Samedi 23 novembre 2024

Politique

« A l’Assemblée nationale et au Sénat, en plus des femmes élues sur les listes électorales des partis politiques, il faudrait des femmes choisies par les femmes et pour les femmes »

11/11/2024 1
« A l’Assemblée nationale et au Sénat, en plus des femmes élues sur les listes électorales des partis politiques, il faudrait des femmes choisies par les femmes et pour les femmes »

Experte en genre, Clémence Bununagi s’exprime sur l’état des lieux des droits de la femme au Burundi et ses attentes sur la législature prochaine de 2025.

Malgré les avancées en matière de représentativité des femmes au niveau des instances de prise de décisions, pourquoi leurs droits continuent à être bafoués au Burundi ?

Quand vous parlez des droits en rapport avec les élections de 2025, je pense directement au droit à la participation aux postes de décision, même si celui-ci donne accès à beaucoup d’autres droits. A ce propos, il y a une clause constitutionnelle datant de 2005 qui donne 30% minimum aux femmes au niveau du Gouvernement, de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Pour ces deux dernières instances, elles sont élues à partir des listes électorales des partis politiques. Elles ont tendance à exécuter l’agenda politique de leurs partis politiques d’origine. Est-ce que cela favorise l’agenda femme puisque les femmes qui sont positionnées ne sont pas nécessairement celles qui sont convaincues au niveau de la lutte pour les droits des femmes ? Elles sont dans ces instances depuis 2005. Elles interviennent au niveau des nominations, du vote des lois et du contrôle de l’action gouvernementale.

Mais, on n’a par exemple que 3 femmes sur les 18 gouverneurs de province. Depuis 2005 jusqu’aujourd’hui, le quota d’au moins 30% de femmes n’a pas évolué, et on n’a pas encore réussi à avoir une disposition légale garantissant la participation des femmes au niveau collinaire et dans les postes de décision non électifs, sauf au niveau du secteur de la justice. Il faudrait un autre mécanisme qui permet d’introduire un autre type de femmes au parlement.

Lequel ?

Par exemple un quota de femmes incluses au sein de l’Assemblée Nationale et du Sénat et qui seraient choisies par les femmes pour l’intérêt des femmes. Ce groupe de femmes aurait pour mission de défendre l’agenda genre. C’est cela qui permettrait que les choses avancent beaucoup plus rapidement.

Quel bilan dressez-vous en matière des droits de la femme de la législature 2020-2025 ?

Il n’est pas nécessairement négatif parce que le quota d’au moins 30% de femmes est respecté dans les secteurs qui sont concernés. Il y a des mécanismes politiques qui favorisent les droits des femmes.

Le secteur de la magistrature a été introduit dans les secteurs régis par les quotas par la Constitution de 2018. Cela est une bonne chose.

En effet, le secteur de la justice est un secteur très important dans la vie des gens. Le ministère en charge du genre a procédé à l’évaluation du plan d’action 2017-2021de mise en œuvre de la Politique Nationale Genre 2012-2025 (PNG) et à l’élaboration d’un nouveau plan d’action 2022-2027 de la PNG.

Le nouveau plan d’action fait de la prise en compte de l’égalité des genres dans tous les domaines de la vie socio-économique son cheval de batail.

Un nouveau Plan d’action 2021-2027 de mise en œuvre de la Résolution 1325 a également été élaboré. Tout cela montre la volonté politique des décideurs burundais de favoriser la défense des droits des femmes.

Vous n’y trouvez pas de lacunes ?

Si. Les lacunes sont toujours parce que les femmes sont encore trop faiblement représentées dans les secteurs non concernés par la clause du quota. Même les dispositions qui sont là ne sont pas mises en œuvre comme on le voudrait. Cela peut être dû au manque de moyens.

Les capacités aussi de ceux qui les mettent en œuvre. Ceux-ci peuvent ne pas savoir comment faire pour intégrer la dimension genre dans leur mise en œuvre et dans la réalisation des objectifs.

Aussi, il ne faut pas oublier le poids de la culture qui freine les choses. Celle-ci avantage les hommes. Ces hommes-là qui sont avantagés ne vont pas très volontiers penser à des dispositions qui favorisent les femmes, surtout si aucune loi ne les y obligent.

Que faut-il faire alors ?

Des séances de sensibilisations à l’endroit des différents acteurs concernés sont nécessaires. En premier lieu, il faut des formations pour l’amélioration des capacités. Encore qu’il faille qu’il y ait la volonté de le faire. Parfois, il y a les capacités sans la volonté. Parfois, il y a la volonté sans les capacités.

Les progrès sont très lents surtout dans les secteurs non concernés par la clause du quota. Pour que les choses changent, il faut qu’il y ait des dispositions légales.

