Samedi 17 août 2024

Économie

Inkerebutsi Day : Le président Ndayishimiye réfute la dépréciation du BIF

Inkerebutsi Day : Le président Ndayishimiye réfute la dépréciation du BIF
Evariste Ndayishimiye : « La monnaie burundaise n’a pas perdu sa valeur. »

Lundi 12 août 2024, le président Ndayishimiye a livré sa perception de la valeur de la monnaie burundaise. Pour lui, contrairement à ce que suggère une certaine opinion, la valeur de la monnaie burundaise n’a jamais perdu de sa superbe. Il cite d’ailleurs quelques signes d’une « ascension sociale efficace. » Une sortie qui a provoqué de nombreuses réactions.

Par Pascal Ntakirutimana et Fabrice Manirakiza

Lors de la Journée Internationale de la Jeunesse, couplée à la célébration de la 2ème Édition d’Inkerebutsi Day 2024, tenue en Mairie de Bujumbura ce lundi 12 août 2024, Evariste Ndayishimiye a déclaré que la monnaie burundaise (BIF) n’a pas perdu sa valeur, contrairement à ce que certains Burundais affirment inlassablement. Ces derniers, dit le chef de l’État, se trompent.

« Je vous assure que la monnaie burundaise n’a pas perdu sa valeur. Allez demander dans toute la région où la vie n’est pas chère. C’est exactement ici, au Burundi. Quand tu as 20,000 BIF, tu peux manger à satiété. Pensez-vous que cela est possible ailleurs ? » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.

Pour s’en convaincre, le chef de l’État révèle qu’avec 50 USD, tu peux inviter des collègues au restaurant, être tous servis et satisfaits, et avoir encore de l’argent. Ailleurs, tu devrais dépenser toute la somme. « Si tu consommes 5000 BIF ici au Burundi, c’est comme si tu consommes 50 USD aux États-Unis d’Amérique. Faites la comparaison des mêmes plats au Burundi et aux États-Unis, vous allez conclure que le coût est le même. »

De plus, le président Ndayishimiye reconnaît que par moments, on compare l’incomparable. « Le dollar, c’est pour les Américains et le BIF, c’est pour les Burundais. Notre monnaie a de la valeur au Burundi. Voulez-vous qu’elle soit ainsi en France ? » s’interroge-t-il.

Et de revenir sur ses habituelles révélations tout en s’indignant des gens qui parlent de la dégringolade de la monnaie burundaise : « Moi qui suis capable de comparer les choses, j’ai constaté qu’un avocat qui s’achète à 200 BIF au Burundi coûte 5 USD aux États-Unis. Cela veut dire donc que 5 dollars américains équivalent à 200 francs burundais. » Le hic, selon lui, ce sont les étrangers qui ont trompé les Burundais.

Evariste Ndayishimiye invite les gens à ne plus se moquer de la monnaie burundaise. « Que personne n’ose encore se moquer du Franc Burundais en prétendant qu’il a perdu sa valeur. » Toutefois, le président Ndayishimiye reste convaincu que pour donner de la valeur à une monnaie, il faut augmenter les exportations.

Des signes d’une « ascension sociale »

« Actuellement, je suis très content puisqu’au Burundi chaque bouche a à manger et chaque poche commence à gonfler d’argent », se réjouit le président Ndayishimiye. Il donne des preuves en rappelant qu’auparavant, les citoyens des recoins du pays étaient considérés comme de seconde zone. « Or, actuellement, dans ces recoins du pays, on dénombre pas mal de motos, de véhicules et de belles maisons comme à Bujumbura. » Cela constitue pour lui des signes d’une ascension sociale. « Igihugu kiratoshe » (Le pays renaît de ses cendres).

Pour rappel, devant un parterre de simples citoyens médusés de la commune Matongo, une région surpeuplée, avec la densité la plus élevée au kilomètre carré, Gélase Daniel Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale du Burundi, a fait le même constat : « Les gens viennent ici pour faire des affaires. Ils exportent du carburant et d’autres produits. Ils les achètent et les emportent. Tout cela montre que la valeur de la monnaie burundaise est élevée. Quand les gens disent que la valeur de notre monnaie est inférieure à celle des autres monnaies de la sous-région, c’est faux, c’est impossible. »

Pourtant, le 13 décembre dernier, le gouvernement burundais a confirmé, dans un communiqué de presse du Conseil des ministres, une dépréciation monétaire élevée. « Le taux d’inflation a fortement augmenté, atteignant 26,8 % à la fin septembre 2023 contre 18 % à la fin septembre 2022 », peut-on lire dans le communiqué.

