Jeudi 21 novembre 2024

Politique

« Il y a une culture politique autoritaire à la tête de la direction de l’Assemblée nationale et du Sénat »

« Il y a une culture politique autoritaire à la tête de la direction de l’Assemblée nationale et du Sénat »

Dans la suite de l’interview avec le Professeur Julien Nimubona, il analyse le mode de fonctionnement de l’Assemblée nationale et du Sénat, dépeignant ainsi un Parlement croupion, obéissant aux volontés du pouvoir exécutif, au détriment de ses fonctions de contrôle et de législation.

Privation de parole, coupure du micro, injonction de ne pas poser une telle question, certains députés se lamentent que leurs droits constitutionnels sont bafoués lors des séances plénières à l’Assemblée nationale. Votre analyse ?

Il y a trois grandes explications. La première est de nature constitutionnelle. Et ça, c’est la revanche de la constitution de 2005 par rapport à celle de juin 2018. La Constitution de 2018, taillée sur mesure au départ, c’est-à-dire élaborée pour prolonger les pouvoirs de Pierre Nkurunziza, a créé un régime présidentiel avec une forte concentration et une centralisation des pouvoirs aux mains du chef de l’exécutif. Et ce, aux dépens d’autres pouvoirs, notamment le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

La conséquence est qu’on a un présidentialisme mono-centré. Toutes les volontés du président vont passer. Et la direction du Parlement, c’est-à-dire les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, vont devenir des chambres d’enregistrement et surtout de défense des volontés présidentielles au lieu d’être des cadres orientant des discussions très sincères au niveau du travail législatif. Au niveau du contrôle de l’action gouvernementale. Et cela devrait profiter en fait au parti au pouvoir. Mais ce n’est pas le cas.

Deuxièmement, là où la Constitution de mars 2005, qui était issue de l’Accord d’Arusha était performante, c’était d’introduire un pouvoir partagé. Avec une participation institutionnelle des partis de l’opposition qui auraient obtenu ou qui avaient obtenu, puisqu’il y en a eu, 5 % lors des législatifs au niveau national.

Cela avait pour effet d’impacter sur le Parlement en permettant la participation beaucoup plus visible des députés de l’opposition.

Mais également un Parlement modéré, puisqu’avec les minorités de blocage qui étaient instituées au niveau du Parlement, au niveau du vote des lois organiques. Finalement, la direction du Parlement, ça veut dire les deux chambres, plus les députés et de la majorité et de l’opposition était obligée d’adopter des attitudes modérées. Puisqu’on avait besoin des uns et des autres. Mais aujourd’hui, cette modération, cette ouverture du parti au pouvoir ne s’observe plus.

On observe par contre des attitudes de solidarité. Je dirais même de complicité partisane au sein des députés de la majorité. Cette solidarité et/ou complicité partisane se retourne contre les députés de la majorité qui n’ont plus la possibilité d’intervenir, de critiquer et même de contribuer à l’amélioration du travail législatif et celui du contrôle de l’action gouvernementale. Ici, je n’ose pas parler des seuls députés du CNL qui sont au Parlement. Parce que, dès lors qu’il n’y a plus d’obligation des minorités de blocage, ces députés-là peuvent intervenir comme ils veulent. Mais, ils ne seront pas considérés parce qu’ils sont immédiatement écrasés par la majorité des députés de l’Assemblée.

Vous parlez des « minorités de blocage », ça veut dire quoi ?

Les minorités de blocage étaient les exigences de l’esprit de l’Accord d’Arusha et de la Constitution de 2005 qui disaient que pour faire adopter les lois organiques, c’est-à-dire les lois structurantes importantes, il fallait absolument que l’on obtienne des majorités de 2/3 à l’Assemblée nationale. Or, les 2/3, le CNDD-FDD n’en a jamais eu. Même aujourd’hui où le CNDD-FDD a eu beaucoup de voix, il ne peut pas avoir 2/3 des députés.

Ça obligeait la direction de l’Assemblée nationale et du Sénat à adopter une attitude modérée pour obtenir le consensus de la part de tous les députés. Cela aide un peu, et même plus, les députés de la majorité à être critiques afin de se rapprocher des députés de l’opposition et de pouvoir voter les lois. C’est ce qui s’est passé par exemple en 2014 lorsque le président de la République n’a pas eu la majorité qu’il fallait pour faire passer la révision de la Constitution et la sortie de l’Accord d’Arusha. Ce qu’il voulait déjà.

