Selon l’économiste, André Nikwigize, l’année 2025 ne sera pas facile pour le Burundi et les Burundais. Elle commence avec de mauvaises nouvelles notamment avec la suspension de la Facilité Elargie de Crédit (FEC) que le Fonds Monétaire International (FMI) avait conclu avec le gouvernement en juillet 2023 pour un montant de 271 millions de USD et sur 38 mois.
Quid de la Facilité Elargie de Crédit (FEC) ?
Les réformes imposent des sacrifices, mais l’absence de réformes coûte encore plus cher. Lorsque le gouvernement a négocié avec le FMI, en avril 2023, en marge des Réunions de Printemps de la Banque Mondiale et du FMI, le Burundi faisait face à d’énormes difficultés financières, en particulier, le manque de devises étrangères, le manque de carburant et un endettement intérieur important. Le programme avec le FMI représentait, par conséquent, une bouée d’oxygène pour le gouvernement.
D’ailleurs, aussitôt, après la finalisation du programme, la Lettre d’Intention du gouvernement et la dévaluation du Franc Burundais de 38% par rapport au Dollar $, en mai 2023, le FMI a débloqué une première tranche de 62,6 millions de $ en juillet 2023.
La Facilité était destinée à reconstituer les réserves extérieures, à réduire les vulnérabilités de la dette publique et à soutenir la mise en œuvre du programme, y compris de favoriser une croissance économique inclusive et la bonne gouvernance. Le reste des financements serait libéré au fur et à mesure de l’avancement des réformes.
Qu’est-ce qui s’est passé après ?
Au fil des mois, les déficits structurels se creusent : la balance des paiements, les déficits budgétaires, la dépréciation de la monnaie nationale, la dette intérieure, l’inflation.
Fin 2024, les recettes d’exportations couvraient moins de 12% des besoins d’importations, le déficit budgétaire atteignait 21% du PIB, la dette intérieure 48% du PIB, tandis que le Franc Burundais s’est déprécié de plus de 160% depuis mai 2023. Le niveau d’inflation s’est élevé à environ 28%, et pourrait augmenter jusqu’à 36% au cours de l’année 2025 en cours.
Un tableau sombre
Ces déficits structurels font peur au gouvernement, qui ne veut plus poursuivre les réformes économiques convenues avec le FMI et soutenues par d’autres partenaires. Particulièrement, s’il faut rééquilibrer le taux de change $/FBU, le change serait 1$=7.500 FBU, contre 1$ pour 2900 FBU sur le marché officiel d’aujourd’hui, ce qui fait peur. Avec l’hésitation du gouvernement à poursuivre les réformes, ce sont 208,4 millions de $ qui seront perdus. Le Gouvernement dispose-t-il des alternatives à ces réformes ?
Le coût de l’absence des réformes coûte alors très cher au pays ?
D’abord, comment résorber les déséquilibres du commerce extérieur ? Durant les 20 dernières années, les exportations sont restées très faibles, à cause du peu d’investissements dans le secteur des produits d’exportations. Par exemple, pour le principal produit d’exportation, le café, sa production est passée de 50.000 tonnes en 1994/1995 à 7.500 tonnes en 2023/2024.
Cela a eu pour conséquence que les recettes provenant des exportations couvrent moins de 12% des importations. Ceci explique le déficit commercial important. Qui va financer ce déficit important du commerce extérieur ?
Coup dur concernant la rentrée des devises
Avec le manque de devises auprès de la Banque de la République du Burundi (BRB), dont les réserves couvrent, à peine, 0,8 mois d’importations, beaucoup d’importateurs sont obligés de s’approvisionner sur le marché parallèle à des taux très élevés, avec le peu de devises qu’apportent les touristes et les voyageurs en visite au Burundi.
Cela a, certainement, des conséquences sur les prix des produits importés, puisque les devises ont été acquises à des taux élevés. Le carburant, les médicaments, les engrais, les matériaux de construction, les produits alimentaires, tous sont affectés par la pénurie de devises.
Certains commerçants préfèrent s’abstenir d’importer car, avec le manque de devises, les tracasseries administratives, les impôts, sans oublier la corruption et les hauts fonctionnaires et les membres du parti au pouvoir, qui veulent s’accaparer de ce secteur, le commerce devient non rentable. Le carburant en est l’exemple le plus frappant.
Parlons des dépenses publiques
Le gouvernement vit au-dessus de ses moyens. Dans un contexte de crise financière, l’Etat a continué une politique de dépenses publiques qui ne tient pas compte des recettes disponibles, en comptant sur les dons et les prêts extérieurs.