Des chiffres qui parlent

 


Réactions

Agathon Rwasa : « C’est une diversion »

Pour Agathon Rwasa, les objections du chef de l’État selon lesquelles la monnaie burundaise n’a pas perdu sa valeur ne sont qu’une diversion et une défense de sa position. « C’est la pire rhétorique. Parce que c’est évident que la monnaie burundaise est fortement dépréciée par rapport aux devises étrangères. On ne peut pas le nier. »

Ce député à l’Assemblée nationale du Burundi rappelle qu’à un certain temps le dollar s’échangeait à 100 BIF. Aujourd’hui, 1 dollar s’échange à plus de 6000 BIF. D’où, selon lui, on ne peut pas prétendre que le BIF se porte bien.

Abdul Kassim : « L’UPD-Zigamibanga constate plutôt le contraire »

Le président national du parti UPD-Zigamibanga n’est pas d’avis que la monnaie burundaise n’a pas perdu sa valeur. « Mon avis est contraire à celui du président, car la situation socio-économique du citoyen lambda et des fonctionnaires se dégrade dangereusement. » Abdul Kassim constate plutôt une paupérisation de la population burundaise. « Les rapports de la Banque de la République du Burundi et ceux de l’Institut national de la statistique du Burundi en disent long. »

Gabriel Rufyiri : « C’est un discours politique »

Le président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Économiques (Olucome) considère que la sortie du chef de l’État est un discours politique qui a ses visées, contrairement à un discours scientifique ou technique.

Gabriel Rufyiri souligne que, contrairement au message du président Ndayishimiye, tous les experts et personnalités qui suivent de près l’évolution de l’économie burundaise, les sites de la Banque centrale, du FMI et de la Banque Mondiale montrent clairement la forte dépréciation du BIF.

M.Rufyiri nuance la situation : « Je pense que ce qu’a dit le chef de l’État se situe par rapport à la production intérieure, qui est relativement abondante et dépend des saisons, mais cela doit être soutenu par des importations dont le pays a besoin, ce qui n’est pas le cas pour le Burundi. »

Le président de l’Olucome critique les signes de l’ascension du pays présentés par le chef de l’État : « On ne juge pas l’économie d’un pays par la richesse détenue par une poignée de gens, mais par un taux de croissance global. Quel est le taux de chômage et de pauvreté aujourd’hui au Burundi ? Il faut consulter les chiffres contenus dans la Vision 2040-2060 et dans le PND (Plan National de Développement) pour s’en convaincre », explique Gabriel Rufyiri.

Hamza Venant Burikukiye : « Le président a raison »

« En parlant positivement du coût de la vie au Burundi, le chef de l’État se base sur le concret et la réalité comparativement aux pays voisins, régionaux voire internationaux », soutient le représentant de l’association Capes+.

Selon Hamza Venant Burikukiye, la sortie du chef de l’État est claire. Dire le contraire, selon lui, c’est vouloir nuire ou ternir l’image du pays. « Si, au Burundi, avec 10,000 BIF, il y a moyen de nourrir toute une famille modeste pour une journée, c’est une preuve de la valeur de la monnaie burundaise. D’où le président Evariste Ndayishimiye a bien raison », conclut M. Burikukiye.


Éclairage

André Nikwigize : « Un langage de politicien pour endormir le peuple »

Selon l’économiste André Nikwigize, la situation économique du pays est très grave et le président ne semble pas en mesurer l’ampleur.

D’un côté, la valeur d’une monnaie est fonction de la production nationale et de la capacité du pays à exporter et à gagner beaucoup de devises étrangères, pour financer ses propres dépenses d’importations et d’autres paiements en monnaie étrangère, tels que le paiement du service de la dette extérieure, les missions gouvernementales à l’étranger, les frais de santé, les bourses, etc.

