Les rivières Ntahangwa, Muha, Kanyosha,… ne cessent de causer des dégâts à Bujumbura. Fragilisées, leurs rives s’écroulent malgré les travaux de stabilisation. La menace n’est pas écartée. Pourquoi ? Que faire pour rendre ces rivières moins agressives ? Dr-Ir Ltn-Col Léonidas Nibigira, environnementaliste et professeur d’universités fait le point.
Quels sont les facteurs qui font que les quatre rivières qui traversent Bujumbura continuent à causer tant de dégâts ?
La question relative aux mécanismes qui sous-tendent ces problèmes liés aux principales rivières qui traversent la ville de Bujumbura c’est une question très difficile. Parce que les causes sont vraiment multiples. Je peux les classer en trois grandes typologies.
Lesquelles ?
La première est relative au contexte local. Là, il s’agit de la géomorphologie locale. Et là, il y a deux grands points. Le premier est relatif au contexte de pente vraiment très abrupte. Et cela crée des instabilités dans le sens où dans l’analyse de stabilité, nous avons l’amont qui renvoie aux montagnes qui surplombent la ville de Bujumbura tandis que l’aval c’est ici dans la plaine où se situe la ville de Bujumbura, le long du lac Tanganyika.
Et dans ce contexte-là, en termes de stabilité, chaque tronçon aval constitue ce que nous appelons un verrou ou tout simplement le support de la partie amont. Et là, la déstabilisation qui commence à partir des lits des rivières. On voit aussi les habitations qui sont tellement proches des rivières.
Ce qui crée des surcharges. Tout cela est de nature à augmenter la surcharge du tronçon proche des rives des rivières. Ce qui fait que la déstabilisation commence à partir des rives surtout dans un contexte où nous avons des rivières qui ne sont pas aménagées.
Et ce, dans une situation d’érosion souvent exacerbé par l’action anthropique. Ce qui se témoigne par l’action des gens qui extraient les moellons, graviers, sables, etc dans ces rivières. Pire, ces actions se font sans aucun encadrement.
Ensuite …
La deuxième typologie est surtout la géologie locale. Là, je fais allusion à la nature du terrain. Sur le profil de la rivière Ntahangwa, vous voyez des zones d’argile. Et l’argile c’est une composition du sol qui fait qu’en période d’humidité exagérée, il y a ce qu’on appelle la saturation du sol.
C’est-à-dire ?
Quand le sol est imbibé, les zones argileuses gonflent. Et au contraire, durant la saison sèche, quand l’eau est partie, il y a ce que nous appelons le retrait. C’est comme si ça se comprime. Et la succession des phases de compression et d’étirement provoque l’ouverture des fissures. Et cela, dans une situation d’une forte pluviométrie, fait que l’eau entre à partir des fissurations. Ce qui entraîne le phénomène d’instabilité qui s’accentue au fur et à mesure.
Un autre élément est lié au changement climatique. Là, parlons d’abord de la forte pluviométrie. Elle agit sur deux axes principaux.
Lesquels ?
Le premier c’est son action en amont, dans les bassins versants. En amont, nous avons en grande partie des zones rurales ou semi-urbaines parce que nous voyons maintenant le développement progressif de l’urbanisation, les habitations qui s’installent au fur et à mesure sur les hauteurs. Et dans ce cas, nous avons un ruissellement qui est à un niveau élevé et qui a besoin d’un mécanisme de gestion appropriée.
Parce que le ruissellement est généré dans les hauteurs, au niveau des bassins versants et il progresse en aval. Et avant d’arriver aux rivières, ces eaux traversent des zones habitées, détruisent des biens matériels, des infrastructures publiques, provoquent l’érosion qui, par l’évolution, atteint la phase de glissement de terrain, le ravinement à grande échelle, etc. Vous voyez ce qui se passe à Mugoboka, Gikungu-rural, etc. Donc, ce ruissellement répercute ses impacts jusqu’en aval.
Et cette morphologie et la forte pluviométrie font alors que nos rivières deviennent de plus en plus agressives. Nous avons un courant avec une force élevée et les dommages se manifestent d’abord au niveau des berges des rivières.
Il y a aussi le contexte local par rapport aux actions sismiques. Nous sommes géographiquement dans une zone très instable où la plaque tectonique a ouvert des zones de faiblesses. Ce que nous appelons le Rift Valley. Une zone qui part du nord vers l’Ethiopie, la Somalie, qui descend et qui passe sur la frontière entre la RDC et l’Ouganda, la RDC et le Rwanda, RDC et le Burundi, la RDC et la Tanzanie et qui continue jusqu’au niveau du lac Malawi.
