Il relègue son fauteuil de Secrétaire général à « Son Excellence Emmanuel Miburo », le président sortant. C’est le verdict du congrès du parti Forces Nationales de Libération(FNL) du dimanche 20 octobre à Bujumbura.
La différence est de taille : 76,6% des voix (344 sur 449 votants) contre 17,59% (79 votants) pour Emmanuel Miburo. Leader reconnu officiellement de l’opposition (son parti étant arrivé en deuxième position lors des communales de 2010), Jacques Bigirimana se veut plutôt « centriste ». Selon lui, « une opposition mordante donne l’occasion au pouvoir de durcir aussi sa position ». Comme programme pour son parti, il compte rassembler tous les « Banamarimwe » (nom des militants) en vue de gagner les élections de 2015. Mais chaque fois qu’il est évoqué l’unification avec l’aile d’Agathon Rwasa, Jacques Bigirimana s’énerve, élève le ton et tape du poing sur la table tout en évitant de prononcer le nom de Rwasa : « Il n’y a qu’un seul FNL. Qu’aucun membre ne se range derrière une personne mais plutôt derrière les idéaux du parti. Les hommes partent ou sont exclus mais le parti reste.»
Le nouveau président des FNL promet la réouverture des permanences du parti partout où elles restent encore fermées. Il entend aussi redynamiser les instances du parti dans tout le pays.
Jacques Bigirimana se dit contre la presse qui répercute les propos d’Agathon Rwasa comme quoi les membres sympathisants des FNL dirigé jusque là par Emmanuel Miburo sont des « Imbonerakure » (membres du parti au pouvoir) déguisés.
Dans son discours d’adieu visiblement préparé à l’avance et distribué à la presse (comme s’il savait qu’il allait perdre son fauteuil), Emmanuel Miburo promet obéissance au nouveau président.
Aucun diplomate dans la salle de réunion
Lazare Mvuyekure, président de la Commission Discipline, Idéologie et Relations avec les Partis politiques au sein du parti au pouvoir CNDD-FDD ainsi qu’Adrien Ndayiragije, président du Front pour la Libération Nationale (Frolina) étaient les seuls invités d’honneur présents au congrès. Aucun diplomate dans la salle de réunion « Kw ‘Iraro », Avenue du Large.
Bien des participants, danseuses et curieux arboraient des T-shirts frappés des insignes du parti distribués sur place par les organisateurs. La plupart étaient incapables de chanter l’hymne du parti. Le climat était plutôt morose : les participants ont eu même de la peine à s’exhiber quand Jacques Bigirimana a entonné la chanson fétiche du FNL « Hungenga ». Les organisateurs n’ont pas interpellé les danseurs qui scandaient « Temba uragatemba Rwasa !» (Pars Rwasa et bon débarras !). Pourtant, bien des militants souhaitent la réunification du parti mais se heurtent à l’intransigeance de la direction.
Le congrès du FNL a été placé sous le signe de la sécurité : le checking était strict à l’entrée.
Jacques Bigirimana en grand seigneur
Le nouveau président du FNL aurait trahi Emmanuel Miburo, lors de la dernière élection, en étant son challenger, les deux hommes s’étant convenus de garder le statu quo. Jacques Bigirimana s’explique, et parle de ses projets pour 2015, même en tant que chef de l’opposition.
« Cette élection est venue à point nommé, le mandat de la direction et des organes du parti avait expiré, et les statuts ont été respectés », indique Jacques Bigirimana, le nouveau président des FNL reconnu par le pouvoir. D’après lui, cette élection a été décidée par le bureau politique du parti le 15 octobre, notamment pour donner à leurs détracteurs la preuve que la direction du FNL est démocrate. « Certains disent de nous que nous avons été mis illégalement à la tête des FNL, sans être issus d’élections transparentes, qu’il s’agissait de confirmer des noms fournis par le pouvoir. Des insinuations qui ont fait mal à la direction du parti et trahi ses membres », poursuit M.Bigirimana. Celui qui est en même temps devenu chef de l’opposition ajoute que, lors de cette réunion, Emmanuel Miburo lui-même a indiqué que les élections devraient être démocratiques, avec plusieurs candidatures : « Décider de garder le statu quo ne peut donc être décidé par Miburo et moi, mais par le bureau politique. Quand bien même nous l’aurions décidé, les Banamarimwe ne l’auraient pas accepté. »
Et le nouveau président des FNL de dire qu’il ne comprend pas comment la direction de son parti peut être accusée d’être complice du pouvoir : « Sommes-nous complices de Pierre Nkurunziza parce que j’occupe le poste de directeur commercial de l’OTB ? Cela suffit-il pour que je trahisse ma conscience ? » Surtout qu’il dit avoir accepté ce poste après avoir refusé un poste des Nations-unies avec un cachet mensuel de 5 millions de Fbu. « Je ne suis ni un partisan de Rwasa ni un outil de Nkurunziza! »
Un chef d’opposition rassembleur, très rassembleur…
Jacques Bigirimana n’a pas de doute, Agathon Rwasa est la cause de leur diabolisation. Pourtant, indique-t-il, il a toujours rejeté leurs invitations et appels, et ne leur a laissé aucun choix pour s’entendre. « Si nous devenons pour autant des complices de Nkurunziza, c’est absurde, et la vérité finira par éclater un jour, car ce qui arrive à Rwasa est de sa faute. » Raison pour laquelle, quand il faudra désigner un candidat pour les prochaines élections présidentielles, le parti FNL le fera, démocratiquement, et ce ne sera pas nécessairement le président des FNL.
En tant que nouveau chef de l’opposition, Jacques Bigirimana a comme priorité le rassemblement et la réunification de tous les acteurs politiques. D’abord en étant un rassembleur entre le gouvernement et l’ADC-Ikibiri : « Ils doivent tous changer de langage et de comportement, en sachant que lorsque chacun tire la corde de son côté, elle finit par se rompre. Je veux être un pont entre les deux, pour faire une opposition centriste qui rassemble. » Visant loin, le nouveau chef de l’opposition compte également assainir les relations entre le pouvoir et les médias, et entre le pouvoir et la société civile. Et il est très engagé : « C’est ce qui rendra notre opposition différente des autres, et je le ferai sans aucune peur d’être remplacé ou insulté. » Iwacu a contacté Emmanuel Miburo, sans succès.