La disparition de l’ancien président de la République Pierre Buyoya a laissé beaucoup d’émotion au sein de l’Union Africaine, au bureau des envoyés spéciaux. Nick Bertrand Ntahokaja a été un proche collaborateur au sein de l’UA. Il témoigne.
En tant qu’ assistant à ses missions au Tchad, au Niger, en Egypte, au Soudan, au Mali, puis son directeur de cabinet, je garde le souvenir d’un homme proche du peuple, un grand diplomate, toujours à l’écoute, un sportif.
Je l’ai rencontré pour la première fois à son domicile à Kiriri en 2008, il revenait de Libye. Il avait convié pour un verre des membres de la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore dont j’étais membre. Trois mots revenaient dans son propos : ouverture d’esprit, unité basée sur le progrès, et l’entente avec le prochain. J’étais séduit. C’est à ce moment que, avec une certaine innocence, j’étais jeune, je lui ai posé la question en kirundi, une question qui revenait surtout chez les Tutsis: « Nyakubahwa, ibi vyose biriko biraba, umutekano muke, abanyamakuru bafungwa suko mwoba mwarabahaye igihugu… iyo mukigumya canke mukagiha abo muri UPRONA ubu ntituba tumeze neza… » ( Excellence, tout ce qui se passe, l’insécurité, les journalistes emprisonnés, est-ce que ce n’est pas parce que vous avez donné le pouvoir ? Si vous aviez gardé le pouvoir ou si vous l’aviez donné à des gens de l’Uprona, est-ce que la situation ne serait pas meilleure ?) La question était osée.
J’ai noté une certaine déception dans sa réponse. Il réalisait combien il était incompris, je pense.“ Hari abazungu canke abanyamahanga twagihaye? Abo batwara bobo si abarundi?” (Avons-nous donné le pays à des étrangers ? Ceux qui dirigent ne sont-ils pas des Burundais ?) J’ai retenu la leçon. Pour lui, la situation devait changer.
Je l’ai revu en 2017-2019, j’étais son assistant au cours de ses missions au Tchad et comme directeur de cabinet comme diplomate de l’UA au sahel.
Au fil du temps, j’ai découvert un homme profond, épris de paix. Il deviendra un mentor, un parent, un conseiller et je peux dire un ami, un confident pour moi, mais pour tout le bureau des envoyés spéciaux et d’anciens chefs d’État à l’Union africaine.
On a perdu une grande personnalité, un homme d’Etat. Pas seulement le Burundi, mais l’Afrique. C’est un pan de toute une génération politique qui se tourne.
Je suis ému, marqué et plein de souvenirs. Le président Buyoya savait toujours laisser des messages sympathiques. Il savait s’adresser et montrer l’importance de chacun.
Si je devais dire ce qui le caractérisait le mieux, je dirais, la bienveillance. Et surtout, c’était un visionnaire , guidé par l’équité et l’humanisme. Il a pris le risque d’être impopulaire parmi les siens, la minorité, pour viser l’instauration d’une société plus égalitaire.
Enfin, je terminerais par un côté que l’on n’évoque pas souvent : sa simplicité et son humour. Un jour que nous revenions de New York, dans l’avion nous étions assis côte à côte. Le voyage était long et… Je me suis assoupi et j’ai dormi sur lui. Il ne m’a pas réveillé. Avant l’atterrissage, doucement il m’a réveillé et m’a dit avec humour en kirundi : « urarinda wa muhungu ». J’étais super gêné…