Je vous signalerais que ce lac se trouve sur ce chapelet des lacs avec le lac Tanganyika, le lac Kivu, etc. Et dans cette zone-là, nous avons ce que nous appelons le rift, donc la faille principale, mais aussi, il y a des failles secondaires. Les failles géologiques, nous en avons deux majeures.
Exactement où ?
La première part du sud vers Kanyosha, elle traverse la Muha, et elle va jusqu’au long de l’ex-boulevard du 28 novembre, et elle atteint Uwinterekwa et elle progresse légèrement jusque dans les alentours de l’actuel site du Palais présidentiel.
Et cela fait que même en cas d’une faible sismicité perceptible par l’homme, nous avons des instabilités. Ce qui se manifeste par l’ouverture des petites fissures pouvant aboutir au ravinement ou au glissement de terrain à grande échelle.
Souvenez-vous de ce qui se passe au niveau d’Uwinterekwa, à Mutanga-nord exactement l’endroit dénommé ’’Kukasoko’’ où plusieurs habitations se sont totalement affaissées, etc. Nous avons aussi une autre faille en parallèle qui passe dans les environs du campus Kiriri. Et elle progresse et traverse même la RN1.
Est-ce que le système de construction ne rend pas aussi Bujumbura plus vulnérable ?
Bien sûr. Parce que le contexte d’urbanisation anarchique est un autre élément très important. Et quand on parle de l’anarchie, cela peut nous prendre toute une journée. Et c’est sous plusieurs aspects. Il s’agit là d’une urbanisation non pensée.
Concrètement ?
Ici, nous urbanisons et après, nous faisons l’assainissement. Or, l’assainissement précède l’urbanisation. Nous voyons des maisons qui naissent comme des champignons alors que le contexte local n’est pas étudié, que le réseau de drainage des eaux n’est pas pensé en termes de densité mais aussi en termes de dimension.
Et cela crée sans doute des problèmes. C’est un caractère d’anarchie. Le 2ème caractère est l’exploitation non guidée des moellons des rivières pour alimenter ces chantiers. 3ème aspect c’est de penser qu’on pourra construire jusqu’à l’infini, depuis le lac Tanganyika jusque sur les hauteurs sans zones critiques ou zones limites.
Nous avons récemment encadré des travaux de recherche qui ont abouti à la délimitation d’une zone qu’on appelle zone rouge ou critique. Donc, une zone à partir de laquelle, on pourrait penser à arrêter l’urbanisation vers les hauteurs. Bref, raisonner dans le sens de construire vers le Sud ou le Nord.
L’analyse des indices géomorphologiques de nos rivières, là je fais allusion à ce qu’on appelle l’indice de compacité ou le coefficient d’allongement classe ces rivières dans la typologie des rivières à forte réactivité et qui nécessite des études préalables et des comportements conséquents par tous. Et cela renvoie au niveau des décideurs et de la population.
Quelles sont les actions à mener selon vous pour rectifier le tir ?
D’abord, chaque fois qu’il y a des causes, il y a aussi des approches de solution. Et parmi ces solutions, c’est d’abord mettre en place des mécanismes de gestion efficace des eaux de ruissellement. Là, je vais dire en amont qu’est ce qu’il faut faire : en amont, il faut encadrer la population afin de mettre en place des dispositions qui visent la limitation du ruissellement et ses impacts. Là, je fais allusion notamment au traçage des courbes de niveau, adoption des techniques agricoles adaptées, etc.
Et en aval, il faut inciter à la mise en place des systèmes de canalisations bien adaptées en termes de densité et de dimensions. Il faut éviter la gestion non adéquate des eaux qui proviennent des ménages. Parce que dans les ménages, nous avons le ruissellement dû à la précipitation sur les toitures mais aussi le ruissellement dû aux eaux usées. Il faut qu’on ait un système qui conduit l’eau depuis les ménages jusqu’aux lits des rivières. Et s’il le faut, mettre en place des ouvrages intermédiaires, les ouvrages d’amortissement ou qui brisent l’énergie de l’eau. Là, on peut faire des mécanismes en escaliers ou en paliers. Il faut également penser à la valorisation de l’eau de pluie.
Comment par exemple ?
Je dois d’abord souligner que cela a des avantages. Cela permet une solution de substitution ou bien l’eau de pluie peut être une alternative pour subvenir aux besoins courants notamment quand on fait le nettoyage des véhicules, l’irrigation, le nettoyage des maisons, etc. Et cela permet de diminuer ce qu’on appelle impact écologique.
Plus on construit vers les hauteurs, nous diminuons l’infiltration et nous favorisons le ruissellement. Et cela dans un contexte où la canalisation en aval n’est pas pensée au préalable.
Quid du respect des zones tampons des rivières ?
