Guerres, massacres, exclusions, coups d’Etat parfois sanglants… Le passé du Burundi a été très mouvementé. Et sur tous ces cas, différents points de vue s’affrontent, mais la « vraie » vérité n’est pas encore connue. La jeunesse exige que la lumière soit faite afin que le pays puisse décoller.
Il est 13h 15 au Lycée communal de Bururi, commune et province Bururi, situé à quelques mètres de la chaîne de montagne Magufa. Des élèves habillés en bleu et blanc sortent des cours. Nous introduisons notre sujet : « Les jeunes ont-ils besoin de connaître le passé du Burundi ? Et pourquoi ? ». Eric répond : « Pour préparer notre avenir, nous devons connaître la vérité sur le passé parce que c’est le fondement pour construire notre pays. Aujourd’hui, nous nous référons à des histoires floues. Nous avons entendu qu’il y a eu des conflits, mais nous n’en savons ni les origines ni les responsables. On ne sait pas où nous allons ! » Rappelant les dates de 1972, 1988 et 1993, il estime que les jeunes ont besoin de la vérité sur tous ces événements. A son sens, les parents doivent être courageux pour dire la vérité sur ces événements pour ne pas revivre les mêmes scènes.
Faustin Nduwimana, un autre élève, abonde dans le même sens, car, il pense que sans la vérité, les jeunes vont continuer à se haïr en se basant sur de fausses informations. Et Protais Twizere ajoute que les rumeurs, les fausses versions de l’histoire risquent d’entraîner le pays dans une situation d’eternel recommencement.
C’est le même cri d’alarme chez les filles. Darsine, élève dans ce lycée, signale que la connaissance du passé revêt une importance capitale : « Ça permet de maîtriser l’évolution des choses, la succession des faits ». Elle déplore le fait que l’histoire enseignée à l’école ne réponde pas à toutes les questions. Il serait mieux, selon elle, de montrer les origines de toutes les choses. Elle rejette, par ailleurs, la version enseignée affirmant que « les rois naissaient avec des semences ».
Connaître la vérité : rôle de la CVR
Au moment où le pays évolue vers la mise en place de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), ces élèves demandent qu’elle puisse découvrir la vérité. Faustin Nduwimana pense que sans la vérité, les jeunes tâtonnent et travaillent sur des rumeurs, « ce qui handicape le développement. » Pour Protais Nduwimana, il faut que les jeunes aient le sens du discernement pour ne pas suivre moutonnement les politiciens.
« Nos professeurs nous cachent des choses »
Les étudiants ont soif de vérité sur le passé de leur pays. Claudine Ndayishimiye, étudiante en communication à l’Université Espoir d’Afrique témoigne: « Je ne connais pas très bien le passé du Burundi à part certaines choses apprises au secondaire et qui ne sont sûrement pas vraies ». Elle signale qu’elle a entendu ses parents parler des crises de 1972,1988… entre les Hutu et les Tutsi sans donner tous les détails. Et à Janvier, un autre étudiant, de préciser qu’au niveau secondaire, on leur parle de la monarchie et les rites relatifs mais mes professeurs d’histoire ne parlent jamais des années 1972,1988…
« Nous nous conformons au programme »
Les principaux intéressés répliquent : Jonas Nduwima, professeur d’histoire au lycée Musema, commune Butaganzwa, province Kayanza, est catégorique : « Il nous est interdit d’enseigner l’histoire de l’avènement de la République. Elle est jugée très récente. Même pour la période figurant dans le programme, curieusement, certains événements ont été passés sous silence dans l’élaboration du programme d’histoire ». Il signale que ce programme a été préparé par certains historiens comme Emile Mworoha, eux-mêmes acteurs de cette histoire qu’ils sont censés décrire … : « Ils n’ont pas voulu aborder certaines époques nous ne faisons que nous conformer au programme ».
« Que la vérité éclate au grand jour pour éviter des accusations globalisantes »
Analyste politique, le père Désiré Yamuremye estime que les enfants connaissent le passé du pays via leurs parents et la tradition orale. Mais, d’après lui, ces parents tombent quelques fois dans la généralisation, dans des accusations non fondées diabolisant l’autre, celui de l’autre ethnie. Pour lui, pour que la jeunesse ne continue pas à sombrer dans ce genre de pratiques, il faut que la vérité éclate au grand jour pour éviter des accusations globalisantes. « Même les livres pouvant servir de sources sont pour la plupart tronqués », rappelle le Jésuite.
Et ce n’est pas seulement à cause d’une mauvaise politique qu’on peut tomber dans une crise mais aussi par des accusations globalisantes : « Avec cette pratique, les responsables et les commanditaires des crimes restent cachés derrière l’ethnie. Et dans ce cas, on restera dans une situation confuse », précise-t-il tout en demandant qu’on accuse le criminel non pas qu’il est de telle ethnie mais parce qu’il a commis un crime. C’est pour cette raison selon lui, que la CVR doit être composée par des hommes avec des mains propres, sans penchant afin d’aboutir à la vérité. Et c’est, conclut-il, ce qui va permettre à la jeunesse de connaître le passé de leur pays et enfin se défaire des préjugés pour penser à l’avenir.
« On vit dans la suspicion mutuelle »
Le politologue et professeur d’histoire à l’Université du Burundi, Siméon Barumwete, pense que si, durant 50 ans, il y a des accusations globalisantes, alors on ne peut que vivre dans l’obscurité et l’ignorance du passé. Il donne cet exemple : si un enfant Hutu grandit en étant accusé d’être un enfant d’un « Mumenja », ou qu’on accuse tout Tutsi d’être à la base de la mort du président Ndadaye, inévitablement un climat de suspicion s’installe. C’est un frein à la cohésion sociale.
Selon lui, quand les mémoires sont en contradiction, les gens ont toujours soif de savoir l’autre version du passé. Et quand on aura une même vue sur le passé, précise-t-il, les responsables seront punis et on appellera alors « un chien par son nom ». Il trouve que sans la vérité, il y aura toujours des problèmes : « Le pays ne peut pas être construit sur des mensonges, des rumeurs mais plutôt sur la vérité et la justice ».
Sur le cas de la jeunesse dans la connaissance de l’histoire, certains sont, selon lui, des victimes capables d’interpréter leur histoire différemment de celle enseignée à l’école. Pour lui, c’est surtout l’histoire événementielle ou politique qui est interprétée différemment selon nos origines et l’appartenance ethnique.