Au Burundi, exercer simultanément certaines activités privées lucratives pour les mandataires publics électifs ou non et pour certaines hautes autorités publiques inquiète plus d’un. Alors que la loi interdit une telle pratique, il en découle des conséquences sur la gestion de la « res publica ».
Lors de l’émission publique animée à Cankuzo par le chef de l’Etat le 29 décembre 2023, M. Ndayishimiye a déclaré ne pas connaître les prix des produits alimentaires sur le marché car il produit beaucoup de tonnes de vivres. « Moi, je puise dans mon stock. J’ai plus d’une tonne de millet, plusieurs tonnes d’arachides, j’ai environ cinq tonnes de maïs que je mous ; j’ai du riz en stock ; j’ai du haricot en stock. Comment alors puis-je savoir que tous ces produits sont chers ? Comment devrais-je en être conscient ? », s’est-il interrogé.
Le président de la République a alors invité toute la population à faire comme lui : « Produisez-les vous-mêmes. Pourquoi vous n’en faites pas autant ? »
Bien plus, dans ses déclarations et sorties médiatiques antérieures, Evariste Ndayishimiye n’a cessé d’exhorter les autorités et fonctionnaires étatiques à faire d’autres activités surtout agropastorales car « le salaire mensuel est très maigre et ne peut pas suffire pour couvrir tous les besoins ».
Certaines opinions s’interrogent alors si ces activités agropastorales effectuées par certaines autorités étatiques et encouragées par le chef de l’Etat ne rentrent pas dans le registre des incompatibilités au même titre que les activités commerciales et entrepreneuriales.
Interdiction formelle
Mais que dit la loi burundaise sur les incompatibilités de fonctions et d’activités ? Un juriste burundais qui a requis l’anonymat observe que la loi est assez claire : « Toute personne qui occupe une fonction publique ou qui a un mandat électif ou non est tenue de remplir sa fonction dans le strict respect de la loi. Elle ne doit pas s’engager dans des activités qui sont, d’une manière ou d’une autre, inconciliables avec les missions qui lui sont dévolues. »
Le juriste rappelle que conformément à la Constitution du Burundi du 7 juin 2018, dans ses articles 101 et 102, une loi organique détermine les incompatibilités avec les fonctions du président de la République.
Nous nous sommes ainsi procuré la loi organique nº1/14 du 19 mai 2020 portant fixation du régime des indemnités et avantages du président de la République, du vice-président de la République, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement ainsi que leur régime des incompatibilités et de sécurité sociale en vigueur aujourd’hui au Burundi.
Dans son article 35, elle stipule que « Les fonctions du président de la République sont incompatibles avec l’exercice de toute autre fonction publique élective, de tout emploi public et de toute activité professionnelle. Les incompatibilités déterminées dans cet article concernent également le conjoint du président de la République.
Et l’article 36 de renchérir : « Dans le cas où le candidat président occupait une fonction publique, il est placé d’office en position de détachement dès la proclamation des résultats définitifs. Dans le cas où il occupait une fonction privée, rémunérée ou non, pour son propre compte ou le compte d’un tiers, il cesse toute activité dès la proclamation des résultats définitifs. »
Ces incompatibilités avec les fonctions présidentielles concernent également les fonctions du vice-président de la République, celles du Premier ministre et des membres du gouvernement.
Quant aux autres autorités étatiques qui se lancent dans le commerce ou dans des activités entrepreneuriales, l’expert en droit constitutionnel observe que là aussi la loi interdit formellement certaines personnes à se livrer à de telles activités. Il donne l’exemple des officiers de l’armée et des agents de police qui ne devraient pas faire du commerce. « Il est particulièrement interdit à l’Officier d’exercer une activité quelconque en dehors de ses activités qui serait de nature à nuire à l’accomplissement de ses devoirs ou qui serait incompatible à ses fonctions », peut-on par exemple lire dans l’article 26 (f) de la loi nº1/21 du 31 décembre 2010 portant modification de la loi nº1/15 du 29 avril 2006 portant statut des officiers de la Défense nationale du Burundi.
Pour ce constitutionnaliste, même si la loi ne détermine pas clairement la nature de ces activités « il est sans doute qu’un officier qui a une entreprise dans une localité donnée sera plus préoccupée par la sécurité de son entreprise que celle de la population une fois que cette localité est menacée ».
Faustin Ndikumana, représentant légal de Parole et Actions pour le réveil des consciences et l’évolutions des mentalités (Parcem) souligne que par le passé, les fonctionnaires ne pouvaient pas faire du commerce : « Cela était pratiquement impossible pour les officiers de l’armée et les agents de police. Il était impensable qu’un commissaire en fonction, un administrateur ou un gouverneur puisse être le propriétaire d’un bar. »
Cela a commencé à partir du moment où l’on a demandé à tout le monde de se « débrouiller », épingle M. Ndikumana.
Le juriste précise également que dans la catégorie des personnes dont les fonctions sont incompatibles avec les activités lucratives figurent les magistrats. Il fait référence à l’article 13 de la loi nº 1/001 du 29 février 2000 portant réforme du statut des magistrats qui stipule que « toute occupation quelconque exercée soit par le magistrat, soit par son conjoint, soit encore par une personne agissant à sa place et qui serait de nature à nuire à l’accomplissement des devoirs de sa fonction, ou ne se concilierait pas avec celle-ci est incompatible avec les fonctions de magistrat. »
Toutefois, l’analyste juriste nuance en peu en ces termes. « Au regard de la loi sur le régime des incompatibilités qui est présentement lacunaire, les autorités étatiques peuvent exercer des activités agropastorales mais des questions surgissent. Sur quelles terres arables vont-elles cultiver ? Avec quel financement ?» Faustin Ndikumana fait directement observer que lors de ces activités, les autorités qui s’y adonnent utilisent parfois des véhicules, du carburant, des fonds et des terres de l’Etat pour servir leurs intérêts.
