{« Quant à ceux qui préfèrent aller tout seuls dans l’indépendance [sic], le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont de fameux aventuriers. »}[[Extrait d’une lettre de l’UNARU adressée au Résident général (Usumbura, le 7 juillet 1961). Voir Archives Africaines de Bruxelles (AAB), BUR 64 liasse 15]]
<doc4536|right>Une conférence aura lieu à Bruxelles ce 13 juillet 2012. Les discussions oscilleront globalement autour de la célébration du Cinquantenaire de l’Indépendance du Burundi. Et c’est dans cette perspective que nous comptons montrer publiquement non seulement la contribution des grandes figures indépendantistes burundaises (que tout le monde reconnaît comme telles), mais aussi celle moins visible d’autres fervents militants ignorés. Hélas, ces combattants acharnés contre la colonisation ne sont pas connus du public burundais alors qu’ils ont été eux aussi des pionniers dans ce mouvement effervescent qui conduisit à la libération nationale.
Rétablir le premier parti politique burundais
Lorsqu’on consulte les documents historiques et surtout la documentation secrète de la Sûreté belge, on se rend compte que l’UNARU (Union Nationale Africaine du Ruanda-Urundi) est sans aucun doute le premier parti politique burundais reconnu officiellement, mais aussi le premier parti politique indépendantiste du pays.[[Christine DESLAURIER, « Du nouveau pour l’histoire politique du Burundi à la veille de l’indépendance : la documentation secrète de la Sûreté (1958-1961) », Cahiers du CRA, Paris, 1998, n° 9, p. 39-69.
Mais aussi : Christine DESLAURIER, Un monde politique en mutation : le Burundi à la veille de l’indépendance (1956-1962), dactylographiée, Thèse Paris 1, 2002.]] Ce parti a, en effet, été le premier parti politique burundais à déposer sa demande d’agrément le 27 juin 1959 et à bénéficier aussi de l’agrément le 28 juillet 1959. L’UNARU a donc été agréé plus de trois mois avant l’APRODEBA (deuxième parti agréé le 15 novembre 1959) et plus de cinq mois avant l’UPRONA (7 janvier 1960).
Il ressort, après analyse des faits, que ce n’est pas le CSP (Conseil Supérieur du Pays) qui mit en place et en exécution le triste plan d’exclusion de l’UNARU de la scène politique nationale. C’est plutôt l’administration coloniale qui, ayant compris le danger que représentait ce parti, usa d’un argument redoutable pour conduire à l’exclusion de ce parti du jeu politique. Effectivement, le parti fut déclaré « étranger », à cause des nombreux Swahilis qui en faisaient partie. Depuis lors, le parti sombra dans une douloureuse mise en quarantaine, mais continua à livrer bataille malgré l’interdiction, qui ne fut levée que bien plus tard, au moment où son action ne pouvait plus porter ses fruits comme on aurait pu le prévoir au regard de la combativité remarquable que l’UNARU manifesta à ses débuts.
« En s’appuyant sur un arrêté royal qu’on peut soupçonner avoir été taillé sur mesure pour contrer l’essor d’un parti qui dès sa naissance affirmait être un parti d’opposition, les autorités coloniales sont parvenues pour un temps à neutraliser, en toute légalité, ceux qu’elle considérait comme "les éléments les plus malsains de la population", les "Baswahili qui avaient la réputation d’être de tous les mauvais coups"[[AAB, BUR 65/1 et BUR 66/1/1 : BI 218 de la Sûreté, Usumbura, 11 avril 1960.]] »[[Ch. DESLAURIER, ibid., p. 408.]]
Pour illustrer encore plus le propos, lisons quelques articles extraits des statuts de l’UNARU déposés le 27 juin 1959 (le parti avait son siège à Usumbura, Buyenzi 7ème avenue n° 53) afin de comprendre l’esprit qui animait ses fondateurs :
Art. 3. Le parti a pour but d’acheminer le Ruanda-Urundi vers son indépendance comme les autres pays libres tout en respectant néanmoins les institutions de chaque pays.
Art. 4. Le parti fera en outre son possible pour inculquer l’idée de Démocratie dans les têtes des habitants. Il luttera pour la disparition de toute discrimination raciale, tribale et querelle de religion. Il s’opposera à tout ce qui peut détériorer les relations entre habitants du Ruanda-Urundi, mais tout en favorisant une civilisation propre à chaque pays.