Aussi longtemps que la loi sera muette, il n’y aura pas beaucoup de volontaires parmi les décideurs pour agir. Là, j’insiste vraiment sur le pouvoir de la loi. L’instauration de la clause du quota d’au moins 30% de femmes a ouvert aux femmes un espace qu’elles n’avaient jamais occupé jusque-là au niveau du Gouvernement, du Parlement et au niveau communal. Si on ne réussit pas à changer la loi par rapport aux secteurs non encore concernés par le quota, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas changer.

Pourquoi la loi sur la succession qui permettrait aux femmes d’hériter des terres ancestrales n’est pas encore votée au Burundi ?

Bon ! Il faut d’abord savoir qu’une loi sur les successions, les régimes matrimoniaux et les libéralités avait été votée il y a longtemps par le Parlement. Mais elle n’a pas été promulguée pour des raisons que j’ignore. C’est donc un combat qui doit encore être mené.

Mais je pense aussi qu’il y a beaucoup de choses à considérer par rapport à l’action pouvant être menée par les femmes qui sont à l’Assemblée nationale et au Sénat. D’abord, il ne faut pas oublier leur petit nombre. Elles sont en nombre très réduit par rapport aux hommes qui sont favorisés par la loi coutumière qui fait d’eux les seuls héritiers de leurs parents.

Elles peuvent introduire le débat. Elles pourront peut-être donner leurs avis avec toujours cette réticence à aller contre les chefs qui les ont mises sur les listes électorales. Je pense qu’il y aura toujours une limite.

Pourquoi ?

Par exemple, si au niveau de leur parti politique cela n’est pas favorisé, elles ne vont pas lutter pour cela. Ce serait compromettre leur position. Elles sont en petit nombre. Pour faire passer une loi et pour pouvoir faire changer d’avis certaines autres personnes, on doit avoir du poids au niveau des arguments avancés. Mais, quand on en vient au vote, c’est la majorité en termes de nombre qui l’emporte.

Quelles sont vos attentes à propos de la législature prochaine en matière des droits de la femme?

Parler des attentes, c’est partir des opportunités dont on dispose. On a le fait que 30% sont déjà garantis pour certains secteurs et on espère qu’ils vont être respectés.

Pour les autres secteurs non concernés par cette disposition, les lois qui vont régir les élections de 2025 sont déjà là et ne sont pas plus favorables aux femmes qu’en 2020. A côté de la clause du quota, un autre facteur qui nous amène à espérer un peu plus de femmes dans les instances électives, ce sont les activités de promotion des droits des femmes.

Ces activités sont menées par les différentes organisations et associations engagées dans la promotion des droits des femmes des droits des femmes. Notamment, la promotion de l’autonomisation des femmes.

Concrètement quels sont les apports ?

Cela a permis aux femmes d’avoir un certain pouvoir économique qui les libère justement du poids de la culture. Lorsqu’une femme peut décider d’une dépense, elle se libère d’une certaine façon de la dépendance économique par rapport à son mari.

Elle peut s’engager donc dans des activités sans devoir demander le financement à son mari. Ça nous amène à espérer qu’il y a un plus grand nombre de femmes qui vont s’engager au niveau politique et qui vont se faire élire. Les activités de sensibilisation auprès des femmes pour élire et se faire élire ont débuté depuis un certain temps.

Et chez les hommes ?

Aussi, une plus grande conscientisation des hommes même si c’est dans une moindre mesure. En tout cas, il y a des associations qui ont beaucoup œuvré dans le sens de sensibiliser les hommes en faveur d’une meilleure réalisation des droits des femmes notamment les droits à la participation.

Certaines organisations mènent des activités de sensibilisation et de formation des hommes sur la masculinité positive en vue de ma promotion chez eux de mentalités plus favorables à l’égalité genre. Tous ces facteurs nous amènent à espérer mieux pour la prochaine législature.

Pas de craintes donc ?

Si. Nous avons quand même des inquiétudes liées notamment à certains changements ou certains enjeux politiques qui mettent au second plan les impératifs genres. Je prends par exemple cette nouvelle restructuration administrative (le nouveau découpage administratif) qui diminue le nombre de provinces et de communes. Combien de femmes allons-nous avoir comme gouverneures ? Nous en avions trois sur 18. C’étaient seulement 16%. Est-ce que nous allons en avoir 2 ou une seule ? Nous savons déjà qu’il y a des partis politiques qui ont déjà nommé leurs responsables provinciaux pour les 5 nouvelles provinces, certains n’ont nommé aucune femme !

Au niveau des communes, nous avons quand même la loi qui n’a pas changé pour les postes électifs. Mais qu’en est-il des postes non électifs au niveau des communes ? On aura un grand nombre de postes, plus qu’on en avait avant mais il n’y a aucune disposition légale garantissant la participation des femmes pour les postes non électifs.

