Feu Madame Bukuru Marguerite, cette étoile, s’est levée le 12 février 1955 à Gisagara-Gasunu, commune Giheta, province Gitega. Cette étoile vient de filer, laissant des traces admirables et éblouissantes ce samedi 26 août 2023 à l’hôpital AGA KHAN de Nairobi au Kenya. Le Burundi vient de perdre une de ses filles les plus remarquables, une femme extraordinaire, une mère digne comme les autres mais pas comme tout le monde, une icône tout simplement !
Elle a fait preuve de courage dans sa longue et douloureuse maladie. Toujours prête à rassurer ceux qui devraient la rassurer, à consoler ceux qui devraient la consoler, sachant qu’elle était consciente du grand vide qu’elle allait laisser derrière elle. Un vide difficile à combler pour le commun des mortels. Ses qualités humaines reconnues d’une femme déterminée avec dans son ADN la dignité au féminin, de mère et d’épouse dévouée, de droiture et de bienveillance sans oublier son humour et sa bonne humeur se sont encore une fois confirmées dans les moments les plus critiques durant ses derniers jours.
Elle laisse un époux avec qui elle était mariée depuis bientôt 43 ans, quatre enfants, 5 petits-enfants et un nombre inconnu de jeunes filles et garçons qu’elle a aimés, éduqués, guidés et conseillés exactement comme elle l’aurait fait pour ses propres enfants, sans distinction d’origine sociale, régionale, d’âge ni de considérations socio-économiques, de tendance politique ou de « clichés ethniques à la burundaise ». Ses ramifications sociales se sont étendues au-delà des frontières burundaises à travers les mariages mixtes de ses enfants de sang ou de cœur. Elle a su prêcher par l’exemple en tout et partout.
Elle était reconnue par ses proches pour son attachement aux valeurs de justice, d’égalité, de liberté et de solidarité envers « les moins que rien », les oubliés de la société et les laissés pour compte dont les prisonniers, les femmes battues, les enfants délaissés et les personnes handicapées.
Ses surnoms le disent. Elle était surnommée affectueusement Maggy par ses copines et collègues ou « Maman Nadège » par ses proches pour marquer le respect d’une femme qu’on n’ose plus appeler par son nom. Cette dernière appellation est un code socio-culturel pour désigner des femmes respectables et respectueuses au Burundi. Une marque de respect inconditionnel et de sacralisation du lien mère-enfant. Le mot « maman », suivi du prénom de l’enfant, premier né de la famille, symbolise le passage de la jeune et belle fille à la brillante femme et mère féconde au service de l’agrandissement de la famille, la régénération de l’humanité et l’humanisation de l’Etre humain par l’éducation.
« On m’a vue à l’œuvre »
« On m’a vue à l’œuvre » a-t-elle dit dans une émission intitulée « Imboneza TalkShow » sur le thème « Quelles valeurs caractérisent le leadership de la femme au Burundi ? » publiée en ligne, il y a deux ans[1]. Quand les œuvres parlent d’elles-mêmes, il n’y a plus besoin de crier. Mais, « les paroles s’envolent et les écrits restent ». Le parcours personnel et professionnel de feu Madame Bukuru Marguerite mérite de laisser des traces écrites. Une page se ferme, mais un livre s’ouvre. Heureux ceux qui pourront le lire pour découvrir un personnage hors du commun. Elle disait peu pour faire plus. Infatigable travailleur, elle ne comptait pas les heures, mais la qualité du travail accompli.
Ses qualités professionnelles
De son vivant, elle a posé les bases d’une fondation solide sur laquelle les générations futures pourront élever des murs, mettre la charpente, et poser la toiture pour construire une société juste et équitable. Elle a fait avancer des lois brisant les chaines de la discrimination envers les femmes au Burundi et ailleurs. Elle a déplacé les montagnes de blocage de la jouissance effective des droits humains dans les pays meurtris par les conflits armés et le terrorisme. Elle s’est investie, durant les 35 années de sa longue et riche carrière, à défendre les bonnes causes parmi lesquelles figure la justice sociale au pluriel. Elle l’a fait dans son entourage le plus proche, au niveau national, régional et international. L’empathie, l’écoute, l’assiduité au travail et le conseil ont été pour elle, plus que de simples « soft skills », ses qualités intrinsèques, sa propre nature. Sa personnalité incorruptible, orientée droits humains et consacrée au nivellement vers le haut a fait d’elle cette « perle rare » dont s’arrachaient ses employeurs soucieux du travail bien fait partout où son savoir-faire a été sollicité et où son savoir-être a été un catalyseur de bonnes décisions éclairées.