Des budgets importants ont été alloués à des services gouvernementaux, pour payer des dépenses non essentielles, la construction des stades, des buildings administratifs, les salaires des hauts dignitaires, les véhicules de l’Etat, les voyages à l’étranger des fonctionnaires.
Les budgets de la Défense se sont accrus considérablement jusqu’à atteindre 3,5% du PIB, de loin supérieurs aux budgets que les Etats de la sous-région allouent à ce secteur. Tout cela sans tenir compte de la capacité financière du pays. Les déficits budgétaires s’accumulent et le gouvernement n’a pas les moyens de les apurer.
Et lorsque les ressources fiscales ne suffisent pas à couvrir ces nombreuses dépenses, l’Etat recourt à la dette intérieure, en s’endettant auprès de la Banque Centrale et aux banques commerciales et institutions financières nationales. En 11 ans, la dette intérieure a été multipliée par 8, avec des implications financières énormes pour le pays, en particulier, l’assèchement des ressources pour le secteur bancaire.
Cette facilité de crédit était une aubaine ?
Par conséquent, lorsqu’un Etat n’est pas en mesure d’assurer son indépendance économique, il accepte les conseils de ses partenaires extérieurs. Depuis 2005, les partenaires extérieurs du Burundi ont soutenu les efforts du gouvernement par des appuis financiers importants. En 2009, les pays et organisations membres du Club de Paris ont consenti à l‘annulation de plus de 80% de la dette extérieure du Burundi, sous le programme des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE).
Malheureusement, depuis 2016, après les évènements sanglants qui se sont déroulés au Burundi, avec les violations massives des droits de l’homme, les emprisonnements et les exils forcés, les principaux partenaires financiers du Burundi ont pris des sanctions visant, entre autres, à suspendre les financements. L’aide au développement, qui avait atteint un niveau de 742 millions de $ a baissé jusqu’à 481 millions de $ en 2020.
A l’accession au pouvoir du président Evariste Ndayishimiye, en juin 2020, les partenaires au développement ont voulu relancer la coopération avec le Burundi, mais à la condition d’engager des réformes politiques et économiques. En 2022, c’était avec l’Union Européenne, et en 2023, avec les institutions de Bretton Woods, le FMI et la Banque Mondiale.
Pour se sortir de ce marasme économique, que doit faire Gitega ?
Le Burundi doit engager des réformes et investir dans la production et l’exportation, pour la survie et la relance économique et la prospérité du peuple. La situation socio-économique dans laquelle se trouve actuellement le Burundi exige des réformes économiques urgentes, pour éviter l’implosion.
Pour un pays dont les trois-quarts de la population se trouvent dans l’extrême pauvreté, avec toutes les pénuries qui paralysent l’économie nationale, le gouvernement devrait accepter d’engager des réformes telles qu’exigées par le peuple et les partenaires extérieurs.
Que recommandez-vous ?
Des experts économistes, nationaux et internationaux ont formulé des recommandations qui sont restées lettre-morte auprès du gouvernement.
Pour cela, il faudra reprendre les discussions avec les institutions de Bretton Woods et d’autres partenaires financiers, en vue de définir ensemble un programme de stabilisation macro-économique.
Il faut dévaluer la monnaie nationale, pour augmenter les recettes d’exportations, en monnaie locale et renchérir les importations, qui demanderaient plus de ressources en devises. C’est aussi une politique qui favoriserait la substitution des importations.
Comment peut se faire cette dévaluation du BIF ?
La dévaluation peut s’effectuer en 2, 3 ou 4 étapes, en attendant une augmentation des recettes d’exportations et la mobilisation des appuis extérieurs. Réduire le train de vie de l’Etat, par une réduction drastique des dépenses publiques non essentielles, et consacrer une partie importante des ressources fiscales au financement de l’investissement public et à la réduction de la pauvreté.
Réduire l’endettement de l’Etat auprès du système bancaire, en vue de dégager des ressources pour le financement du secteur privé. Prendre les mesures nécessaires pour juguler l’inflation.
D’autre part, l’Etat devrait investir dans les secteurs de production vivrière et d’exportation. Toutes les unités de production pour l’exportation, mises en place dans les années 80 ont été démantelées, d’autres sont en souffrance.
Il serait temps d’orienter des investissements dans ces secteurs stratégiques si le Burundi veut assurer son indépendance économique à moyen et à long terme. Le Burundi de demain est à ce prix.
Propos recueillis par Fabrice Manirakiza
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