Dans les communes Mukike et Mugongo-Manga en province de Bujumbura, des plantations d’arbres sont systématiquement défrichées et dessouchées au profit de la pomme de terre. Pr Jacques Nkengurutse, enseignant d’université, spécialiste des sciences de la vie et de l’environnement, indique que cette situation a des conséquences sur le pays. Il appelle les autorités à faire une planification pour concilier l’agriculture et l’environnement.
Actuellement, des plantations d’arbres sont détruites au profit de la pomme de terre dans certaines régions. Auriez-vous fait le même constat ?
Le constat est là. Je pense que les agriculteurs ou les propriétaires terriens répondent à l’appel du gouvernement de valoriser les terres qui ne sont pas encore mises en valeur pour pouvoir répondre à leurs besoins en alimentation.
Je trouve que c’est vraiment normal qu’on puisse penser à produire beaucoup afin de moins dépendre des importations. C’est tout à fait très correct. Le problème c’est qu’on est en train de chercher une solution à un problème en créant d’autres problèmes.
Quels problèmes concrètement ?
En faisant une conversion des plantations d’eucalyptus pour en faire des terres agricoles, on est en train d’habiller Saint Pierre en déshabillant Saint Paul. Donc, c’est trouver des solutions à des problèmes tout en créant d’autres problèmes. Le plus important à ce point, c’est qu’en général, les hautes terres sont très pointues. Ce sont donc des pentes qui étaient déjà stabilisées par ces plantations en destruction. On est en train d’amplifier l’érosion de nos collines, les effondrements futurs des terres et de rendre l’eau très turbide.
En général, quand vous êtes à Bujumbura dans les hautes montagnes, il y a souvent des plantations d’eucalyptus avec un tapis d’herbacées à eragostis ( Ishinge en kirundi) . Dans ce cas, il y a en général moins d’érosion. Avec moins d’érosion, on a des sources qui produisent de l’eau propre. A la longue, si l’on continue à défricher sans aucune planification, c’est la création des érosions, des zones potentielles à effondrement ainsi que des rivières très turbides où la qualité de l’eau ne sera plus bonne.
Qu’en est-il des besoins en bois dans ces conditions de défrichement systématique ?
Normalement, les sites sur lesquels on a intensifié la culture de pomme de terre dans les hautes altitudes du Burundi sont des zones où il y avait généralement des plantations d’eucalyptus.
C’est vrai qu’on traite les eucalyptus de tous les noms. Des gens considèrent qu’ils acidifient le sol, qu’ils pompent beaucoup d’eau. Mais, le problème, c’est que de toutes les façons, on a un besoin de bois au Burundi. C’est très important. Et du coup, on est en train d’enlever de grandes superficies d’eucalyptus pour les convertir en champs de pommes de terre et d’autres cultures.
Bien évidemment, on est en train de renforcer la production agricole au Burundi mais, le revers
de la médaille, on creuse le trou en termes de besoin en bois.
En 2019, nous avons fait une étude qui a essayé de simuler les besoins en bois au Burundi. Nous avons trouvé que depuis 1985, au fort moment du reboisement et jusqu’à la crise sociopolitique de 1993, le Burundi était toujours en déficit en termes de production du bois. On a alors estimé qu’en 2020, le déficit en bois équivalait à 332 500 M3 par an.
Nous avons tenté de trouver combien de superficie le Burundi a besoin pour combler ce déficit. Le pays a besoin de 38,18% de notre territoire qui soit boisés ou reboisés. Cela veut dire que c’est un territoire qu’on ne pourra pas avoir car, on sait quelle est la superficie du Burundi et la densité de la population.
Avoir plus d’un tiers du pays qui soit occupé par un boisement n’est pas possible. Même des plantations qui existaient sont détruites au profit de la pomme de terre et d’autres cultures.
Y-a-t-il des incidences sur la régularité des précipitations ?
Ce n’est peut-être pas directement mais en général oui. Je suis dubitatif. Je suis plus réservé sur ça. C’est vrai que l’eau qui devrait s’infiltrer pour régulariser les sources d’eau ne sera plus là. En général, les sources d’eau en haut des collines pendant la saison sèche.
De toutes les façons, il y avait cette régularisation et cette infiltration qui permettaient à des sources d’eau d’alimenter nos sources en eau potable beaucoup plus régulièrement et en quantité suffisante. Spécialement, pendant la saison sèche, on devrait s’attendre à des périodes où on aura très peu d’eau. Théoriquement, les cours d’eau auront moins d’eau vers la fin de la saison sèche et l’eau sera très turbide pendant les saisons de pluie.

Comment alors concilier la protection de l’environnement et l’agriculture pour l’autosuffisance alimentaire ?
Le Burundi a besoin de travailler et de faire la planification. On doit prendre des décisions basées sur des données chiffrées. Il faut voir la superficie dont on a besoin pour une production agricole suffisante et une production du bois qui soit acceptable.
On doit jongler entre les deux. L’allocation des terres doit se faire par rapport à leurs caractéristiques et leurs attributs. On ne peut pas prendre des sols qui sont quasiment 100% de pentes pour les affecter à l’agriculture. On devrait quand même y garder le boisement car, il produit du bois et protège les montagnes contre tout éboulement et effondrement. Et donc, il faut se rappeler que pour avoir à manger dans nos assiettes, on a besoin du haricot, du riz, de la pomme de terre mais, on a également besoin d’un environnement sain.
Il y a un besoin du bois pour cuisiner. Des étages qui sont en construction à Bujumbura nécessitent aussi du bois pour des échafaudages. C’est vrai que l’État a consenti des efforts énormes dans l’exonération du matériel métallique d’échafaudage, le gaz et les accessoires mais la tendance est que l’essentiel de la population recourt toujours au bois. Il faut pouvoir estimer, évaluer les besoins en bois et en alimentation pour trouver l’équilibre. C’est une planification qui s’inspire des chiffres réels afin d’éviter d’autres problèmes.
Qui en est responsable ?
Tout peut revenir au ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage. La balle est dans le camp de notre cher ministre car, il doit réguler tous les secteurs. On est en train de trouver des solutions à certains problèmes en en créant d’autres. C’est pourquoi il y a nécessité de prendre des solutions à partir des chiffres bien établis. La planification est essentielle pour satisfaire les besoins en alimentation et garantir la préservation de l’environnement.
Ce qui se passe est une suite logique d’un pays qui un problème de surpopulation.