Cohabitation politique post-électorale, relations avec le Rwanda, retour des réfugiés, invasion des criquets puants, protection de l’environnement, tactique pour retransformer Kirundo en grenier du pays… Albert Hatungimana, le nouveau gouverneur de Kirundo s’exprime.
Comment est la cohabitation postélectorale dans votre province ?
D’abord, les élections se sont bien déroulées. Les partis politiques en compétition étaient principalement CNL, Cndd-Fdd, Frodebu, Frodebu-Nyakuri et Uprona. Durant le processus électoral, il n’y a pas eu de graves incidents, sauf une personne tuée à Ntega. Le présumé auteur et membre du CNL a pris le large. Mais aujourd’hui, il a été arrêté. La justice travaille sur le dossier.
Et après les élections ?
Nous avons tenu des réunions avec les élus sur les 193 collines de Kirundo et les chefs des services. Aujourd’hui, l’attention est portée sur le travail. La cohabitation politique est bonne.
Les jeunes sont pour le moment très actifs dans les coopératives. Et toutes les tendances y sont représentées. Idem pour les comités mixtes de sécurité. Que cela soit la nuit ou la journée, ils veillent sur la sécurité. Peut-être que c’est pour cette raison que la paix règne à Kirundo.
Et pourtant un certain Oscar Nahimana, membre du CNL, est porté disparu il y a quelques jours ?
Moi aussi je l’ai lu sur les réseaux sociaux. Je ne peux pas l’affirmer. Je n’ai pas beaucoup d’informations. Je n’y ai pas attaché beaucoup d’importance. Les enquêtes sont en cours.
Par ailleurs, nous sommes à la frontière. Ce peut être un ennemi qui est venu et l’a enlevé, des règlements de compte, etc. Mais la lumière sera un jour connue, si réellement il a eu un problème ou a été enlevé et tué. C’est un cas isolé.
Quelle est la situation des rapatriés ?
Kirundo est une province à grand retour des réfugiés. 68% des occupants du camp de Mahama proviennent de notre province. Via leurs messages, nous constatons qu’ils sont très impatients de rentrer. A Mahama, plus de 20 mille se sont déjà fait enregistrer. Malheureusement, il y a une lenteur des opérations. Même avant le rapatriement de ceux du Rwanda, nous recevions des rapatriés de la Tanzanie, de l’Ouganda.
D’ailleurs, Kirundo et Bugabira sont classées dans les dix premières communes qui accueillent beaucoup des rapatriés au niveau national.
Comment sont-ils accueillis ?
Le rapatriement fait partie des priorités de l’Etat « Mvyeyi » (responsable). Ces rapatriés sont alors accueillis suivant la ligne tracée par le gouvernement. De notre côté, nous avons tenu des réunions à l’endroit des administratifs à la base pour les préparer à ce mouvement. Idem pour la population.
Quels sont les défis auxquels vous faites face ?
Ils sont tellement nombreux. Quand quelqu’un vient de passer cinq ans en exil, il doit y avoir des problèmes. Ceux liés aux biens laissés avant leur départ. Certains avaient confié leurs biens, leurs propriétés, leurs maisons, leurs champs aux voisins avant de quitter le pays. Des maisons détruites, des champs exploités, etc.
Pour continuer à profiter de ces biens, certains résidents donnent des messages erronés. Ils disent aux réfugiés que la situation est encore explosive, qu’il n’y a pas de sécurité dans le pays, qu’il ne faut pas rentrer.
Des problèmes conjugaux aussi. Il arrive des cas où l’homme a fui et que la femme est restée dans le pays. Arrivé à Mahama, il prend une autre femme. Ou bien, l’homme rentre et retrouve sa femme avec des enfants illégitimes. Ce qui crée une situation conflictuelle dans le couple. Il y a également des enfants nés à Mahama. Ils sont nombreux et ne sont pas enregistrés à l’Etat-civil. Ce qui ne leur facilite pas l’accès à la gratuité des soins de santé ou à l’enseignement.
Il y aurait même des positions policières ou militaires installées dans les maisons des réfugiés ?