C’est aussi très important de mettre en place et faire respecter les zones tampons. Et là, je me questionne sur deux bases : est-ce que les 25 mètres pour les rivières qui traversent Bujumbura sont à prendre comme telle ou sont à relativiser ?
Quel est votre point de vue là-dessus ?
A mon avis, je pense qu’il faut faire une relativisation et augmenter cette distance quand il le faut selon le contexte géomorphologique local. Est-ce que cette distance est respectée au moins ? La réponse est non. Et là, on peut se demander les causes.
Et celles-ci peuvent être au niveau réglementaire en termes de codes et lois mais aussi en termes de manquement relatif à l’absence ou l’insuffisance des mécanismes de suivi ou même quand il le faut des mécanismes de contrainte pour imposer le respect de ces distances.
Etes-vous inquiets ?
Oui. Il y a lieu de s’inquiéter. Car, naturellement, nous ne sommes pas très gâtés. On est placé dans un contexte de vulnérabilité. Il faut qu’il y ait, et je ne le vois pas jusqu’à présent, une autre dynamique qui dit stop au contexte actuel et qui dit bienvenue des mesures conséquentes pour changer les choses.
Je pense que si les décideurs tiennent en compte ces conseils, et qu’ils mettaient en place des dispositions et surtout des mécanismes de suivi, il y a lieu d’atténuer les impacts potentiels.
Nous constatons aussi des travaux de stabilisation des rives des rivières. N’est-ce pas aussi une solution ?
Si. C’est très important de le faire. Et là, on peut construire des ouvrages de stabilisation comme les murs de soutènement. Il faut aussi penser au système de stabilisation naturelle en choisissant des cultures ou des plantes stabilisatrices. Là, je fais allusion notamment aux bambous qui sont une plante efficace pour deux raisons majeures.
Lesquelles ?
Le bambou n’a pas de poids. Donc, il ne constitue pas une surcharge supplémentaire mais son réseau racinaire est très développé. Ce qui fait qu’il aide à la stabilisation, ça permet à souder et augmente la cohésion au niveau des différentes parties du sol.
Et il faut anticiper la stabilisation des berges même dans des zones qui ne sont pas encore très fragilisées. On peut le faire sur le long de la Ntahangwa même pour toutes les autres rivières qui traversent la ville de Bujumbura.
Pour ces travaux, sur la Ntahangwa par exemple, nous constatons que les travaux se focalisent surtout dans la partie aval. Est-ce qu’on ne devrait pas commencer par l’amont pour que cette rivière soit effectivement canalisée ?
Oui, le problème part d’amont vers l’aval. Mais, chaque fois que l’on voit du feu, il faut chercher de l’eau pour éteindre. Je salue positivement les efforts que je vois à gauche et à droite.
Mais, il faut aussi penser surtout à bloquer la cause. Et pour la Ntahangwa, la cause se trouve surtout en amont. Je pense qu’il y a lieu d’entreprendre des mesures en parallèle. Surtout que nous avons une géomorphologie en amont qui est le foyer de ces stabilités qu’on observe. Autre chose, je pense qu’il y a moyen de stabiliser les berges de ces rivières même avant les catastrophes.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze
Merci beaucoup cher frère Léonidas Nibigira pour ces éclaircissements.
Pour la stabilisation des différentes rivières qui traversent la ville de Bujumbura et d’ailleurs, il y a des techniques purement biologiques et écologiques qui sont très adaptées, efficaces et moins coûteuses qu’il faudrait appliauées.
@Dr Ir Marc Rugerinyange
Il y a un titre qui manque après Ir: c’est « savant «
Ke department de l’urbanisme est l’un des secteurs les plus corrompus au Burundi.
On arrive à cette gabegie
Et si le Burundi exportait de l’eau traitée de pluie au lieu d’en faire un drame?Les uns ont du pétrole et du gaz et d’autres ont été bénis avec une pluviométrie abondante.
Qui ne pouvait pas savoir que l’assainissement précédait l’urbanisation.
Toutefois lorsque l’incompétence et l’appât du gain deviennent des criteres privilégié au sein du pouvoir quelqu’il soit, toutes les vérités scientifiques sont mises au second plan.
L’anarchie prend avantage les lois et les règles établies n’ont plus de valeur.
La situation urbaine actuelle de la ville de Bujumbura découle d’un développement d’une urbanisation anarchique.
Depuis deux à trois décennies l’état avait presque démissionné dans le domaine d’une urbanisation bien planifiée et organisée.
Dans biens des coins de Bujumbura la loi de la jungle s’étant imposée dans l’octroi et l’utilisation des propriétés à bâtir le résultat ne pouvait être que ce que l’on vit aujourd’hui.
Comme pour dire: On récolte ce que l’on a semé.