D’où, comme le recommande la Constitution burundaise, la déclaration des avoirs pour les autorités concernées, avant et après leur fonction, s’avère impérative. « Cela permettra d’éviter toute sorte de soupçon d’enrichissement illicite ou de blanchiment d’argent », insiste M. Ndikumana.
L’intérêt général en pâtit
Des conséquences sur la gestion et l’action publique ne manquent pas D’après toujours le constitutionnaliste, le non-respect de la loi régissant le régime des incompatibilités peut nuire à l’intérêt général et handicaper l’action gouvernementale.
Le représentant de la Parcem n’a pas la langue dans sa poche en faisant observer que certains fonctionnaires ou mandataires étatiques sont là non pas pour être au service de l’intérêt général mais pour profiter de leur position en vue d’assouvir leurs ambitions privées. « Certaines hautes autorités de l’Etat délaissent leur mission principale d’assurer l’intérêt public pour aller travailler en synergie avec des opérateurs privés pour piller de manière éhontée les caisses de l’Etat ». Et d’ajouter que cela conduit à la stagnation économique.
Selon cet activiste de la société civile, le non-respect du régime des incompatibilités peut malheureusement conduire à la corruption de l’Etat. Il donne l’exemple de l’octroi des marchés publics : « L’attribution des marchés publics peut s’écarter des principes de compétition et de transparence. Le marché peut ainsi être gagné par une entreprise ou une société qui est liée ou sous la responsabilité d’un ministre ou de toute autre autorité de l’Etat après avoir donné un pot-de-vin. »
Or, lâche-t-il, tous les fonctionnaires de l’Etat ont une mission d’intérêt général et surtout les hautes autorités étatiques. C’est pourquoi, fait savoir M. Ndikumana, faire fi de la loi sur les incompatibilités peut entraîner des conflits d’intérêt ou un comportement qui pourrait porter préjudice à l’administration et par voie de conséquence en affaiblir son autorité en cas de survenance des conflits entre la mission publique et des intérêts privés et /ou personnels.
M.Ndikumana se demande si les choses continuent ainsi, l’Etat ne serait pas ainsi privatisé. « Il est temps que l’impossibilité pour les autorités étatiques et certains fonctionnaires publics d’exercer, à titre professionnel, une activité ou une fonction privée lucrative, de quelque nature que ce soit, devienne un acte-condition et ancré dans le vécu quotidien des gens », considère-t-il. Avant d’ajouter que le cadre légal sur le régime des incompatibilités étant lacunaire, il devrait également être adapté et rendu plus clair pour redéfinir les incompatibilités de certaines catégories de personnes.
« Tant que ces tendances n’auront pas encore été inversées, il sera pratiquement impossible de réaliser la vision du Burundi, pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 », conclut Faustin Ndikumana.
Un haut responsable s’indignait (les faits ont été rapportés aussi dans ce journal) de la lenteur des fonctionnaires dans la transmission des rapports et du taux insatisfaisant de l’exécution des projets financés par les bailleurs. Eh bien maintenant nous avons la réponse: en fait, les fonctionnaires sont sur tous les fronts mais pas professionnellement parlant où ils devaient être (c-a-d dans les dossiers).
Un autre haut responsable se plaignait (cela a été aussi signalé dans ce journal) que son ministère à beaucoup de chantiers mais peu de fonctionnaires pour en assurer le suivi. Ici aussi nous avons la réponse: ils font le suivi de leur propre chantier et moins les chantiers de l’état.
Bien sûr que c’est une idée intéressante de donner l’occasion aux fonctionnaires, surtout les petits, de s’impliquer dans des petits projets personnels si on tient compte du fait que leur maigre salaire à l’état ne suffit pas pour joindre les deux bouts. C’est quand même mieux de travailler un peu à côté, au lieu de voler dans les caisses des l’état. Mais il faut clairement fixer les limites, fixer les balises pour barrer la route aux abus. C’est le rôle de ceux qui sont chargés de voter et réviser des lois.
Dire que quelqu’un qui a un boulot de l’Etat peut aller exercer une autre activité de façon officielle revient à déclarer qu’il peut travailler pour l’Etat à temps partiel: 10%? 20%? 50%?
Après il ne faut pas s’étonner que les services de l’Etat fonctionnent à 10%, 30% ou 50%.
Avec cela on peut féliciter nos fonctionnaires qui abattent tout le travail que nous observons en prestant en principe à temps partiel, et en étant rémunérés d’un traitement correspondant à un temps partiel.
U’ai aimé sa remarque sibylline.
Tout le monde a compris.
Même les autres bihangange qui nous gouvernent(pardon je voulais dire wui ont copieusement volé)
Je me souviens de la remarque ô combien juste de Bunyoni lorsqu’on lui a demandé l’origine de sa fortune colossale. Pince sans rire; il a répondu j’ai occupé de hautes fonctions.
Est ce une réponse étonnante au pays le plus corrompu au minde?