Les pêcheurs burundais craignent des conséquences économiques néfastes sur leurs ménages qui découleront de l’interdiction temporaire de la pêche dans le lac Tanganyika. Cette interdiction entrera en vigueur du 15 mai au 15 août 2023. Ils demandent au gouvernement de surseoir à la mesure.
Lundi 8 mai, vers 11h, à la petite plage dite « olympique », les pêcheurs échangent près de leurs pirogues. D’autres sont à l’abri du soleil dans des tentes de fortune ou des cabanes en bois. Certaines pirogues sont immobilisées dans le lac comme d’habitude à la plage surtout pendant la journée.
Tout semble normal. Néanmoins, certains pêcheurs et leurs patrons sont inquiets. Ils ont eu des informations selon lesquelles le lac sera fermé pendant trois mois à partir du 15 mai. « Nous avons entendu cela à la radio », commente un pêcheur interrogé.»
Barthélémy Bankikinyoma ne cache pas sa colère : « Je totalise 49 ans dans le métier de pêcheur, c’est la première fois que le lac Tanganyika sera fermé sur une aussi longue période ». Il ne comprend pas comment une telle mesure peut être prise pendant 3 mois alors que sa famille compte sur son métier. « J’ai 9 enfants. Je pouvais pêcher, vendre des poissons et gagner, des petites sommes d’argent pour acheter de la farine. Comment alors allons-nous vivre ? » s’inquiète-t-il. Il indique qu’il n’a pas de propriété foncière à cultiver, comme la plupart des pêcheurs d’ailleurs.
Pas de communication
Blaise Harerimana, pêcheur sur la petite plage dite olympique, déplore qu’aucune autorité compétente n’est jusqu’ici venue annoncer la mesure aux pêcheurs. « Pas encore d’information fiable à notre disposition. »
Cet homme de 43 ans et 25 ans de métier dans la pêche dit attendre l’aide de la Providence parce que la vie de toute sa famille de 9 enfants dépend jusque-là de la pêche. « Mes enfants étudient et mangent grâce à la pêche. »
Selon lui, quand la pêche sera suspendue dans le lac Tanganyika, des mauvais comportements de vol risquent de surgir à cause de la faim dans la population. « Et certains pêcheurs risquent la prison à cause des dettes qui ne seront pas payées » prévient ce pêcheur.
Selon lui, beaucoup de pêcheurs ont contracté des crédits en banque pour commencer à travailler. « Pour avoir une pirogue sans moteur, il te faut au moins 12 millions BIF. Où peux-tu trouver cette somme sans recours au crédit ? », s’interroge-t-il.
Blaise Harerimana demande au gouvernement du Burundi de surseoir à la mesure d’interdiction des activités de pêche dans le lac Tanganyika. Sinon, prévient-t-il, les pertes seront très énormes. « Moi, par exemple, j’ai acheté des batteries de 2.400.000 BIF, mais elles ne me serviront à rien tous ces trois mois. » De plus, ajoute notre source, si les batteries passent une longue période sans être utilisées, le risque est de ne plus fonctionner.
Des pertes attendues
Son collègue, Sylvestre Ntunzwenimana, lui, regrette que l’autorité responsable de la pêche ne se soit pas rendue sur terrain pour écouter les doléances des pêcheurs sur une mesure qui les concerne directement. Celui-ci complète son confrère en disant que les pertes seront très énormes. « Les pirogues ne peuvent pas passer trois mois sans être utilisées et continuer de fonctionner », affirme-t-il.
Ntunzwenimana fait savoir, de surcroît, que beaucoup de pêcheurs utilisent plus de 10 batteries qui coûtent chacune 350 mille ou 400 mille BIF. Or, après trois mois sans être utilisées, fait-il observer, elles ne fonctionnent plus. Et de s’interroger : « Déjà après la semaine habituelle de suspension d’activités de pêche, tu peux trouver quelque deux ou trois batteries qui ne fonctionnent plus. Imagine ce qui se passera après trois mois. »
Il fait savoir que les trois mois seront pour lui une grande perte. Il demande au gouvernement burundais de lui montrer d’autres activités comme alternatives pendant la période de suspension de la pêche. Sinon, il trouve que même après les trois mois, peu de pêcheurs auront des moyens de reprendre leurs activités.
Ce vétéran pêcheur demande au ministère en charge de l’Environnement de consulter les pêcheurs avant de mettre en application la mesure. « C’est pour éviter que des problèmes surgissent alors que nous aurions pu donner notre contribution. »
« La mesure nous décourage », commente à son tour, Désire Ndiyabandi, un autre pêcheur. Il se demande comment le ministère de l’Environnement n’a pas recueilli les avis des pêcheurs. « Nous sommes plus de 35 milles pêcheurs qui exercent dans le lac Tanganyika ». Et de poursuivre : « Nous scolarisons nos enfants grâce à la pêche. Celui qui a une boutique ou une voiture de transport dans toute la partie riveraine du lac travaille grâce à la pêche. »
Il craint des vols sans nom quand le lac sera fermé sur trois mois et demande au gouvernement « responsable et laborieux » de venir recueillir les doléances des pêcheurs.
Et de s’interroger pourquoi une telle mesure n’a pas fait objet d’un débat au Burundi alors qu’elle concerne plus de 30 mille Burundais sans citer des commerçants et vendeurs de poissons. « En Tanzanie et en RDC, les députés ont exigé des explications au gouvernement mais chez nous c’est le silence».
