La famille proche, les parents, amis, connaissances, collègues et voisins se souviennent du journaliste Jean Nzeyimana ce dimanche 19 février 2023. Une messe d’action de grâce à la Cathédrale Regina Mundi est prévue à 10 h, suivie d’une réception au Mess des Officiers, Garnison de Bujumbura, Salle A à 13 h.
Personnalité attachante, excellent journaliste, il a marqué la profession. Quelques confrères qui l’ont bien connu rappellent qui était Jean Nzeyimana, alias Petit Jean.
Hello ? Petit Jean !
Par Simon Kururu
Le 20 décembre 2021, le journaliste burundais Jean Nzeyimana tirait sa révérence. Il quittait tranquillement et sereinement cette terre, pour rejoindre ses aïeux dans l’au-delà. Là où, comme le dit quelquefois l’Abbé Adrien Ntabona, « intore zigenda ntizigaruke – les braves y vont, mais ne reviennent jamais ».
Il a vu le jour en 1953 sur la colline Gahaga, commune Bukeye, Province Muramvya. Il aurait célébré ses 70 ans cette année.
Garçon intelligent et appliqué, il survole les études primaires, secondaires et universitaires et en 1979, il décroche un diplôme de Licence (Bac+5) à l’Université Nationale du Zaïre (aujourd’hui République Démocratique du Congo), Institut des Sciences et Techniques de l’Information, devenu maintenant Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication, avec une spécialisation en presse écrite (cours techniques), économie et politique intérieure (formation générale).
Jean NZEYIMANA est alors embauché à la Direction Générale des Publications de Presse Burundaise, comme journaliste au Département de la Presse quotidienne « Le Renouveau du Burundi » en novembre 1979.
Il y assurera toutes les fonctions qu’on peut confier à un journaliste compétent dans une rédaction : rédacteur, secrétaire de rédaction, rédacteur en chef et directeur de journal.
Il sera sollicité comme consultant, formateur, conseiller en journalisme et communication. De décembre 1988 à mars 1993, il est Chef du Service de Presse du Premier Ministre et Ministre du Plan, puis, de mars 1993 à octobre 1994, il est Conseiller Principal chargé de la Communication et des Relations publiques successivement auprès des Premiers ministres Adrien Sibomana , Sylvie Kinigi et Anatole Kanyenkiko .
Lorsqu’il prend sa retraite, tous ceux qui l’ont connu et côtoyé disent de lui qu’il a rendu de bons et loyaux services à ses employeurs et à la communauté nationale.
Il est difficile d’oublier que Jean Nzeyimana a pris une part considérable dans la formation et le renforcement des capacités des journalistes burundais, à l’Ecole de Journalisme de Bujumbura, dans les universités : Université du Burundi, Université Lumière, Université du Lac Tanganyika. Il a été formateur à la Maison de la Presse du Burundi, à l’Institut Panos Paris, consultant et formateur pour des agences du système des Nations-Unies : PNUD, UNESCO, etc. Il a été la cheville ouvrière dans l’élaboration et la mise à jour des textes régissant la presse au Burundi.
J’ai eu la chance de connaître Jean Nzeyimana en 1974, alors qu’on passait le concours d’entrée à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Information de Kinshasa. Nous avons été recrutés, et nous avons cheminé ensemble jusqu’au crépuscule de sa vie. Ce que j’ai retenu de celui que j’appelais parfois Gros-Jean, Grand Jean, Petit Jean ou Jean Petit, c’est que c’était un homme doux, attentionné, travailleur, et qui assumait ses fonctions avec honneur et dignité, n’hésitant pas parfois à prendre des « risques professionnels bien calculés ». Deux exemples me reviennent en mémoire.
Vers 1982, l’Ex-Président Jean-Baptiste Bagaza tient une conférence de presse dans ses bureaux, plus exactement dans la salle du Conseil des ministres. A cette époque, le Président avait interdit d’évoquer le nom du Prince Louis Rwagasore. Des consignes impératives avaient été données aux journalistes dans ce sens. Avant la conférence de presse, le Ministre de l’Information, Pierre Ngenzi nous avait demandé de lui transmettre les questions à poser au Président. Personne n’avait osé insérer dans sa liste ce sujet brûlant. Nous nous sommes concertés avec Petit Jean avant le début de la conférence, et avons décidé de poser des questions qui étaient considérées comme « tabous ».
