Des habitants de Kiremba (Bururi) n’entendent pas céder aux « caprices d’une minorité de femmes » se disant lésée. Selon eux, tout au plus, le legs concernerait des biens immobiliers et non la terre familiale. Pour Emile Mworoha, historien, il s’agit d’un conflit entre la culture et le droit.
Depuis la nuit des temps, dans cette région naturelle de Bututsi, confient hommes, femmes, jeunes et vieux de la colline Kiremba, la propriété familiale est sacrée. Rien au monde, renchérit M. Cungirizi, encore fort et fier de ses 101 ans, ne compte que plus que sa terre d’environ 5 hectares léguée par ses aïeuls. Aujourd’hui, il la partage avec ses fils, petits et arrière-petits-fils.
A six kilomètres du chef- lieu de la province Bururi. De part et d’autre de la route en terre menant à Makamba, s’étend une plaine verdoyante. C’est la colline Kiremba de la zone Muzenga (commune et province Bururi). Dans ces terres du protestantisme (plus de 50% de la population est fidèle de l’Eglise pentecôte), le ciel n’arrête pas de pleurer. Même pendant la saison sèche. Les premières impressions, dit-on, sont souvent trompeuses. Là-bas, ce n’est pas seulement la religion, s’accordent quelques habitants, c’est aussi la tradition. Et la question qui domine tous les débats sociaux, c’est cette « fameuse » loi sur l’héritage. Très attachés à la tradition, des habitants rencontrés à la sous-colline Rwankona rejettent cette loi en la qualifiant « d’ambition de l’élite féminine. »
Du jamais vu dans l’histoire
Elysée Kaganda, 63 ans, est né et a grandi à Rwankona. Il est radical : « Depuis des générations, ce sont les garçons qui héritent de leur père. La société burundaise est organisée ainsi. Qui veut la désorienter ? » Selon lui, il faut laisser comme telle la volonté de leurs ancêtres car ils n’étaient pas si bêtes que ça : « Ils avaient analysé toutes les conséquences. Une femme ne peut pas hériter deux fois, de son mari et de sa famille. » Il reconnaît cependant que dans des conditions précises comme le divorce ou au cas où une fille ne se marie pas, elle a le droit de retourner ou rester chez ses parents et de bénéficier d’une portion de terre, mais qu’elle ne vendra pas. Pour le cas d’une fille mariée, Elysée Kaganda indique qu’occasionnellement, les parents envoient ce qu’on appelle « Igiseke », un panier de vivres en reconnaissance signe qu’ils ne l’ont pas oubliée. Pour lui, ces revendications sont des caprices et ambitions d’une élite féminine qui se base sur des lois pour perturber l’ordre social.
« N’en rajoutons pas »
Violette Tuyishimire, 45 ans, estime que les conséquences seront graves : « Avec cette situation d’insécurité permanente, si la question des terres s’y ajoute compte tenu de leur rareté et exigüité, des gens s’entretueront. N’en rajoutons pas. » Pour cette fidèle de l’Eglise Pentecôte et mère de six enfants, qu’une fille hérite de ses parents et de son mari c’est injuste envers ses frères et cela engendrerait un désordre social : « Des petits-enfants qui retournent chez leurs grands parents pour récupérer la part de leur mère ? Quel sera le sort de leurs cousins ? C’est inacceptable! »
Que la tradition soit respectée !
Pour Odette Kampayano, 23 ans, la situation doit rester telle qu’elle est aujourd’hui : «Il ne faut pas créer des problèmes là où ils n’existent pas.» Seulement, elle demande la bonne foi de leurs frères à partager équitablement des biens autres que la terre avant l’intervention de la justice.
Guidées par l’ignorance ?
D.V. est une enseignante à Bururi. Elle regrette qu’il y ait des femmes qui, actuellement, restent attachées à la culture : « Les temps évoluent. On ne peut pas en rester là. » D.V. fait savoir que la femme est souvent victime de son ignorance : « Nous acceptons d’être des usufruitières alors que la loi peut nous protéger.» Elle trouve anormal que c’est le conseil de famille qui décide de la vente de tel ou tel autre bien à la mort du mari alors que devant la loi l’homme et la femme sont égaux.
En découdre avec la tradition
D’après Seconde Nininahazwe, juge président au tribunal de résidence de Bururi, l’héritage des femmes constitue un problème sérieux même si certaines femmes ne veulent pas l’avouer. 80% des plaintes qui lui parviennent, précise-t-elle, sont en rapport avec les conflits fonciers où des femmes divorcées ou filles se disputent avec leurs frères des terres. Pour elle, le seul texte légal qui aide à trancher de tels conflits, c’est la Constitution et les déclarations universelles des droits de l’homme ratifiées par le pays. Or, celles-ci privilégient l’égalité des genres en contradiction avec la culture traditionnelle : « Dans ce cas, une partie se sent lésée. » D’où le juge président propose qu’il y ait une loi pour aussi faciliter le travail de la justice.
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Historien de formation et consultant, M. Mworoha estime que l’exclusion de la femme à l’héritage n’arrange en rien le problème de la rareté des terres.
Pourquoi les femmes n’héritaient-elles pas dans la société burundaise traditionnelle ?
Cela relève du système patriarcal ou patrilinéaire dans lequel le Burundi a évolué. C’est l’enfant de sexe masculin qui hérite, contrôle la terre et le bétail, principales richesses de la société. Même à la mort du chef de famille, c’est l’enfant de sexe masculin qui reçoit une lance, instrument de domination masculine. On considère que la femme hérite indirectement de son mari. Le droit coutumier le voulait ainsi.
Estimez-vous fondées les revendications actuelles?
Absolument. Il est du droit de la femme d’hériter. Ce n’est pas contre la tradition comme une opinion le fait croire. Plutôt, c’est un droit que lui confère la Constitution et d’autres textes internationaux sur les droits de l’homme.
Comment expliquez-vous cette divergence d’opinion entre femmes et pourquoi cet attachement culturel de certaines régions ?
D’une part, les femmes instruites, il n’y a un seul domaine où l’homme doit avoir plus de privilèges que la femme, légalement parlant. C’est une question d’enjeux. Or, les femmes rurales n’ont pas de référence, elles sont très attachées à la culture, raison de plus de crier au chaos. D’autre part, l’école et la proximité de la ville, influencent et jouent un rôle important vers l’ouverture au monde et les échanges culturels. C’est un problème d’évolution de mentalité et un conflit entre la culture et le droit écrit. Ce n’est pas l’exclusion de la femme à l’héritage foncier qui apportera une quelconque solution aux problèmes de terre déjà posés.