Nécessité d’un débat sur la mesure
Déogratias Baranyikwa, représentant des pêcheurs de la petite plage communément appelé Olympique, fait savoir que les pêcheurs lui adressent toujours des questions sur la mesure alors qu’il n’a pas de réponse. « J’ai appris cela sur la voix des ondes. Aucune autorité n’est venue nous sensibiliser ».
Il fait savoir que dans les pays riverains, les députés élus dans des provinces de pêche ont défendu les pêcheurs devant le gouvernement : « Des députés de Kigoma en Tanzanie l’ont fait, nous aussi, nous avons des députés mais ils ne disent rien pour nous. »
S’il faut mettre la mesure en application, celui qui représente plus de 3000 pêcheurs soutient qu’une sensibilisation doit être faite surtout auprès de ceux qui représentent les autres : « Nous qui sommes leaders, nous devrions être mis au courant de tout ce qui est prévu. »
L’Autorité du lac Tanganyika défend la mesure
« Ce que je peux vous dire c’est que le lac Tanganyika est un patrimoine commun pour la République du Burundi, la République démocratique du Congo, la République unie de la Tanzanie et la Zambie », réagit d’emblée Sylvain Tusanga Mukanga, directeur exécutif de l’Autorité du lac Tanganyika.
Il explique que les 4 pays se sont convenus de ne pas laisser chaque pays gérer le lac dans sa juridiction comme il veut pour pouvoir profiter de ce don que Dieu leur a donné. « Nous devons nous mettre ensemble et établir des normes pour le protéger et gérer convenablement ses ressources. » C’est ainsi, ajoute-t-il, qu’ils se sont mis ensemble en 2003 et ont signé la convention sur la gestion durable du lac Tanganyika.
Tusanga Mukanga fait savoir que depuis un certain temps, les pêcheurs ont constaté que quand ils font la pêche, ils reviennent avec de petites quantités de poissons ou parfois ils pêchent presque toute la nuit pour ne rien capturer. « Les plaintes sont d’abord venues des pêcheurs eux-mêmes », affirme le directeur exécutif.
Il indique, en outre, que le constat a été fait dans les 4 pays à travers les services techniques des ministères qui gèrent la pêche. « Et nous comme Autorité du lac Tanganyika et les gouvernements des 4 pays, nous ne pouvons pas rester les mains croisées et écouter seulement les doléances. »
Selon lui, la solution a été de se référer aux institutions de recherche qui ont la compétence, qui savent comment les poissons vivent, comment ils grandissent, comment ils se déplacent. C’est ainsi, révèle-t-il, que l’on a commandité des études à travers les institutions de recherches dans les 4 pays pour analyser et faire des études sur cette question.
Des études ont étés effectuées sur trois principales espèces de poisson, à savoir le Ndagala, le Mukeke et le lumbu. « Et on nous a proposé un certain nombre de mesures pour restaurer le stock qui est en chute libre ». Des mesures ont permis à l’autorité de préparer une charte qui contient l’ensemble de ces mesures-là. « La charte a été signée par les 4 gouvernements et lancée officiellement le 20 mai 2022 au Burundi, le 3 juin en Zambie et en RDC, le 17 juin en République unie de Tanzanie », se réjouit-il.
« Les pêcheurs devraient s’en réjouir »
Sur l’inquiétude des pêcheurs, Sylvain Tusanga Mukanga estime que ce sont plutôt eux qui doivent se réjouir. Parce que, soutient-il, toutes ces mesures-là concourent à valoriser le métier de la pêche. Pour que ce métier soit plus productif. « Nous tous nous constatons qu’il n’y a plus assez de poissons dans le lac. Ils seront les premiers bénéficiaires quand il y aura beaucoup de poissons dans le lac. »
Pour lui, les pêcheurs doivent appuyer la mise en œuvre de la charte pour qu’il y ait beaucoup de poissons dans le lac Tanganyika. Il avance que c’est pour quelques mois, et conseille aux pêcheurs d’éviter les termes de « fermer le lac ».
Il s’agit de l’interdiction temporaire de la pêche au lac Tanganyika. « Peut-être dans la charte vous ne voyez que la mesure de l’interdiction temporaire de la pêche, mais il y a toute un ensemble de mesures qui sont contenues dans la charte et qu’il faut respecter pour que nous puissions arriver à obtenir les résultats attendus. »
Sylvain Tusanga Mukanga rappelle par ailleurs que la suspension temporaire de la pêche n’est pas une innovation. « Cela se fait un peu partout dans le monde », déclare-t-il donnant l’exemple de la Zambie qui le fait chaque année pour les autres lacs qui sont en Zambie.
Selon lui, c’est l’une des mesures que les scientifiques envisagent lorsqu’il y a une situation de déclin des ressources comme nous sommes en train de le vivre au lac Tanganyika. Le directeur exécutif demande aux pêcheurs de faire preuve de patience comme un agriculteur de pommes de terre. « Il sème et attend la récolte en trois mois. Qu’ils considèrent qu’ils vont semer le 15 mai pour récolter le 15 août 2023. »
Contacté, le secrétaire permanent au ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage, fait savoir qu’il n’a pas des informations à donner sur la mesure d’interdiction temporaire de la pêche au lac Tanganyika qui commence en date du 15 mai. « Les 4 pays concernés sont en discussion, une réunion est prévue d’ici peu. » Interrogé pour savoir si la mesure peut ne pas être mise en application à la date butoir, il répond : « C’est une possibilité, mais ce n’est pas encore confirmé. »