Dimanche 21 juillet 2024

Politique

Imbroglio budgétaire

Imbroglio budgétaire
Synthèse du budget annuel après les amendements du Sénat

Certains députés et activistes de la société civile dénoncent une violation des procédures d’adoption du budget général de l’État. Selon eux, le budget voté par le Parlement diffère de celui promulgué par le président de la République. Le ministre des Finances affirme mordicus qu’il n’y a pas eu de violation de la loi. Selon lui, il y a eu des données qui n’étaient pas prises en compte dans le premier draft.

Réalisé par Par Fabrice Manirakiza et Rénovat Ndabashinze

Difficile de démêler ce qui s’est passé avec le budget général de l’État. L’Assemblée Nationale a publié, sur son site web, la loi portant fixation du budget général de la République du Burundi pour l’exercice 2024-2025, promulguée par le président de la République.

On remarque que les ressources de l’État s’élèvent à 4.626,05 milliards de BIF et les dépenses globales à 5.075,66 milliards de BIF. Cela a suscité des interrogations. Nombre d’observateurs pointent du doigt des modifications opérées après le vote du Parlement.

Le 13 juin 2024, l’Assemblée Nationale a voté un projet de loi des finances, exercice 2024-2025. Les ressources de l’État s’élevaient à 3.941,11 milliards de BIF et les dépenses globales à 4.382,98 milliards de BIF. Lors d’une séance plénière, le 21 juin 2024, les sénateurs ont adopté́ unanimement le projet de loi portant fixation du budget général de l’État exercice 2024-2025.

« Le total des ressources (recettes et dons) passe de 3.371,6 mil- liards de BIF en 2023/2024 à 3.980,09 milliards de BIF en 2024/2025, soit une augmentation de 18,04%. Les dépenses totales de l’État pas- sent de 3.780,95 milliards de BIF en 2023/2024 à 4.429,70 milliards de BIF pour l’exercice 2024/2025, soit un accroissement de 17,15%. Le déficit global du projet de loi des finances 2024/2025 s’élève à 449,60 milliards de BIF contre 426,51 mil- liards de BIF en 2023/2024 », écrit le Sénat. Le 24 juin 2024, l’Assemblée nationale a analysé et adopté les amendements du Sénat.

Manipulation du budget après le vote du Parlement ?

Certains activistes montent au créneau. Ils par- lent d’une violation des procédures légales. Nestor Ntahontuye, président de la Commission des comptes publics et des finances, des affaires économique et de la planification à l’Assemblée Nationale, indique qu’il n’y a pas eu de violation des procédures : « Ces modifications sont liées à l’intégration des amendements adoptés en séance plénière de l’Assemblée Nationale ».

Le ministre burundais des Finances, Audace Niyonzima, abonde dans le même sens : « Vous faites une bonne chose de poser la question. Il n’y a pas de violation de la loi. Les amendements du projet de loi budgétaire se font à trois niveaux : à l’Assemblée Nationale, ensuite au Sénat et enfin l’Assemblée Nationale pour l’approbation des amendements du Sénat. Le document définitif transmis au président de la République pour promulgation est approuvé par l’Assemblée Nationale après les amendements du Sénat. Il y a eu des données qui n’étaient pas prises en compte dans le premier draft ».

Et d’ajouter : « Sur l’article 4, qui est nouveau par rapport au projet initial, il y a des projets financés sur les ressources extérieures qui n’étaient pas identifiés et intégrés dans le budget. Ils sont entrés en ressources et en dépenses. Il est compréhensible alors que le budget augmente ».

Un député s’interroge : « Ces amendements ont été opérés où ? Normalement, lorsqu’il y a adoption en plénière, personne n’a le droit d’ajouter ou de retirer quoi que ce soit. Les amendements du Sénat portaient sur les rubriques déjà existantes. S’il y avait des montants à ajouter, il fallait nous appeler de nouveau pour une autre séance. »

Iwacu a essayé de contacter le porte-parole du président de la République en vain.