Féministe engagée, feu Madame Bukuru Marguerite a participé à plusieurs conférences internationales organisées dans le but de changer les conditions de la femme. La plus importante est la conférence de Beijing en 1995. Elle a elle-même animé des séminaires de formation et de sensibilisation pour l’ouverture d’esprit en matière d’égalités des chances entre les hommes et les femmes.
Ses réalisations
Elle a à son actif avec ses consœurs, militantes de première heure pour les droits de la femme au Burundi, la conception, le toilettage et les réformes de plusieurs textes législatifs et de codes régissant les organisations de la société civile et les institutions des microfinances au Burundi. Il s’agit notamment du « cadre légal des Organisations Non Gouvernementales ». Un texte fondamental dont s’inspirent les membres fondateurs depuis 1988, la veille du multipartisme et l’ouverture de l’espace pour le droit d’expression. Elle est parmi les initiateurs des réformes et de la traduction en kirundi du « Code des personnes et de la famille ». Elle avait compris que l’ignorance en matière d’état civil était un handicap majeur au bonheur et à l’épanouissement des ménages burundais, car se marier est une chose, connaître ses droits et ses obligations est une autre.
Elle a participé dans le renforcement du pouvoir économique et de l’autonomisation des femmes burundaises aux faibles revenus à travers des associations telles que l’Association pour la Promotion Economique de la Femme, actuelle CECM pour promouvoir l’inclusion financière des femmes au début, mais aussi des hommes par la suite. Elle mérite reconnaissance de ses contributions à la promotion des petites et moyennes entreprises dirigées par les femmes d’affaires regroupées au sein de l’AFAB, aujourd’hui WISE.
Nous lui devons, toujours avec ses collaboratrices, femmes juristes et économistes anciennement diplômées du pays, le droit de voyager à l’étranger, de travailler et d’entreprendre sans la fameuse « autorisation maritale ». Il n’aurait jamais été facile de défendre sa cause au tribunal librement pour les personnes du genre féminin et faire face à bien d’autres distorsions des textes législatifs, si les femmes comme Maggy n’avaient pas pris le courage de se lever tôt et de dormir tard pour rectifier les textes de loi en faveur des femmes. Nous ne devrions pas ignorer qu’elle a contribué à la création de l’ABUBEF. Qui doute encore que « le planning familial » est un droit fondamental pour le bien-être de la femme et de la famille ?
Sa formation et son ascension professionnelle
Elle a commencé sa carrière à l’âge de 17 ans seulement. Rares déjà sont les filles qui, à cette époque, avaient fait des études et de surcroit des études de niveau secondaire. Nul n’ignore les conditions d’accès limité au système d’enseignement scolaire introduit au Burundi à l’époque coloniale. Un privilège presque exclusivement réservé aux candidats de sexe masculin issus de familles nobles. Concernant les filles, il aurait été facile à parier sans risque de perdre son pari, qu’une jeune fille si belle, bien éduquée et venant d’une bonne famille comme Maggy ne soit déjà promise en mariage précoce pour aller faire le bonheur d’un mari fraichement sorti d’une école d’excellence pourvoyeuse des hauts cadres de l’administration ou des officiers de l’armée. Quels parents de l’époque auraient hésité à demander la main de cette jeune et brillante intellectuelle pour son fils au brillant avenir ? Quels parents auraient osé repousser un gendre d’un si haut rang pour laisser sa fille pousser plus loin ses études ? Ce qui est sûr, la connaissant, Maggy ne se serait pas laissé influencer une vision à court terme pour laisser les autres gérer son destin. Il fallait d’abord vaincre les barrières culturelles, politiques, et sociales pour avoir le courage d’entreprendre de longues études et de poursuivre son chemin.