A part Bonaventure Niyoyankana, Jean Minani et les députés Batwa, il y a eu des députés plutôt frondeurs déjà en 2014 qui commençaient à envoyer un message au président de la République qu’il ne fallait pas toucher au 3e mandat et à l’Accord d’Arusha, etc. On n’observe plus cela. On observe plutôt un Parlement croupion, c’est-à-dire une chambre d’enregistrement des volontés venant de l’Exécutif.

D’autres explications ?

Deuxième explication, elle est aussi institutionnelle puisqu’elle est relative au mode de scrutin adopté par le Code électoral depuis pratiquement 2005. Depuis cette époque, jusqu’aujourd’hui, lors des élections législatives et communales, on a adopté le mode de scrutin de listes bloquées à représentation proportionnelle. Ça veut dire que les listes de candidats à la députation ou même au sénatorial d’une certaine manière et ensuite aux communales sont élaborées par les états-majors des partis et imposées pour ne pas dire proposées aux électeurs.

Quelle est la conséquence ?

Lorsqu’on dit que les listes des candidats députés, sénateurs et conseillers communaux sont élaborées par les états-majors des partis, ça signifie qu’il faut aller voir du côté de la direction du parti. Or, pour le parti au pouvoir, on sait l’organe dirigeant au plus haut sommet. C’est le Conseil des sages qui est présidé par le président de la République en personne et qui est le chef de l’exécutif.

Cela veut dire que c’est le chef de l’Exécutif qui va présider à la nomination des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat. A commencer par conséquent par les membres des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Par conséquent à l’Assemblée nationale et au Sénat, il n’y a que des travailleurs de la volonté du président de la République. Voilà comment nos députés et sénateurs ont perdu l’attribut constitutionnel de mandat national. Ils sont dans une logique de mandat impératif, ce qui est contraire à la Constitution.

Normalement, avec un mandat national, les députés peuvent adopter des libertés d’expression à l’Assemblée nationale. Mais avec cette contrainte d’avoir été subjugués par le chef de l’exécutif via la direction ou l’état-major du parti, les députés sont des assujettis, des objets de la volonté du chef-président qui a approuvé les candidats aux postes éligibles lors des élections législatives et communales.
Voilà un effet pervers, dévastateur sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale et du Sénat.

La troisième explication est liée à la culture politique de nos élites politiques en général et celles qui sont élues en particulier. Par exemple, nous avons une culture autoritaire qui est marquée à la tête de l’Etat, donc au niveau de l’Exécutif. Et cette culture autoritaire n’accepte pas le débat, le dialogue entre les institutions ; l’établissement de compromis ou de consensus entre les institutions.

Normalement, il doit y avoir des échanges assez sincères et ouverts entre l’institution présidentielle, c’est-à-dire l’exécutif et le Parlement, à travers des commissions permanentes au sein du Parlement où sont représentés les membres de l’exécutif. Notamment les ministres qui y sont convoqués.

Or, on ne voit pas cette culture de dialogue, de négociation des compromis et des accords entre les institutions. Ce qui passe c’est la volonté de l’exécutif et donc la volonté du chef de l’Etat, qui passe comme sur des roulettes dans l’Assemblée nationale.

On le voit alors quand le bureau de l’Assemblée nationale impose aux députés de ne pas revenir sur tel ou tel sujet. J’étais très surpris, et même très choqué par la clôture du débat par le président de l’Assemblée nationale lorsque les députés étaient en train de poser des questions au Premier ministre, qui était à l’époque ministre de l’Intérieur lorsqu’il avait pris la décision de chasser les taxis-motos, les taxis vélos et les Tuk-tuk, de l’accès au centre-ville. Je me souviens, le président de l’Assemblée nationale a clôturé le débat en disant : « C’est fini, ce n’est pas une question politique, c’est une question technique, ça nous vient de la police ».

Alors que c’est une question hautement politique qui était posée par les députés de la mairie de Bujumbura qui étaient très concernés. Cela traduit vraiment une culture politique autoritaire, directionnelle à la tête de la direction de l’Assemblée nationale. On voit la même chose au Sénat. En plus de cette obéissance à l’égard de l’institution présidentielle, ça descend au niveau de la direction du Parlement.

On assiste également à une culture clientéliste au sommet de ces institutions. On voit que les dirigeants de nos institutions, notamment au niveau du Parlement, de l’Exécutif et même à tous les niveaux, on assiste à une culture d’obéissance. De relation entre le client et le patron, le seul patron c’est le président.

Et les autres se comportent comme des clients qui doivent obéissance et rivaliser pour montrer qu’ils sont plus obéissants que les autres. Et cette culture de sujétion, quand elle touche les dirigeants du Parlement, ça donne une scène que vous voyez. C’est-à-dire une clôture, sans discussion, sans débat sur des sujets hautement sensibles et importants lors des sessions plénières au Parlement.