Que proposez-vous alors ?

Comme je vous l’ai déjà dit, on ne peut plus faire grand-chose au niveau de la loi. On peut simplement continuer les activités de sensibilisation et de renforcement des capacités. Pour le reste, on a surtout des questionnements. Qu’est-ce qui va se passer si on n’a pas de femmes au niveau des postes non électifs des différentes communes ? Ce sont les agents des communes qui gèrent la vie des populations. Et même si les 30% sont garantis par la loi au niveau des conseils communaux et des administrateurs, les femmes restent minoritaires Cela reste donc une faiblesse.

Maintenant, on aura un grand nombre de postes non électifs à se partager au niveau des différentes administrations communales. Qu’est- ce qu’on va donner aux femmes ? En l’absence d’une disposition légale, est-ce qu’on va respecter les 30% au moins dans la distribution des postes au niveau communal ? Et il y aura beaucoup de postes.

Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ?

Certains postes qui étaient au niveau des ministères vont migrer vers les communes. Alors, si par exemple au niveau d’une commune on a dix postes supplémentaires, comment est-ce qu’ils vont être distribués entre les hommes et les femmes ? Si les femmes n’y sont pas, qu’est-ce qui va se passer ? Donc, on a toutes ces questions. Nous faisons face à une grande inconnue. Nous ne savons pas à quoi nous attendre après les élections de 2025.

Pourquoi les femmes sont beaucoup plus focalisées sur les questions d’ordre économique ?

C’est ce qu’elles vivent au quotidien. Les femmes lorsqu’elles vivent de grands problèmes économiques, cela les détache en peu de la politique. C’est en fait quelque chose qu’elles ne maîtrisent pas. Les denrées alimentaires qui deviennent de plus en plus chères et le manque de carburant. Maintenant, ça devient un véritable casse-tête, c’est réel, c’est le vécu.

Alors, elles se disent, est-ce que les élections vont changer notre vécu actuel ? Le premier droit pour elles qui est vraiment palpable, c’est le droit à la jouissance économique et à subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille.

Or, la situation va en se détériorant en ce qui concerne justement ces droits-là. Si vous regardez ce qui se passe avec la montée du prix du sucre et autres denrées alimentaires, le coût des déplacements, ça devient un gros problème si bien que les femmes sont obnubilées par cela et les autres choses ne viennent pas facilement dans leurs têtes.

Moi, je pense qu’effectivement ces problèmes économiques qui touchent encore plus les femmes que les hommes risquent, dans une certaine mesure, de diminuer l’engouement des femmes pour les élections et pour se faire élire à tous les échelons : au niveau communal, de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’augmentation de la caution à payer pour les candidatures aux élections au niveau de l’Assemblée Nationale et du Sénat et l’introduction d’une caution au niveau communal constituent un autre grand obstacle.

Expliquez !

Avec le nouveau code électoral, la caution à payer à l’Assemblée Nationale et au Sénat a passé de 500 mille en 2020 à deux millions.

Pour les élections communales pour lesquelles il n’y avait pas de caution à payer, les partis politiques devront payer 200 000 FBU pour chaque liste de candidats. Est-ce que les partis politiques vont mettre dans des positions utiles sur les listes électorales des femmes incapables de contribuer financièrement ? Est-ce qu’ils vont payer pour elles ? Cela est un autre facteur qui risque de faire diminuer la participation des femmes à ces élections. Donc le facteur économique reste important dans la jouissance des droits de la femme, particulièrement en matière de participation.

Surtout que les hommes sont réticents et ne veulent pas que les femmes risquent de prendre leur place. Il faut vraiment que les chefs au premier plan, les présidents des partis politiques, soient combattifs en faveur de l’introduction des femmes à des places avantageuses sur les listes électorales.

Propos recueillis par Emelyne Ndabashika

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. hakizimana jean capistran

    Le Burundi manque de presque tout( carburant, sucre, electricite, eau, …..alors qu’il est dirigE A majorite par des hommes; je me demande ce qu’il en serait s’il etait dirige A mojorite par des femmes.
    D’ailleurs; techniquement parlant, au lieu de se plaindre que par exemple on a que 3 gouverneurs femmes, il faut plutot demontrer les performance exceptionnelles que l’on peut trouver dans ces trois provinces gouvernees par des femmes pour que par voie de consequence on arrive A conclure que finalement les femmes meritent plus. Tant que nous continuerons A raisonner en termes de genre, d’ethnie, de region pour placer les gens au lieu de privileger les compentences, notre Burundi fera ce qu’il a toujours fait et n’obtiendra que ce qu’il a toujours eu.

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