C’est faux. Les positions policières ou militaires sont dans les propriétés domaniales.
Quelles sont les solutions envisagées ou en cours ?
Pour les spoliations, des directives ont été données aux administratifs à la base. Les biens doivent être remis aux propriétaires. Tous les enfants rapatriés doivent être directement enregistrés à la commune. On leur délivre des attestations de naissance. Même chose pour les unions illégales. Les concernés doivent régulariser directement, la polygamie étant une source de conflit. Pour décourager cette pratique, nous nous sommes mis d’accord avec tous les administratifs que d’ici cinq ans il n’y aura plus un homme avec une deuxième femme.
Pour résoudre cette question, nous mettons en avant la loi. Mais, auparavant, on essaie de sensibiliser les concernés, de trouver une entente.
Pour les couples qui avaient fait des mariages légaux avant de se séparer, on les envoie en justice. Même chose pour les enfants de second lit. Le code de la famille est bien clair là-dessus.
Pour les terres, nous privilégions l’entente. Des cas qui s’avèrent compliqués sont renvoyés aux échelons supérieurs. Ceux qui dépassent notre compétence seront soumis au chef de l’Etat.
A Kirundo, nous avons eu de sérieux problèmes en 2015. Tous ceux qui fuyaient ont transité par là. Et beaucoup de nos administrés ont suivi moutonnement ce mouvement.
Récemment, il y a eu une rencontre entre les chefs de la diplomatie burundaise et rwandaise. Votre commentaire ?
Nous l’avons vu. Mais, nous n’étions pas invités. C’est entre Etats. Ce qui m’intéresse, c’est que les Rwandais avaient pris en otage des Burundais, dont 68% sont de Kirundo. Aujourd’hui, ils sont en train de rentrer. C’est cela que j’apprécie.
Qu’en est-il des relations avec le Rwanda ?
Elles ne sont pas bonnes. Nos citoyens sont parfois blessés ou tués par les Rwandais. Nous avons des preuves. Des Burundais ont été tués dans le Lac Cohoha. Récemment, à Bugabira, des Rwandais ont franchi la frontière et ont blessé un habitant. Ce dernier tentait de les empêcher de voler du fourrage. Blessé au niveau des bras, il a été soigné ici.
A Ntega, nous avons déjà attrapé plus de six Rwandais venus chercher du fourrage. Nous les avons remis aux autorités rwandaises. Mais, eux, ils nous répondent par la violence. Dernièrement, sur le Lac Rweru, ils ont tué un de nos militaires.
Kirundo a été, ces dernières années, frappée par la famine. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Kirundo est parmi les provinces confrontées aux effets du changement climatique. Trois communes sont très affectées. Il y a Busoni, Kirundo et Bugabira. Dans nos priorités, il faut que Kirundo redevienne le grenier du pays.
Comment comptez-vous y arriver?
Je ne suis pas seul. C’est aussi le souhait du président de la République. Des projets d’irrigation se multiplient. Par exemple, il y a un projet d’irrigation de 570 ha sur Rweru. C’est le début, mais c’est prometteur.
Durant les trois dernières saisons, il n’y a pas eu de famine. Estimés à 99% de la population à Kirundo, les agriculteurs sont en train de tester la culture des légumes et des oignons, ces cultures n’exigeant pas de grands espaces. Et ce, pour satisfaire les besoins alimentaires d’une population avec une croissance démographique ascendante.
Quid de la protection de l’environnement ?
Impossible d’augmenter la production sans protéger l’environnement. Le reboisement et le traçage des courbes de niveaux font partie des techniques pour stopper la désertification.
Et pour les lacs du nord et forêt?
La protection de nos lacs est le salut de Kirundo. Raison pour laquelle, à côté d’Ewe Burundi Urambaye, nous projetons de protéger 30 km sur Cohoha dans Busoni, Kirundo et Bugabira. Nous avons tracé une courbe de niveau de 40 km. Là, nous avons séparé la partie agricole et la zone tampon du lac. Nous avons également installé 79 pépinières pour la multiplication des plants. On y trouve des plantes fixatrices, fourragères et des eucalyptus. Des bambous vont être plantés aux bords de ces lacs. Nous privilégions aussi des arbres fruitiers qui résistent à la sécheresse.
