Experte en genre, Clémence Bununagi s’exprime sur l’état des lieux des droits de la femme au Burundi et ses attentes sur la législature prochaine de 2025.
Malgré les avancées en matière de représentativité des femmes au niveau des instances de prise de décisions, pourquoi leurs droits continuent à être bafoués au Burundi ?
Il y a une clause constitutionnelle qui donne 30% minimum aux femmes. Elles sont mises dans ces instances à partir des listes électorales. Elles ont tendance à exécuter l’agenda politique de leurs partis politiques d’origine. Est-ce que cela favorise l’agenda femme puisque les femmes qui sont positionnées ne sont pas nécessairement celles qui sont convaincues au niveau de la lutte pour les droits des femmes. Il y a 30% de femmes depuis 2005 à l’Assemblée nationale.
Elles interviennent au niveau des nominations. Elles sont dans le contrôle gouvernemental. Mais, on n’a que 3 femmes sur les 18 gouverneurs de province. Depuis 2005 jusqu’aujourd’hui, on n’a pas encore réussi à avoir une disposition légale garantissant la participation des femmes au niveau collinaire. Il faudrait un autre mécanisme qui permet d’introduire un autre type de femmes.
Lequel ?
Par exemple des femmes incluses au sein de l’Assemblée nationale et Sénat choisies par les femmes pour l’intérêt des femmes. Ce groupe de femmes aurait pour mission de défendre l’agenda femme. C’est cela qui permettrait que les choses avancent beaucoup plus rapidement.
Quel bilan dressez-vous en matière des droits de la femme de la législature 2020-2025 ?
Il n’est pas nécessairement négatif. Il y a des mécanismes politiques qui favorisent les droits des femmes. Le secteur de la magistrature a été introduit dans les secteurs régis par les quotas. Cela est une bonne chose. En effet, le secteur de la justice est un secteur très important dans la vie des gens.
Le ministère en charge du genre a procédé à l’évaluation du plan d’action 2017-2022, la Politique Nationale Genre 2012-2025 (PNG) et à l’élaboration d’un nouveau plan d’action 2023-2027 de la PNG. Le nouveau plan d’action fait de la prise en compte de l’égalité des genres dans tous les domaines de la vie socio-économique son cheval de batail.
Tout cela montre la volonté politique des décideurs burundais de favoriser la défense des droits des femmes.
Vous n’y trouvez pas de lacunes ?
Si. Les lacunes sont toujours là parce que même les dispositions qui sont là ne sont pas mises en œuvre comme on le voudrait.
Cela peut être dû au manque de moyens. Les capacités aussi de ceux qui les mettent en œuvre. Ceux-ci peuvent ne pas savoir comment faire pour intégrer la dimension genre dans leur mise en œuvre et dans la réalisation des objectifs.
Aussi, il ne faut pas oublier le poids de la culture qui freine les choses. Celle-ci avantage les hommes. Ces hommes-là qui sont avantagés ne vont pas très volontiers penser à des dispositions qui favorisent les femmes.
Que faut-il faire alors ?
Des sensibilisations et des contrôles sont nécessaires. En premier lieu, il faut des formations pour l’amélioration des capacités. Encore qu’il faille qu’il y ait la volonté de le faire.
Parfois, il y a les capacités sans la volonté. Parfois, il y a la volonté sans les capacités.
Les progrès au niveau de la loi sont très lents. Pour que les choses changent, il faut qu’il y ait une loi. Aussi longtemps que la loi sera muette, il n’y aura pas beaucoup de volontaires parmi les décideurs pour agir.
Là, j’insiste vraiment. Si on ne réussit pas à changer la loi, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas changer.
Pourquoi la loi sur la succession qui permettrait aux femmes d’hériter des terres ancestrales n’est pas encore votée au Burundi ?
Bon ! Je pense qu’il y a beaucoup de choses à considérer par rapport à l’action pouvant être menée par les femmes qui sont à l’Assemblée nationale et au Sénat.
D’abord, il ne faut pas oublier leur petit nombre. Elles sont en nombre réduit de 30%. Elles peuvent introduire le débat. Elles pourront peut-être donner leurs avis avec toujours cette réticence à aller contre les chefs qui les ont mises sur les listes électorales. Je pense qu’il y aura toujours une limite.
Pourquoi ?
Par exemple, si au niveau de leur parti politique cela n’est pas favorisé, elles ne vont pas lutter pour cela. Ce serait compromettre leur position. Elles sont en petit nombre.
Pour faire passer une loi et pour pouvoir faire changer d’avis certaines autres personnes, on doit avoir le poids au niveau des arguments avancés. Mais, quand on en vient au vote, c’est la majorité en termes de nombre qui l’emporte.
Quelles sont vos attentes à propos de la législature prochaine en matière des droits de la femme
Parler des attentes, c’est partir des opportunités dont on dispose. On a le fait que 30% sont déjà garantis pour certains secteurs.
L’autre facteur qui nous amène à espérer un peu plus de femmes dans ces instances, ce sont les activités de promotion des droits des femmes. Ces activités sont menées par les différentes organisations et associations des droits des femmes. Notamment, la promotion de l’autonomisation des femmes.
Concrètement quels sont les apports ?
Cela a permis aux femmes d’avoir un certain pouvoir économique qui les libère justement du poids de la culture. Lorsqu’une femme peut décider d’une dépense, elle se libère d’une certaine façon de la dépendance à son mari. Elle peut s’engager donc dans des activités sans devoir demander le financement à son mari.
