Mardi 17 septembre 2024

Société

Interview avec Me Gérard Ntahe : « La nouvelle loi sur la presse est conforme aux standards internationaux, mais… »

04/09/2024 0
Interview avec Me Gérard Ntahe : « La nouvelle loi sur la presse est conforme aux standards internationaux, mais… »

Principales innovations apportées, leur impact sur le paysage médiatique burundais, doutes sur la mise en application de certaines dispositions, Me Gérard Ntahe, spécialiste du droit des médias fait le point sur la nouvelle loi sur la presse au Burundi promulguée le 12 juillet 2024.

Quelles sont les principales innovations apportées par la nouvelle loi sur la presse ?

La loi qui vient d’être promulguée par le chef de l’Etat révise, comme son nom l’indique, certaines dispositions de la loi de 2018. Un nombre relativement important de dispositions de l’ancienne loi ont été donc reprises dans la nouvelle moyennant, ici et là, quelques changements de fond et de forme.

Parmi celles-ci, je citerais celles se rapportant aux dispositions générales ; à la carte de presse ; aux droits et aux obligations des journalistes ; aux conditions requises pour la publication et la diffusion de la presse écrite et audiovisuelle ; au droit de réponse et de rectification ainsi qu’à la responsabilité pénale et civile en cas de délit de presse. Mais le nouveau texte apporte d’importantes innovations qu’il convient de relater ici.

Lesquels ?

Il s’agit d’abord de la langue de rédaction. Nul n’est censé ignorer la loi, dit l’adage. Mais faut-il encore qu’elle soit intelligible par tout le monde. Ainsi, en application de l’article 5 de la Constitution, tous les textes législatifs doivent avoir leur version originale en Kirundi.

Alors que la loi de 2018 était rédigée uniquement en français, langue de l’administration que seule une petite minorité de Burundais comprennent et parlent, la loi qui vient d’être promulguée s’est conformée à la Constitution puisqu’elle est rédigée en français, mais aussi en Kirundi, ce qui la met à la portée du plus grand nombre.

La deuxième innovation concerne le droit des journalistes à un contrat de travail, à un salaire décent et aux prestations sociales prévues par la loi. En réalité, il s’agit d’une transcription dans le texte de dispositions pertinentes contenues dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, dans le Pacte International relatif aux droits économiques, culturels et sociaux et dans la Constitution, ainsi que dans le Code du Travail.

De ce fait, elles acquièrent une plus grande visibilité pour les professionnels des médias. Ainsi, les directeurs de publications, qui ne les connaissent ou font semblant de les ignorer, sauront qu’ils devront obligatoirement signer des contrats de travail avec les journalistes qu’ils recrutent dès leur prise de fonction, qu’ils devront leur verser le salaire convenu toutes les fins de mois et leur garantiront les prestations sociales comme le logement et les soins de santé.

La loi parle d’un salaire décent. Qu’est-ce que cela signifie ?

Un salaire décent est celui qui permet à un travailleur de pourvoir de manière convenable à ses besoins et à ceux de sa famille en termes de nourriture, de logement, de soins de santé et de loisirs, mais aussi d’épargne pour ses vieux jours.

Dans certains pays, il existe un salaire minimum fixé par la loi. Il en est de même chez nous. La dernière fois que le Gouvernement est intervenu en la manière, c’est en 1989 ou en 1990, avec une ordonnance ministérielle qui fixait le salaire minimum à cent six francs burundais (106Fbu) par jour en milieu urbain et à nonante francs burundais (90 Fbu) par jour en milieu rural.

Aujourd’hui, chacun peut calculer mentalement quel serait pour lui un salaire suffisant pour vivre en ville ou dans la campagne dans des conditions décentes.

Il y a -t-il d’autres innovations ?

Certainement deux autres innovations qui se rapportent toutes les deux à la répression des délits de presse. A mon sens, ce sont elles qui donnent son cachet à la loi régissant la presse de 2024 et celles que l’histoire retiendra le plus.

Quelles sont-elles ?

La première est la dépénalisation partielle de délits de presse. Dans la loi de 2018, tous les délits de presse étaient sanctionnés conformément au droit commun, c’est-à-dire au Code pénal.

La nouvelle loi soustrait un certain nombre de ces infractions au traitement de droit commun, qui les sanctionnait par des peines de servitude pénale de durée variable selon leur degré de gravité.

Dorénavant, ces délits sont dépénalisés partiellement. Cela ne signifie pas qu’ils échappent à toute sanction, mais tout simplement qu’ils sont sanctionnés par des peines d’amende et non plus par la servitude pénale ou l’emprisonnement.

Pouvez-vous citer ces infractions ?

Elles sont : l’injure, l’imputation dommageable et l’outrage ; la diffusion de fausses nouvelles ; l’outrage public aux bonnes mœurs ; la dénonciation calomnieuse ; l’atteinte à la vie privée ; l’atteinte à la présomption d’innocence et la révélation de l’identité des victimes des violences sexuelles.

Tous ces délits sont sanctionnés dorénavant par une amende de cinq cent mille (500 000) à un million cinq cent mille francs burundais (1 500 000 Fbu).