J’ai ouvert la série en disant au Président Bagaza que le peuple se demandait pourquoi on ne parle plus du héros national. Il m’a toisé du regard et a répondu succinctement : « Quand quelqu’un meurt, on porte son deuil, et ont fait la levée de deuil définitive. Rwagasore est mort. Nous avons porté son deuil et nous avons célébré la levée de deuil. C’est pourquoi, à partir d’aujourd’hui, on ne parlera plus de Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore, JRR, mais de l’Union de la Jeunesse Révolutionnaire Burundaise, UJRB ». Alors que tout le monde était stupéfait, il a ajouté : « Avec la publication des objectifs fondamentaux du Mouvement du 1er novembre 1976, nous avons créé un parti nouveau, avec des objectifs nouveaux et des hommes nouveaux ». Il me fixait toujours et je ne savais pas quelle attitude prendre.
Alors, très timidement, et en me lançant un regard complice, Petit Jean a levé le doigt. Le Président lui a passé la parole. Simplement et malicieusement, Petit Jean a posé la question suivante : « Monsieur le Président, si vous aviez eu à changer le nom du parti UPRONA, quel est le nom que vous auriez choisi ? ». Petit Jean a fait ce que nos professeurs de journalisme nous ont enseignés : face à un interlocuteur pugnace, combatif, il faut poser une question qui équivaut à un coup de poing à l’estomac. En réalité, Petit Jean a demandé au président pourquoi, après avoir créé un parti nouveau, il n’a pas changé son nom, UPRONA. Toute l’assistance a retenu son souffle. Le Président ébahi, contrarié, a levé le poing, esquissé un sourire et tapé sur la table en disant : « nari kuwita umugambwe w’abadasigana – je l’aurais baptisé parti de l’Unité et Progrès National ». Il a éclaté de rire et nous avec.
Autre souvenir. Vers la fin de la campagne électorale pour l’élection du Président de la République en 1993, j’étais convaincu que le FRODEBU allait gagner les élections, au regard des foules en liesse qui accueillaient le candidat Melchior Ndadaye et des militants sceptiques qui participaient aux meetings de l’UPRONA. J’en ai parlé à mon ami Petit Jean, Conseiller Principal chargé de la Communication et des Relations publiques au Premier Ministère. Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il fallait préparer deux discours du Président Pierre Buyoya pour l’annonce des résultats du scrutin : un discours de la victoire, et un discours de la défaite, pour féliciter le vainqueur et appeler les militants au calme. Jean Nzeyimana a promis de suggérer l’idée dans la réunion quotidienne de Kumugumya (siège du parti UPRONA).
Le soir, on s’est retrouvé autour d’un verre et il m’a raconté que lorsqu’il a lancé l’idée, il a failli se faire lyncher par certains participants. Ils assuraient que « instinzi ari cash – la victoire est certaine » et que ceux qui croyaient dans le triomphe du FRODEBU étaient des vendus. La suite, on la connaît…
Un homme de bon conseil
Par Gérard Ntahe, ancien directeur de l’Ecole de Journalisme de Bujumbura
C’est au milieu des années 1980 que Jean Nzeyimana a rejoint comme enseignant à temps plein partiel l’Ecole de Journalisme de Bujumbura, que je dirigeais alors. Le sachant homme de bon conseil, j’avais pris l’habitude de le consulter lorsque j’avais à prendre une décision difficile, même si cela n’entrait pas formellement dans ses attributions.
Un exemple pris parmi tant d’autres. Dans le règlement académique, il était stipulé que l’obtention du diplôme était conditionnée par la réussite d’un stage effectué au sein d’un des médias existant à l’époque. Il s’est fait qu’à un moment donné des étudiants n’ont pas accordé au stage le sérieux voulu et qu’en conséquence, ils ont obtenu de leurs encadreurs une note exclusive.
J’ai subi de fortes pressions de la part de la hiérarchie pour que je ferme les yeux, autrement dit, que je fasse une entorse au règlement en leur délivrant des diplômes, au même titre qu’à leurs condisciples qui, eux, avaient passé leur stage avec succès.
J’étais devant un réel dilemme et je m’en suis ouvert à Jean Nzeyimana pour lui demander quelle conduite tenir. Il m’a exposé le danger que constituerait la violation du règlement, qui aurait créé un antécédent difficile à gérer pour l’avenir.