Elle a brisé les chaines de la tradition pour montrer qu’il est possible à une fille de devenir ce qu’elle veut. Elle a défié les prédictions et les « on-dit » du genre « Nta mashure y’umukobwa »[2]. Ses camarades d’école témoignent : « Ubuza gusha buratagata »[3] . La spontanéité pour assumer les responsabilités, l’éloquence et les qualités de leadership ont été remarquées dès son plus jeune âge sur le banc de l’école où elle se voyait confiée à plusieurs reprises les fonctions de représentation comme déléguée de classe. Elle ne s’est pas contentée de peu, elle s’est plutôt donné les moyens, la volonté et la détermination de poursuivre des études universitaires. Elle s’est autorisée à rêver grand et à aller au bout de ses rêves, après un mémoire de fin d’études sur « Les droits et les obligations du mariage en droit civil burundais » présenté en 1983 au sein de la prestigieuse faculté de droit de l’Université du Burundi.
De l’enseignante d’école primaire, puis du secondaire respectivement au grade de D4 et D7 entre 1977 et 1979, elle vient de finir sa carrière en mars 2017 comme Officier des Droits de l’Homme dans le cadre des Missions de maintien de la paix à UNAMID/Darfour, ONUCI/Côte d’Ivoire, MINUSCA/RCA où elle assumait les fonctions de Coordinatrice de la section « Renforcement des capacités des Institutions Nationales et Lutte contre l’Impunité au sein de la Division des Droits de l’homme. »
Signalons qu’elle fût la première femme burundaise à avoir occupé un poste de « Directeur Général » à la fonction publique au moment où le secteur privé n’était qu’au stade embryonnaire. Nous parlons de cet état de fait au passé simple. Mais, que le lecteur sache que ce n’était pas à l’époque antique ou au Moyen-Âge, mais plutôt à une période très récente pas plus loin qu’en 1984. Le premier ministère en charge de la promotion de la femme a été fondée en 1983. Il y a de cela une bonne quarantaine d’années, être conseillère du ministre était déjà un pas de géant. Nombre de femmes actuelles ayant occupé des hautes fonctions de ministres, de députées, de sénatrices, etc., s’imaginent mal comment c’était très gratifiant d’être aide-ménagère puis enseignante, infirmière, conseillère, etc., jusqu’à la nomination par décret pour les générations précédentes. Madame Pia Ndayiragije ancienne ministre de la famille et de la promotion féminine sous la troisième république et tous ceux qui ont pu la côtoyer peuvent témoigner.
Entre son premier et son dernier emploi, grâce à ses multiples compétences associées à son charisme de femme battante, elle a grimpé les échelons au rythme soutenu, mais non sans embûches. Elle a occupé les postes de ministre à deux reprises à savoir le ministère de l’Action sociale, des droits de l’Homme et de promotion féminine et le ministère de la Fonction publique. Par la suite, elle a alterné les missions de haut cadre des Nations Unies, de consultante internationale dans divers domaines liés aux affaires de justice, notamment la « justice transitionnelle » dans des pays en phase post-conflits, membre active des commissions de vérité, réparation et réconciliation, des commissions d’organisation des élections démocratiques, etc. Elle a aussi exercé dans la magistrature au tribunal de grande instance puis à la cour d’appel de Ngozi.
Au lendemain de sa retraite bien méritée, elle a dit : « Je suis ancienne, je ne suis pas vieille ». « J’ai la force et la volonté de continuer à me rendre utile ». Elle avait toujours de l’énergie pour rendre service. Elle tenait encore à ouvrir sa main et partager aux autres la crème de son expérience. A ses 68 ans, elle laisse des chantiers inachevés comme toute femme dont une seule vie ne saurait suffire pour tout faire. Il nous incombe de continuer à mettre en valeur son héritage. Si on dit que « So akwanka akuraga ivyamunaniye »[4], disons plutôt que : « Nyoko agukunda akuraga ivyo yashoboye »[5]
En résumé, la regrettée Maggy est un modèle à suivre pour toutes les femmes qui se posent encore la question de comment concilier carrière et obligations familiales au Burundi et ailleurs.
Sa dernière volonté : « oser libérer les talents des femmes. Elle a souhaité avec beaucoup d’espoir que la loi sur la succession, les régimes matrimoniaux et les libéralités soit un jour promulguée sans aucune autre forme de procès. ». Cette loi porte en elle la clé de libération des forces vives de la nation burundaise et du développement inclusif selon Marguerite Bukuru.
Ce qu’elle souhaiterait que retienne la jeunesse burundaise : « la réussite est un cheminement et non un fruit du hasard ou un enrichissement rapide. ».