Comme résultat, le lac Rweru est devenu un stock de poissons, car, il est actuellement protégé. Une fois les sept lacs bien préservés, nous aurons une grande production de poissons.
La forêt de Murehe s’est reconstituée. On y trouve aujourd’hui des antilopes, des singes, etc.
Ces derniers jours, on a parlé de l’invasion des criquets dans votre province.
Des criquets puants ont envahi les collines Kiyanza et Yaranda de la province Kirundo. On les a surnommés « runaku » (insatiable). Ce type de criquets ravage toutes les plantes, toutes les cultures : haricot, maïs, etc. La lutte mécanique est la seule technique efficace. On les récupère et on les brûle. La situation est maîtrisée. Ils sont en train de perdre du terrain.
Quelle est la situation des infrastructures sanitaires à Kirundo ?
A Kirundo, nous avons quatre districts sanitaires. Nous avons un sérieux problème d’hôpitaux. Nous en avons seulement deux. Cinq communes se partagent l’hôpital de Kirundo. Et deux autres l’hôpital de Mukenke. Mais avec la décision d’avoir un hôpital par commune, nous espérons que la situation va s’améliorer.
Dernièrement, nous avons reçu un Centre de Santé (CDS) à Busoni. Mais suite à la pression démographique, les CDS ne sont pas suffisants. Mais des efforts sont là. Il y a un projet de construction d’un hôpital de district Busoni à Muhembuzi.
Le personnel sanitaire est là. Mais l’effectif a besoin d’être complété. Les ambulances sont là et la population contribue pour leur alimentation en carburant.
Il y a la pandémie planétaire de la Covid-19. Quelle est la situation à Kirundo?
Nous avons mis en application les premières mesures de confinement. Après, nous avons été débordés, suite surtout aux entrées clandestines de personnes en provenance du Rwanda. Quand elles sont arrêtées, on les confine. Aujourd’hui, nous continuons à veiller sur la frontière terrestre et lacustre. Trois personnes affectées ont été trouvées à Kirundo. Mais elles étaient venues d’ailleurs. Elles ont été traitées et guéries.
Nous avons doublé d’efforts dans la sensibilisation de la population. Pour donner un exemple, tu ne peux pas entrer dans mon bureau sans te laver avec le désinfectant.
Des soignants de Kirundo ont été formés sur la prise en charge et le traitement des personnes affectées. Sur la frontière avec le Rwanda, une équipe médicale est sur place. Personne ne peut entrer au Burundi sans être testé au nouveau coronavirus.
Durant un certain temps, chaque nouveau-venu dans la ville de Kirundo devait être confiné là où était installé l’ancien marché. Il devait obligatoirement se laver les mains.
Et le domaine éducatif ?
Côté éducation, nous avons trois établissements à internat : ITAB Kigozi, Lycée Kanyinya et Mukenke. Nous avons aussi l’Université des lacs de Kirundo. Vieille de trois ans, c’est une initiative de la population de Kirundo. Ainsi notre province se dotera d’un personnel qualifié.
Dans ce secteur, les défis sont, entre autres, le surnombre des apprenants, l’insuffisance des locaux, des enseignants, etc.
Nous avons sept centres d’enseignement des métiers. Mais seul le centre d’enseignement de métiers de Kirundo fonctionne. Il faut que l’Etat aide ces écoles pour être opérationnelles.
Un mot à l’endroit des responsables des partis politiques ?
Les politiciens doivent dépasser leurs différences pour réserver un accueil amical aux rapatriés. Si nous ne renforçons pas la paix, la cohabitation pacifique, alors il y aura un risque de voir ces gens reprendre le chemin de l’exil.
Ils devraient aussi aider dans le combat contre la famine. C’est vraiment déshonorant d’entendre que les gens de Kirundo ont fui suite au manque de nourriture. Qu’ils sachent que les gens vont voter parce qu’ils ont mangé ou parce qu’ils n’ont pas fui le pays.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze & Fabrice Manirakiza