J’ai suivi son conseil et j’ai décidé que le règlement devait être suivi à la lettre. Les étudiants concernés devaient, soit refaire leur stage, soit laisser tomber leur cursus. Ils ont tous choisi de refaire le stage et tout est rentré dans l’ordre.
Cela m’a valu une rancœur tenace de mon Ministre, qui s’était engagé à fond dans cette affaire pour une raison obscure. Mais pour moi, l’honneur de l’école a été sauf. Grâce à Jean NZEYIMANA, qui est demeuré mon ami jusqu’à la date de son décès.
Paix à son âme.
Un vrai et merveilleux ami d’enfance
Par Adrien Sibomana (ancien Premier ministre)
Tout commence avec nos mamans, toutes les deux avaient un même prénom : « Pélagie ». Jean et moi nous sommes nés en septembre 1953. A cette époque, à Bukeye, il y avait un dispensaire géré par une sœur blanche qui s’appelait Amandine et que la population de Bukeye appelait « Mama Rumandina. »
Les mamans devaient amener régulièrement leurs bébés pour un contrôle de routine (croissance, vaccination, etc. ).
La sœur, « Mama Rumandina », appelait les prénoms des mamans pour qu’elles se présentent devant elle. Alors quand elle appelait « Pélagie », les deux mères se présentaient en même temps. C’est sûr que les deux bébés, Jean et moi, nous nous regardions l’un l’autre ; peut-être aussi qu’on rigolait quand on nous mettait sur la balance pour nous peser. Comme vous le voyez, notre lien est ancien…
Plus tard quand nous avons commencé la première année à l’école primaire, Jean est allé étudier à l’école primaire centrale de Bukeye et moi je suis allé étudier à une école d’une succursale proche de notre domicile. C’est son père, Edouard Sunzu, qui m’a enseigné l’alphabet latin et qui m’a donné les premières notions de calcul. C’était un homme calme et très affable. Il aimait beaucoup les enfants.
J’ai retrouvé Jean à Bukeye en deuxième année et nous avons continué et terminé ensemble l’école primaire. Nous avons commencé ensemble l’école secondaire au petit séminaire de Kanyosha, mais Jean a dû quitter après la huitième. Il terminera ses humanités à l’Athénée de Bujumbura, mais nous avons gardé le contact.
Pendant les vacances, en dehors des réunions des étudiants de Bukeye, Jean venait parfois rendre visite à sa tante maternelle mariée près de chez nous. C’était un grand plaisir de nous retrouver. Après les études supérieures, il a évolué dans la carrière de journaliste et moi dans la carrière politique. De 1988 à 1993, quand j’étais Premier ministre du Burundi, Jean était mon conseiller en communication. Nous nous rencontrions tous les jours pour discuter sur différentes questions. Il était au courant de toutes les activités du Premier ministère puisque c’est lui qui était chargé de les diffuser vers la presse.
Jean a su communiquer judicieusement l’action gouvernementale à une époque extrêmement difficile (après les événements de Ntega et Marangara, durant la transition du monopartisme au multipartisme).
Nous avons continué à entretenir nos relations amicales (je dirais même fraternelles) quand nous avons pris notre retraite.
Jean était un travailleur assidu, mais non stressé, posé, mais efficace. Il était capable de faire des surprises auxquelles personne ne pouvait s’attendre. Il avait des relations professionnelles et sociales très agréables. Il était affable comme son père, attentif aux autres, mais en toute discrétion, peu bavard, mais non moins communicatif. Il savait quoi dire et quoi faire au bon moment.
Hélas, les moments agréables avec les amis et les proches ne durent jamais le temps qu’on souhaiterait, on finit toujours par se séparer les uns des autres. Mais la mémoire garde toujours ce qu’on a partagé et vécu ensemble. C’est peut-être cela la vie éternelle.
Jean est toujours parmi nous avec son regard aimable, son calme et son sourire affable!