D’un autre côté, la dépréciation de la monnaie est fonction de son pouvoir d’achat, c’est-à-dire de sa capacité à acquérir des biens et des services dans le pays. À ce niveau, comparer le Franc Burundais et le Dollar américain ou comparer le niveau de vie d’un Burundais à celui d’un Américain est tout simplement un écart de langage.

La situation actuelle de pénurie de devises est créée par le déséquilibre entre les recettes provenant des exportations de biens et services du Burundi et le montant nécessaire pour couvrir les besoins d’importation de biens et services étrangers. À titre d’illustration, les recettes d’exportations de biens et services se sont élevées à 162 millions de dollars, tandis que les besoins en devises pour les importations de biens et services s’élevaient à 1,365 millions de dollars. Cela veut dire que les recettes provenant des exportations couvrent à peine 12% des besoins d’importations. Depuis ces dernières années, les recettes d’exportations n’ont cessé de baisser, tandis que les besoins d’importations n’ont cessé d’augmenter.

Alors, qui couvre la différence ? Ce sont les aides extérieures, les recettes touristiques, les investissements directs étrangers, et les transferts « officiels » de la diaspora. Depuis huit ans, les aides extérieures ont fortement baissé, passant de presque 800 millions de dollars en 2016 à 400 millions de dollars en 2022. Les institutions internationales, telles que la Banque mondiale, le FMI, la Banque Africaine de Développement, et l’Union européenne ont réduit leurs aides au Burundi, en raison des violations massives des droits de l’homme, de la fermeture de l’espace politique, de la mauvaise gouvernance économique, et du refus du gouvernement d’adopter des réformes de stabilisation macroéconomique.

Les investissements directs étrangers s’élèvent à peine à 13 millions de dollars, tandis que les transferts de la diaspora se limitent à 48 millions de dollars. Ce déséquilibre laisse un grand manque à gagner dans la trésorerie de la Banque Centrale, d’où la faiblesse des réserves de devises et l’incapacité de la BRB à accorder des devises aux importateurs de marchandises. Compte tenu de cette situation difficile dans laquelle le Burundi se trouve actuellement, la monnaie nationale se déprécie énormément en termes de pouvoir d’achat. En 2020, 1 dollar américain s’échangeait à 2,039 FBU ; aujourd’hui, en 2024, le même dollar s’échange entre 6,500 et 7,100 FBU (sur le marché parallèle).

Quid des conséquences de cette dépréciation du BIF ?

C’est une dépréciation qui affecte tous les produits importés, mais aussi tous les produits en contact avec les imports. Cela signifie qu’une chemise importée qui coûtait 20,000 FBU en 2020 (9,8 USD), la même chemise coûte aujourd’hui 68,600 FBU (9,8 USD x 7,000). Entre 2020 et 2024, la monnaie nationale s’est dépréciée de plus de 140%. Cette dépréciation a des répercussions sur l’économie nationale de plusieurs manières :

  1. Impact sur les prix de détail : L’importateur de divers produits, n’ayant pas accès aux devises étrangères de la BRB, va s’approvisionner sur le marché parallèle. S’il achète des dollars à 7,000 FBU, au lieu des 2,899 FBU du cours officiel, il ne pourra pas vendre ses produits aux mêmes prix qu’avec les devises de la BRB. Donc, les prix au détail vont augmenter énormément.
  2. Impact sur le coût de transport : Avec la rareté et la hausse des prix du carburant, le coût de transport des personnes et des biens augmente, entraînant une hausse des prix des produits de première nécessité, y compris les produits alimentaires non disponibles localement.
  3. Impact des tensions géopolitiques : Le conflit en Ukraine a aussi des répercussions sur les prix du carburant et des céréales importées.
  4. Impact sur le pouvoir d’achat des ménages : La dépréciation de la monnaie nationale réduit le pouvoir d’achat d’un Burundais. Le salaire d’un fonctionnaire de l’État touchant 300,000 FBU (147 USD) en 2020, vaut aujourd’hui 103 USD sur le cours officiel, signifiant une réduction dramatique de son pouvoir d’achat.

 

En conclusion, la monnaie nationale voit sa valeur s’affaiblir en raison du surplus de demandes d’importations non couvertes par les exportations et les aides extérieures. Le Chef de l’État devrait informer clairement la population sur la situation et mobiliser des efforts pour augmenter la production et les exportations. Le Burundi ne peut continuellement dépendre des aides extérieures.

 

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