Réactions

Léonce Ngendakumana : « La loi n’est plus une référence »


Pour Léonce Ngendakumana, ancien président de l’Assemblée Nationale, la procédure législative est claire : « Le gouvernement élabore un projet de loi qu’il transmet au Parlement pour analyse et adoption. Après l’adoption par le Parlement, le Chef de l’État promulgue la loi telle qu’elle a été votée par les deux chambres. Alors, aucune modification n’est plus possible ».

D’après lui, s’il s’avère que le budget promulgué est diffèrent de celui con- tenu dans le projet de loi analysé et voté par le Parlement, cela constituer- ait une violation de la loi. Néanmoins, il rappelle que dans les Constitutions antérieures, le Chef de l’État avait la latitude de demander une deuxième lecture à l’Assemblée Nationale pour des dispositions qu’il estimait non conformes aux intérêts du citoyen ou de l’État. « Et à ce moment-là, il proposait des amendements de loi non encore promulguée. Le document devait alors retourner au Parlement pour être réexaminé et adopté ».

Mais malheureusement, reconnaît-il, « ce que vous évoquez, cela peut être possible, tout peut arriver. Avec la nouvelle Constitution de juin 2018, le Chef de l’État a retiré beaucoup de pouvoirs à l’Assemblée Nationale, dont le fait de ne pas promulguer une loi ».

Et dans ce cas, il signale que cette loi perd de son sens qu’elle n’est plus applicable. « Mais ce qu’il ne peut pas faire avec la nouvelle Constitution, c’est de modifier lui-même une loi qui a été votée à l’Assemblée Nationale sans la faire retourner là. Cela, je crois que ce n’est pas possible. Ici, ce n’est même pas le gouvernement ; c’est le Chef de l’État lui-même qui promulgue la loi. Il ne la retourne pas en Conseil des ministres ».

M. Ngendakumana indique que la responsabilité retomberait sur le Chef de l’État. Quid des conséquences ? « Cela signifie que la loi n’est plus une référence dans la gestion de l’État. Cela devient la loi de la jungle. Les institutions deviennent finalement des institutions budgétivores, car le gouvernement a élaboré le projet de loi, il a été transmis au Parlement et a été voté pour la promulgation. Et tout ce travail est multiplié par zéro. Le pouvoir du Parlement est confisqué. Les députés, les sénateurs et le gouvernement ne valent plus rien. C’est le début de l’anarchie ».

Faustin Ndikumana : « Le texte validé par le Parlement doit être le même que le texte celui promulgué »


« Moi aussi, j’ai constaté cette différence quand les services de la présidence, à travers le Bureau d’Études Stratégiques, ont invité la société civile burundaise pour lui présenter les grandes lignes de la loi des finances qui allait être promulguée par le président de la République », a réagi Faustin Ndikumana, directeur exécutif de l’ONG Parcem, Paroles et Actions pour le Changement des Mentalités.

« Si on analyse en profondeur, au moment de la présentation du projet de loi par le ministre des Finances à l’Assemblée Nationale, le montant des recettes et des dépenses était inférieur aux chiffres contenus dans la loi promulguée ».
M. Ndikumana précise que les dépenses tournaient autour de 4.000 mil- liards de BIF tandis que les recettes étaient de plus de 3.000 milliards de BIF. « Je crois qu’on peut renvoyer tout cela au manque de discussions budgétaires profondes dans notre pays. La discussion budgétaire est toujours organisée de façon superficielle. Le temps imparti par le Parlement à cette tâche n’est pas suffisant ».

Il souligne qu’ailleurs, il y a des discussions profondes. Les ministres sont questionnés : « On vérifie la moindre ressource et com- ment elle sera utilisée. Il faut vérifier la moindre dépense. Or, dans notre pays, nos parlementaires n’ont pas l’expertise suffisante pour comprendre les enjeux de la loi des finances. On dirait qu’ils viennent justement pour bénir tout ce que l’Exécutif a fait ».