[…]
Art. 10. L’UNARU est un mouvement d’opposition qui luttera dans la légalité jusqu’au moment où le Ruanda-Urundi seront indépendants et que chacun soit doté d’un Gouvernement propre.
Accueil à Usumbura le 2 mars 1960 de la mission de visite de l’ONU par les militants du tandem UNARU-UPRONA. De droite à gauche : Salum Bichuka (portant écharpe), Hamissi Jumbe (portant calotte), Abedi Mwela (portant écharpe et calotte). Photographie obtenue gracieusement de mzee Mkandama Salum Bichuka. © Mkandama Salum Bichuka
Sortir de l’ombre des héros ignorés
Qui aujourd’hui se souvient des membres de ce parti méconnu, l’UNARU ?
– {A Usumbura } : Ntunguka Barnabé (président), Salum H. Mashangwe (secrétaire général), Masudi Siwatu (vice-président), Hamimu Musafiri, Bigiraneza Antoine, Shabani Himidi, Aziza Mahmud, etc. (tous fondateurs de l’UNARU).
– {A Bubanza } : Kagimbi (président), Mavungu Paul (secrétaire), Hene, etc.
– {A Rutana :} Hamissi Tambwe (président), Laurent Muriro (secrétaire), Manuel Mayanja, Fatuma Selemani, etc.
– {A Muhinga (Kiteranyi) } : Kigowecose Etienne (président), Karekezi Deogratias (secrétaire), Tokea Abdallah (trésorier), etc.
– {A Ngozi :} Alelamka Yahya (président), Segahungu Vital (secrétaire), Ismaili Sekayongwe (trésorier), etc.
– {A Bururi :} Mazobe Nathanaël (président), Ndikumagenge Thomas (vice-président), Bankuwabo Jean (Secrétaire), etc.
– {A Kitega :} Ali bin Rajabu (président), Hilali bin Juma (secrétaire), Hamim David (trésorier), etc.
– {A Nyanza-Lac :} Rashidi Kabumbe (président), Issa Zaidi (secrétaire), Ali Rehani (trésorier), etc.
– {A Rumonge :} Ali Mchanga (président), Swedi Shabani (secrétaire), etc.
Et bien d’autres sections qui pullulaient dans le pays et qu’on ne peut malheureusement toutes les citer.
<doc4537|left>Être gardiens de la mémoire
Tous ces militants ont-ils combattu pour rien ? Nous ne l’admettons pas. C’est pour cette raison que nous suggérons qu’ils soient réhabilités. C’est à eux aussi qu’on devrait penser et dont on devrait célébrer les hauts faits en cette période de grande euphorie. C’est une dette morale pour toute la nation, si on veut continuer d’aller de l’avant et inaugurer l’avènement d’autres grandes épopées à venir. S’il n’y a eu que deux seuls partis qui militaient avec ostentation pour l’indépendance du Burundi (à savoir l’UNARU et l’UPRONA), alors nous croyons profondément que notre patrie devrait aussi envers cette catégorie oubliée la reconnaissance. C’est une question d’honneur et de vérité, et non un point de vue partisan.
Enfin, n’oublions pas ici de lever un grave soupçon qui pesait contre le Prince Louis Rwagasore longtemps accusé injustement d’avoir été l’instigateur de cette sinistre stratégie d’exclusion. En effet, les archives plaident en faveur du fils du Mwami, puisqu’il déposa avec ses amis Mirerekano Paul et Ntiryica Zacharie une motion, (à Usumbura, le 6 mars 1960) au Congrès des partis politiques du Burundi, qui soutenait la participation de l’UNARU dans le mouvement politique national. Il est dit dans cette motion que « l’UPRONA juge inadmissible d’exclure […] un parti créé par des Barundi et admis par l’administration tutélaire. […] Sans doute dans ce parti il y a des personnes étrangères, mais soucieuses de l’avenir de notre Patrie et y habitant depuis plus de dix ans par exemple. […] Le fait que l’UNARU porte dans sa dénomination les mots Ruanda-Urundi […] signifie pour nous qu’ils ont pris une appellation à titre d’étiquette, sans toutefois dire qu’ils se sont écartés du but primordial : servir le Burundi… » [[ Ch. DESLAURIER, ibid., p. 409, note 235. Voir également AAB, BUR 66/3/6.]]
En effet, ils le servirent dans ce combat difficile et risqué jusqu’au bout, jusqu’à l’obtention de l’indépendance. Puisse le Burundi célébrer aussi leur brillante mémoire ! Amen.
Abdoul MTOKA
Le 29 juin 2012.