Il me disait qu’il avait hâte de partir à la retraite
Par Floride Ndakoraniwe
Jean Nzeyimana, mon ancien professeur à l’Ecole de Journalisme, mon ancien directeur au quotidien Le Renouveau, mon ancien collègue dans le service de réalisation du journal. Il venait de commencer sa retraite quand il est décédé! Il n’a pas profité de ses jours de retraite comme il le souhaitait de son vivant. Il me disait qu’il avait hâte de partir en retraite pour enfin être libre, et déguster calmement à son réveil le matin, sans se presser, un bon livre, un bel article d’une revue de son choix, ou regarder une bonne émission de télévision. Malheureusement l’homme veut et seul Dieu dispose. Jean Nzeyimana n’a vraiment pas joui de cette liberté tant attendue. Il est parti tôt. Que ses qualités et bonnes œuvres lui servent de pont pour accéder au Royaume des cieux, réservé aux élus du Seigneur où il pourra enfin être libre à jamais »
Rappel de quelques « perles » signées Jean Nzeyimana ( réunies par Simon Kururu)
« Vivement demain »,
Tel est le titre de l’éditorial que signe Jean Nzeyimana dans le quotidien « Le renouveau » du 1er juillet 2005. Parlant des 43 ans d’indépendance du Burundi, il signe que c’est « un âge délicat, entre deux âges, la période où l’homme adulte frappe à la porte de la vieillesse, sinon de la mort » En ce 1er juillet dit il, « voici donc les burundais, à moitié courbés par les vicissitudes de la guerre civile, qui tentent de se remettre debout et de marcher ».
« Comme une mère qui ne veut pas croire que l’enfant est mort »
Vendredi 22 juillet 2005, Jean Nzeyimana est à 18H25 devant la Radio Publique Africaine qui vient d’être prise d’assaut par la police. Dans un article publié le 26 juillet 2005, il donne un compte rendu sur l’événement, une période tragique dans l’histoire des médias burundais. Il rapporte que « sur le Boulevard de l’Indépendance, le flot de véhicules a tari, et il ne reste plus autour de la radio que quelques fanatiques qui resteront là à veiller sur une radio qu’ils aiment bien, mais qui n’émet plus. Ils resteront là un peu comme une mère qui ne veut pas croire que l’enfant est mort. De toutes les radios, la RPA était la favorite du petit peuple ».
Ainsi parlait Jean Nzeyimana
Extraits d’un entretien avec Iwacu dans « Au Coin du feu »
Votre rêve de bonheur ?
Vivre dans un pays de cocagne, de lait et de miel. Dans un pays d’abondance relative, où le chef est aimé de son peuple, et le peuple aimé de lui. Comme en Uruguay.
Votre plat préféré ?
Du petit pois sec cuit avec du manioc doux fraîchement récolté, avec beaucoup de carottes et d’oignons, le tout assaisonné d’huile de palme non raffinée et de sauce tomate.
Votre chanson préférée ?
Burundi Bwacu, l’hymne national du Burundi, pour la profondeur des paroles, sa mélodie agréable et son rythme vivace.
Votre surnom « Petit Jean », ça vient d’où ?
A l’institut où j’étudiais à Kinshasa, parmi les cinq Burundais, il y’avait trois Jean: Jean Huss Nyamusimba, Jean Pacifique Nduwayo alias Diable, et moi-même Jean tout court. Pour nous distinguer, les autres étudiants m’appelaient Jean- le-petit. De fil en aiguille, Jean-le-petit se transforma en Petit-Jean.
Durant votre carrière journalistique, quel a été votre plus grand regret ?
C’est de voir la liberté de la presse et d’opinion régresser fortement alors qu’elle avait fait de formidables bonds en avant entre 1980 et 2015.
Un message aux jeunes générations de journalistes ?
Persévérez dans le noble métier d’informer honnêtement le public. Face aux intempéries des pouvoirs, pliez sans rompre, mettez l’intérêt général au-dessus de tout ! Que votre loyauté envers le public soit votre loi suprême.
Mme astérie ajoute ceci:
c’est triste de vivre loin de sa chère Patrie car on ne peut même pas accompagner les amis qui nous quittent.
Je connaissais Petit Jean(attention il y avait un autre Jean appelé JEAN PETIT; un Magistrat)
depuis qu’il avait commencé à travailler comme journaliste.
Simplement c’était un être vrai, très gentil, très professionnel et j’adorais sa voix très douce même en discussion animée, il gardait le même ton. Il était plutôt tenace quand il faisait les va-et-vient de son bureau au greffe pour demander pourquoi ces vieilles femmes étaient là dehors depuis tel jour!
il ne partait pas sans avoir trouvé la solution du pourquoi et du comment.
REPOSES EN PAIX, JEAN.