Ça nous amène à espérer qu’il y a un plus grand nombre de femmes qui vont s’engager au niveau politique et qui vont se faire élire. Les activités de sensibilisation auprès des femmes pour élire et se faire élire ont débuté depuis un certain temps.
Et chez les hommes ?
Aussi, une plus grande conscientisation des hommes même si c’est dans une moindre mesure. En tout cas, il y a des associations qui ont beaucoup œuvré dans le sens de sensibiliser les hommes en faveur d’une meilleure réalisation des droits des femmes notamment les droits à la participation. Tous ces facteurs nous amènent à espérer mieux pour la prochaine législature.
Pas de craintes donc ?
Si. Nous avons quand même des inquiétudes liées notamment à certains changements ou certains enjeux politiques qui mettent au second plan les impératifs genres.
Je prends par exemple cette nouvelle restructuration administrative (le nouveau découpage administratif) qui diminue le nombre de provinces. Combien de femmes allons-nous avoir comme gouverneure ? Nous en avions trois. C’étaient seulement 16%. Est-ce que nous allons en avoir 2 ou une seule ? Au niveau des communes, les communes ont augmenté. Nous avons quand même la loi au niveau communal qui n’a pas changé pour les élections et pour les postes électifs. Mais qu’en est-il des postes non électifs au niveau des communes ? On aura un grand nombre de postes plus qu’on en avait avant mais il n’y a aucune disposition légale garantissant la participation des femmes dans ces secteurs.
Que proposez-vous alors ?
Pour le moment ce sont des questionnements. Qu’est-ce qui va se passer si on n’a pas de femmes au niveau communal qui gère la vie des populations. Et même si on a une femme au niveau communal.
Ce sont toujours les 30%. Cela reste donc une faiblesse. Maintenant, on aura un grand nombre de postes à se partager. Qu’est- ce qu’on va donner aux femmes ? En l’absence d’une disposition légale, est-ce qu’on va respecter les 30% au moins dans la distribution des postes au niveau communal ? Et il y aura beaucoup de postes.
Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ?
J’imagine que certains postes qui étaient au niveau du ministère vont migrer vers les communes. Alors, si par exemple au niveau d’une commune on a dix postes supplémentaires, comment est-ce qu’ils vont être distribués. Si les femmes n’y sont pas, qu’est-ce qui va se passer ? Donc, on a toutes ces questions. Nous faisons face à une grande inconnue. Nous ne savons pas à quoi nous attendre lors de la nouvelle législature.
Pourquoi les femmes sont beaucoup plus focalisées sur les questions d’ordre économique ?
C’est ce qu’elles vivent au quotidien. Les femmes lorsqu’elles vivent de grands problèmes économiques, cela les détache en peu de la politique.
C’est en fait quelque chose qu’elles ne maîtrisent pas. Les denrées alimentaires qui deviennent de plus en plus chères et le manque de carburant. Maintenant, ça devient un véritable casse-tête, c’est réel, c’est le vécu. Alors, elles se disent, est-ce que ça va changer notre vécu actuel ? Le premier droit pour elles qui est vraiment palpable, c’est le droit à la jouissance économique et à subvenir à leurs besoins de façon économique. Or, la situation va en se détériorant en ce qui concerne justement ces droits-là.
Si vous regardez ce qui se passe avec la montée du prix du sucre et les déplacements, ça devient un gros problème si bien que les femmes sont obnubilées par cela et les autres choses ne viennent pas facilement dans leurs têtes.
Moi, je pense qu’effectivement ces problèmes économiques qui touchent encore plus les femmes que les hommes risquent, dans une certaine mesure, de diminuer l’engouement des femmes pour les élections et pour se faire élire à tous les échelons : au niveau communal, de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’augmentation de la caution que les gens doivent payer pour se faire élire est autre obstacle.
Expliquez !
Si par exemple une femme doit payer au niveau communal les 200 000 FBu qui sont demandés, combien de femmes peuvent payer ça ? Au niveau communal, pour les conseillers communaux, c’est en effet 200 000 FBu par personne pour se faire élire. Est-ce que les partis politiques vont payer pour elles ? Ça c’est un autre facteur qui risque de faire diminuer la participation politique. Donc le facteur économique est important dans la jouissance des droits de la femme.
Ça devient encore plus préoccupant puisque cette caution a été introduite au niveau communal alors qu’avant elle n’existait pas. Maintenant qu’elle a été introduite, qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce que les hommes vont positionner des femmes qui n’ont pas les moyens pour payer ? Est- ce qu’ils vont payer pour elles ? Est-ce que ça va vraiment amener les hommes à positionner les femmes dans des positions avantageuses ? Surtout que les hommes sont réticents et ne veulent pas les femmes qui risquent de prendre leur place.
Il faut vraiment que les chefs, au premier plan les présidents des partis politiques, soient combattifs en faveur de l’introduction des femmes à des places avantageuses sur les listes électorales.
Le Burundi manque de presque tout( carburant, sucre, electricite, eau, …..alors qu’il est dirigE A majorite par des hommes; je me demande ce qu’il en serait s’il etait dirige A mojorite par des femmes.
D’ailleurs; techniquement parlant, au lieu de se plaindre que par exemple on a que 3 gouverneurs femmes, il faut plutot demontrer les performance exceptionnelles que l’on peut trouver dans ces trois provinces gouvernees par des femmes pour que par voie de consequence on arrive A conclure que finalement les femmes meritent plus. Tant que nous continuerons A raisonner en termes de genre, d’ethnie, de region pour placer les gens au lieu de privileger les compentences, notre Burundi fera ce qu’il a toujours fait et n’obtiendra que ce qu’il a toujours eu.