Quelle est votre analyse par rapport au fait que des documents à analyser parviennent aux députés le jour même ou bien la veille de la session ?

J’allais conclure à ça. Avec d’abord la troisième culture politique, on assiste à une culture ethno-politique. Or, cette dernière ne crée pas le citoyen, le député citoyen, le sénateur citoyen, le ministre citoyen, le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, citoyens.

Cela suppose que l’individu soit libre des attaches de groupes d’appartenance. Or, cette solidarité tue le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, le député, le sénateur libre. Le tout donne un effet émergent : premièrement, cela montre une séparation des pouvoirs impossible. Alors qu’elle est établie par la Constitution. Ce n’est que finalement une pure forme institutionnelle. Une pure forme constitutionnelle, au niveau de la pratique, c’est absolument hors sujet. Pas de séparation des pouvoirs. Tout vient du président de la République, c’est-à-dire de l’exécutif et tout s’enchaîne vers un vote de complaisance au niveau du Parlement croupion.

On voit finalement que les textes, qui devaient être adoptés après débats, après analyses profondes au sein des commissions permanentes, sont transmis très tardivement. On voit même souvent des questions qui sont posées aux ministres lors des séances alors que ce sont des questions qui auraient pu être mûries par les commissions permanentes, par les députés lorsqu’ils sont concentrés. Cela montre une forte négligence de l’importance du Parlement par l’exécutif. Ce n’est seulement une négligence, je dirais même un mépris à l’égard des élus du peuple. Et ça, c’est malheureux parce que quand on est supposé faire un travail démocratique, on doit respecter les représentants de la population.

On peut dire alors qu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs ?

C’est vraiment la conséquence directe des trois grands phénomènes dont je viens de parler à commencer par une Constitution qui concentre tous les pouvoirs du chef-président. Deuxièmement, le manque de culture démocratique chez nos élites politiques. Troisièmement, des modes de scrutin qui ont tué le mandat national des députés et sénateurs en introduisant quasiment un mandat impératif, des députés et sénateurs qui sont obligés d’être fidèles à leurs partis politiques.

* Dans la dernière partie de l’interview du professeur Julien Nimubona, il abordera la présidence Ndayishimiye et les divisions internes au sein du parti Cndd-Fdd.

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Nsabimana Godefroid

    Je voudrais remercier ce professeur d’avoir accepté de partager son raisonnaiment .Je voudrais également apporter un commntaire sur cette culture autoritaire à la tête de la direction de l’ensemblée nationale et du sénat :La coupire du micro des députés ou la privation de la parole sous plusieurs formes laisse remarquer une culture autoritaire transmise et injonctive du sommet au bas. En plus de ces exemples illustrés, j’aimerais ajouter celui qui a suscité des discussions lors d’une session plénière sur la contribution en province Cankuzo des frais d’acceils du président pour la prière d’action de grâce. Sachant que le budget destiné à ces activités était prévu et adopté par le parlement, les députés ont demandé d’eclairer sur Cette décision, mais la vice présidente de l’assemblée nationale
    leur a refusé. Avec le rôle des deputés, représentant environ douze millions de population et leur refuser de poser des questions ce n’est qu’un sacrilège. S’agissant de la gouvernance au Burundi c’est très confuse. La démocratie ce n’est que l’utopie. il ya par exemple la démocratie du fait que les élections s’organisent mais biaisées. des systèmes néo-patriomonialistes, la confusion du domaine public au domaine privé par détournement du trésor public. il ya aussi ce qu’on appelle des systèmes prébendiers ou partage des avantages. tous ça sont le résultats des régimes autoritaires qui pèsent et engendrent la privation de la parole pour certaines autorités en plus de ces députés et ils ya ceux qui acceptent de se fidéliser pour garder son poste et en conséquence se renforce le clientelisme.

  2. Mpfuyumukeno

    Félicitations Dr
    Vous avez une certaine elegance de raisonnement
    Vraiment intelligent.
    Pourquoi ne donne t on des postes de direction à des gens pareils😅
    Ndarivuze jewe Gatarina

    • Gugusse

      Il est du sérail. Ministre sous Nkuruziza.

      • B

        @Gugusse
        Au moins toi, qui n’as pas une mémoire courte!

        • Gugusse

          Thank you!

      • Dieudonné

        Il est du sérail. Bien dit ! En politique aussi, au foot comme au jeux de dames, les meilleurs joueurs sont des spectateurs – observateurs. Tous nos politiciens sont bons avant d’accéder au pouvoir, dès qu’ils sont, ils deviennent ce qu’ils sont comme il l’a décrit.

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