Les autres infractions telles que l’incitation à haine raciale et ethnique, l’atteinte à la sécurité de l’Etat ou l’incitation aux crimes de génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre par exemple échappent au bénéfice de la dépénalisation et continuent à être sanctionnés conformément au Code Pénal.

Pourquoi la dépénalisation ?

La dépénalisation des délits de presse a pour effet de renforcer la liberté de la presse. En effet, là où il y a risque de sanctions privatives de liberté pour des délits comme la diffamation, l’outrage aux autorités ou la diffusion de fausses nouvelles, par esprit de survie, l’autocensure s’installe chez les journalistes et devient aussi destructrice de la liberté d’expression que la censure.

Au lieu de traiter de sujets dits « délicats », ils parleront de la pluie et du beau temps et éviteront d’enquêter sur des dossiers en rapport avec la mauvaise gouvernance par exemple.

Et c’est toute la société qui sera privée d’informations qui peuvent se révéler utiles sur la manière dont elle est gouvernée, alors que cela relève de ses droits fondamentaux.

Je pense ici aux cas de malversations sur lesquels aucune investigation n’est faite sérieusement par les médias, alors même que les plus hautes autorités de l’Etat ne cessent de les dénoncer à haute voix.

Selon vous, pourquoi une dépénalisation partielle ?

Le législateur a dépénalisé certains délits de presse car d’autres, tels que l’incitation à commettre un crime ou l’incitation à la haine raciale et ethnique sont en réalité des infractions de droit commun commis par voie de presse et dont la sanction vise la protection des individus, de la société et des autorités publiques. Dépénaliser ces infractions reviendrait à instaurer un régime répressif favorable aux journalistes, au détriment de la société toute entière.

C’est tout comme innovation ?

Il y a une quatrième. Elle est également en rapport avec la sanction des délits de presse et a pour nom « l’exception de vérité ».

En vertu de l’article 80 de la nouvelle loi, « la preuve de la véracité du fait réputé diffamatoire exonère le journaliste de toute condamnation, sauf si le fait allégué a été amnistié, est prescrit ou relève de la vie privée ».

Jusqu’ici, peu importait le mobile qui l’animait, le seul fait d’imputation diffamatoire était suffisant pour caractériser l’intention coupable et c’était au journaliste poursuivi de faire la preuve de sa bonne foi : il devait prouver qu’il avait procédé à des vérifications sérieuses en rencontrant la personne mise en cause et en donnant son point de vue ; qu’il avait eu recours à des sources d’informations généralement fiables ; qu’il était dépourvu de toute animosité personnelle et qu’il n’avait pas été inspiré par le souci de nuire à la personne mise en cause ; qu’il avait agi dans le seul souci d’informer le public…

Malgré toutes ces précautions, c’était au juge qu’il appartenait d’apprécier, c’est-à-dire d’acquitter ou de condamner. Dorénavant, les journalistes pourront échapper à la condamnation en rapportant tout simplement la preuve de leurs allégations.

Cette disposition vient à point nommé, car ici et dans le monde, la diffamation est le délit pour lequel les journalistes sont le plus souvent poursuivis et condamnés.

Ainsi, cette disposition les libérera en écartant le spectre d’une condamnation pour avoir révélé des faits pourtant avérés. Cela donnera, j’ose l’espérer, naissance à un journalisme d’investigation, inexistant pour le moment, alors qu’il est si important dans une démocratie.

Pour vous donc, tout va pour le mieux dans le domaine des médias burundais ?

Je n’irais pas jusque-là. Mais à mon humble avis, la loi qui vient d’être promulguée est conforme aux standards internationaux en matière de protection de la liberté d’opinion, d’expression et de presse.

Reste à savoir si les différents acteurs joueront franc jeu quand il sera question de mettre en œuvre ses différentes dispositions.

Avez-vous donc de doutes sur son application ?

Est-ce que, quelques fois, la justice ne contournera pas la loi en qualifiant de manière inappropriée certains faits ? En qualifiant par exemple un outrage envers une autorité d’atteinte à la sécurité de l’Etat punie, elle, d’une très lourde peine de servitude pénale ?

Est-ce que certains journalistes ne seront pas tentés de porter atteinte à l’honneur et à la considération d’adversaires, réels ou supposés, en se disant qu’après tout, une amende de cinq cent mille à un million cinq cent mille francs burundais, payable au bout d’une procédure de plusieurs années, c’est, après tout, jouable ?

Est-ce que les directeurs de publications signeront dorénavant des contrats de travail avec tous les journalistes qu’ils vont recruter et avec ceux qu’ils emploient souvent depuis de nombreuses années sans contrats, et leur verseront régulièrement le salaire convenu ?

Est-ce que l’Etat mettra réellement en œuvre l’obligation qu’il s’est donné d’aider les médias privés, en relevant de manière substantielle l’aide plus que symbolique de cent millions de francs burundais par an que se partagent deux cent cinquante organes de presse ?

Toute la question est là : c’est celle de la mise en œuvre, effective ou non des textes, qu’il s’agisse des conventions internationales ou de lois internes. On verra, à l’usage, ce qui l’en sera de la nouvelle loi régissant la presse au Burundi.

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