S’il advenait que le Parlement ait pu donner des injonctions à partir des commentaires des conseils de la Cour des comptes, analyse M. Ndikumana, il aurait fallu organiser une autre séance de validation en plénière. « Et ce, pour voir si le ministre des Finances a tenu compte de toutes les instructions données par le Parle- ment. Donc, c’est une étape très importante. Car le texte validé en séance plénière doit être le même que celui promulgué par le président de la République ».

Faustin Ndikumana estime que ces arrangements seraient en violation de la loi : « Nous devons être beaucoup plus regardants, car en analysant la loi budgétaire, on voit que des modifications sur la rubrique investissement ont été faites, avec une différence de plus de 600 milliards de BIF ».

Selon M. Ndikumana, cela relevé du problème de fonctionnement institutionnel dans notre pays : « Le Parlement burundais s’est transformé en une caisse de résonance de la politique de l’Exécutif. Les parlementaires dansent au rythme de la musique gouvernementale ».

Par ailleurs, il pense que cela résulte du fait que les députés sont élus sur la base des listes bloquées : « Ils rendent compte au parti au pouvoir plutôt que de défendre les intérêts de la population. Le président de la République a aussi une mainmise sur le parti au pouvoir en tant que président du Conseil des Sages. Vous voyez alors que d’une certaine manière, le parlement burundais n’a pas assez d’influence. D’abord, au niveau de l’expertise mais aussi au niveau de la capacité du pouvoir qui est dilué par ce contexte dans lequel il est mis en place ».

Pour s’en sortir, Faustin Ndikumana propose une séparation des pouvoirs effective et pas seulement sur le papier, ainsi qu’une amélioration de l’expertise des institutions.

Gabriel Rufyiri : « Aller en dehors de ce que la loi a prévu est gravissime »

« J’ai discuté avec plusieurs députés et ils affirment que le budget voté par le Parlement est inférieur à celui promulgué », indique Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome. Selon lui, tout le processus d’adoption du budget est encadré par la Constitution, par la loi organique des finances publiques mais aussi par le décret portant règlement général de gestion des budgets publics. « Aller en dehors de ce que la loi a prévu est gravissime. Qui a changé le budget ? Je n’en sais rien. Changer un budget relève de la violation grave de la Constitution et de bien d’autres lois ».

Gabriel Rufyiri indique qu’en dehors de ces tracasseries budgétaires, l’Olucome a relevé une autre anomalie : « Le bureau stratégique à la présidence aurait eu une mission de gérer les crédits budgétaires. Dans son article 34, le décret portant règlement général de gestion des budgets publics cite les responsables de l’exécution du budget de l’État. Il s’agit du gestionnaire, du contrôleur des engagements des dépenses, de l’ordonnateur, du comptable public et du caissier de l’État. En dehors des intervenants mentionnés, il est interdit à qui- conque, fonctionnaire, élu ou particulier, de s’immiscer dans l’exécution des recettes et dépenses du budget de l’État ».

Selon Gabriel Rufyiri, la présidence a le pouvoir de contrôler, mais pas de gérer le budget général de l’État. « Cela relève de la responsabilité du ministre des Finances. Aujourd’hui, on pourrait dire que le ministre des Finances n’a aucun pouvoir. C’est grave. Je n’ai rien contre ces gestionnaires à la présidence, mais il faut respecter la loi ».

Agathon Rwasa : « Le droit de parole est retiré du Parlement »

« Par rapport à la loi portant le budget général de l’Etat, les procédures ne sont pas de nature à satisfaire les observateurs. D’aucuns savent que la session budgétaire commence le 1er avril, c’est-à-dire que le projet de loi budgétaire doit être normalement sur le bureau de l’Assemblée Nationale dès cette date. Ce qui est frappant, c’est qu’on attend jusqu’à la dernière minute pour que le gouvernement envoie le projet de loi, et on l’analyse à la va-vite. Et voilà, les conséquences ne peuvent être que désastreuses », souligne le député Agathon Rwasa.

