une zone frontalière à Kayogoro. Mais je pense qu’on exagère.

Aujourd’hui, la question de la protection de l’environnement mobilise le monde, y compris le Burundi. Et dans votre commune ?

Autrefois, Kayogoro n’était pas peuplée. Il y avait beaucoup de forêts, avec des éléphants, des lions, des antilopes, etc. Nos parents nous disaient qu’il y avait un avion chasseur d’éléphants qui sillonnait la région. Et ce, pour récupérer les ivoires. Une pratique qui était surtout observée dans la zone Bigina, dans la localité appelée Bikingo.

Mais aujourd’hui, toutes ces localités sont occupées par la population. Les animaux qui ont survécu à cette invasion humaine ont fui vers d’autres localités, comme en Tanzanie ou à Cankuzo. Et voilà, nous avons un sérieux problème de bois.

Le programme « Ewe Burundi Urambaye » est alors venu à point nommé ?

Exactement. Cela va nous aider à reboiser nos collines. Pour aller plus loin, nous comptabilisons aujourd’hui 39 pépinières sur les 29 collines. Pour protéger nos sources d’eau, nous avons déraciné tous les eucalyptus plantés tout près des ruisseaux.

Seulement, nous avons un sérieux problème de termites. Quand on plante des eucalyptus, les plants sont attaqués par ces bestioles. Nous sommes en train de voir comment avoir d’autres espèces qui résistent à ces insectes. Des courbes de niveau sont en train d’être tracés sur les montagnes à fortes pentes.

Il paraît que la polygamie est très pratiquée à Kayogoro

Il fut un temps où la polygamie était comme une culture à Kayogoro. Mais aujourd’hui, la pratique perd de l’ampleur.

Pourquoi ?

Depuis le décret présidentiel du 22 septembre 2016, des sensibilisations ont été menées sur toutes les collines de recensement. L’administrateur d’alors a bien signalé que la polygamie est une infraction punie par la loi burundaise. Idem pour les mariages illégaux. Ce qui a été renforcé par un autre décret présidentiel du 1er mai 2017. Là, il a donné aux couples illégaux une période de régularisation. Ce genre de couples a ainsi sensiblement diminué.

Vous êtes nouveau. Quels sont les projets pour votre commune ?

Je n’apporte rien de nouveau, car mon prédécesseur était un travailleur. Nous allons finaliser l’école moderne des métiers, l’hôtel communal à deux niveaux et étendre le bureau communal. Par exemple, des bureaux manquent pour l’ingénieur communal, le service foncier, la régie communale de l’eau, le secrétaire permanent de l’administrateur, etc. Nous allons donc construire un autre bloc en étages. Nous comptons aussi augmenter la production pour pouvoir exporter vers l’étranger.

Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze & Fabrice Manirakiza

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