S’agissant du secret de sa réussite, elle n’a rien caché : « L’ambition, la vision, la détermination, l’engagement personnel, le travail bien fait et fait avec amour. »
Piliers de la stratégie de sa réussite : « Honnêteté, droiture, intégrité et adaptation. »
Sur ce vœu le plus cher et ses conseils de notre tendre et chère Maggy, nous adressons nos sincères condoléances à la famille, aux amis, collègues et connaissances ainsi qu’à toute la population burundaise et tous les peuples qu’elle a servis avec dévouement en Afrique et ailleurs dans le monde.
Que son âme repose en paix!
Mireille Mizero
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[1] Imboneza TalkShow – Marguerite Bukuru (Ancienne Ministre et Cadre des Nations Unies) – YouTube
[2] « Il n’y a aucun intérêt à envoyer une fille à l’école ».
[3] « Un repas qui va être délicieux se voit déjà au moment où il mijote ».
[4] « Un père qui te déteste te laisse en héritage ce qu’il a échoué d’accomplir »
[5] « Une mère qui t’aime te laisse en héritage ce qu’elle a réussi à accomplir »
Que son ame repose en paix !
Une Grande Dame avec toutes les qualites humaines , professionnelles et surtout très genereuse, les étudiants burundais au Sudan s’en souviennent d’elle.
Merci Mireille,
C’est avec des phares comme Maggy que les femmes journalistes du Burundi, notamment, ont pu surfer sur les vagues qu’elle provoquait, sans peur mais avec professionnalisme. Nous lui devons cela.
Maggy, repose en paix.
Heureux des a présent les morts qui qui mereunt dans le Seigneur
Leurs œuvres les accompagnent
Voudriez-vous nous rappeler le nom de son mari?
Chère Maggy, leader déjà à 13 ans (niveau 8è année). Je la vois organisant les festivités de la fête du Christ Roi, pour toute la communauté scolaire de l’EMP de Busiga. Elle était à 13 ans, responsable au 1er degré du mouvement Chiro et c’est à elle qu’incombait la réussite de la fête du Christ Roi, Christ qu’elle aimé et servi dès le jeune âge. Qu’elle repose auprès de son Roi Divin
Je l ai connue a l ENF de Gitega, toute belle et jeune, tres respectable a son age. Elle a toujours ete calme et au dessus de la melee… parlant peu mais tres souriante…quelle sourire! Tres tard nous nous sommes rencontrees dans le milieu professionnel mais je doute qu elle s est souvenue de moi…etant donne que c est souvent ceux qui sont dans les classes inferieures qui se souviennent des Aines par admiration. RIP chere Maggy
Que son âme repose en paix.
Que Dieu l’accueille dans son rouyoume, les actes, charitables qu’elle exercé seraient ces colonnes dans les cieux.
Abana yareze nibeshi caane , Imana Imuhe Uburuhukiro bwiza.
Turahijeje uluryango.
Merci chère Mireille pour ce joli temoignage a l egard de notre chère Maggy , une de nos ainees, une de nos role models dans le militantisme en matière de la defense des droits des femmes. Une etoile qui s eteint mais qui laisse plusieurs petites etoiles derrière elle
Très chère brave maman. que Dieu ait votre âme. votre passage votre personnalité et votre lutte pour une justice pour tous et surtout l’émancipation de la femme restent marqués dans la mémoire de ceux qui ont eu l’occasion de vous rencontrer dans la vie professionnelle. Repose en paix chère Maggy
Tu as raison chère Cathy, elle laisse de petites étoiles qui deviendront des lunes pourquoi pas des soleils qui continueront à briller pour éclairer les « decision makers » à opter pour l’égalité des chances. Sa lumière ne s’éteindra pas. Elle n’est pas morte, elle a changé de vie.
Notre chère Maggy, la grande Maggy, s’en va. Il n’y a vraiment rien à ajouter à ce texte. Que Dieu Imana accorde à son âme si pure la paix éternelle.
Chère Perpétue,
Vous le dites bien, elle était incroyable cette femme. Sa générosité, n’en parlons même pas…Elle avait un cœur d’or. La pureté au sens propre. Si le ciel existe elle y est déjà. Sinon, il existera juste pour elle.
Merci pour cet hommage, mais vous avez oublié de mentionner qu’elle était membre du gouvernement du héros de la démocratie en 1993 dirigé par le premier ministre Sylvie Kinigi.