Selon lui, l’Assemblée Nationale a analysé au fond un projet de loi où les recettes du budget général de l’État s’élevaient à 3.941,11 milliards de BIF et les dépenses prévues à 4.382,98 milliards de BIF. « Ce qui me frappe davantage — et qui frapperait n’importe qui d’ailleurs — c’est que le projet de budget que le gouvernement a proposé à l’Assemblée Nationale n’est pas celui qui a été promulgué. Il y a eu une majoration de plus de 680 mil- liards tant au niveau des recettes qu’au niveau des dépenses ».

Et de s’interroger : « Est-ce que ces modifications auraient été apportées par le Sénat ? Je n’en ai aucune certitude. De toute façon, c’est une majoration énorme. Si c’est de la part du gouvernement, on aura violé les règles, car on ne pouvait pas faire une autre délibération après que le projet eût été envoyé́ au Parlement ».

Si on peut modifier le budget comme on veut, indique Agathon Rwasa, l’institution parlementaire est à ce moment tournée en dérision. « Il y aurait dysfonctionne- ment des institutions et c’est préjudiciable. Cela serait une façon de dire que les institutions n’existent que de nom. Ce sont des individus qui peuvent décider en lieu et place des institutions ».

D’après M. Rwasa, les conséquences sont désastreuses, car la gestion devient calamiteuse et on ne sait pas à qui demander des comptes. « La promulgation et la modification, ce sont deux mots différents. Si l’Exécutif se donne le droit de modifier ce qui a été adopté par le Parlement, cela voudrait dire que ce Parlement n’a pas lieu d’être et que le peuple ne peut rien attendre de ses représentants. Autrement dit, le droit de parole est retiré au Parlement. » Agathon Rwasa pense qu’il y a un mépris des normes. « On se soucie peu des contribuables, car ce sont elles qui vont payer toutes ces charges. On ne voit pas la contrepartie que la population va bénéficier de ce budget colossal si ce n’est qu’un lourd fardeau d’impôts et de taxes ».

Kefa Nibizi : « Il sera impossible au Parlement d’exercer sa mission de contrôle de l’action gouvernementale »

« Le fait que le budget voté par le Parlement n’a pas été promulgué en tant que tel représente certainement une violation de la procédure constitutionnelle. Mais aussi, cela témoigne d’un manque de considération des institutions, notamment de l’Assemblée nationale », indique Kefa Nibizi, président du parti CODEBU.

Selon lui, cela a des répercussions sur le fonctionnement général des institutions : « Lorsqu’il n’y a plus de respect des lois, notamment de la Constitution, et surtout dans la mise en place de textes légaux très importants comme le budget, cela pose un problème. Il sera impossible au Parlement d’exercer sa mission de contrôle de l’action gouvernementale si l’Exécutif peut se permettre de ne pas tenir compte du pouvoir conféré au Parlement et de promulguer un budget différent de celui voté par les parlementaires ».

M. Nibizi aimerait que les services de la présidence et le Parlement donnent des éclaircissements pour que les Burundais aient pleine lumière sur ce qui s’est passé concernant ce projet de loi.

Gaspard Kobako : « Les opérations faites par le gouvernement montrent qu’il se moque du Parlement »


Concernant ces modifications, Gaspard Kobako, président du parti Alliance Nationale pour la Démocratie (AND), trouve que c’est une preuve que le Parlement ne représente pas ses électeurs : « Le peuple n’est pas représenté correctement. Le Parlement est autorisé à voter une motion de censure pour demander la destitution de tel ou tel membre du gouvernement. S’il n’est pas capable de le faire, c’est qu’il est en passe de devenir un parlement croupion », s’indigne-t-il.

D’après lui, les actes du gouvernement montrent qu’il n’a pas vraiment de considération pour le Parlement et donc des électeurs : « Le peuple n’est pas souverain. La souveraineté appartient au gouvernement », déduit le président du parti Alliance Nationale pour la Démocratie.

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