Mardi 16 juillet 2024

Histoire

Histoire – Au nom de notre triste histoire

18/06/2024 Commentaires fermés sur Histoire – Au nom de notre triste histoire
Histoire – Au nom de notre triste histoire

Il y a 16 ans, le 18 juin 2008, la polémique faisait rage entre une partie de la famille royale burundaise et le gouvernement d’alors concernant le retour, ou non, de la dépouille du dernier Mwami de Suisse. J’écrivais alors, un peu naïvement je l’admets, qu’un pays a besoin de symboles. À l’époque, j’ignorais les calculs des uns et des autres autour de ce retour. Mais la question reste : le Burundi n’en a pas encore fini avec son histoire et l’on ne (re)construit pas sur l’oubli.

Par Antoine Kaburahe

(Editorial du 18 juin 2008 dans Iwacu)

Dans un pays qui compte tant de charniers, pourquoi souhaiter le retour d’une dépouille fut-elle celle d’un roi ? Parce qu’une nation a besoin de symboles. Surtout une nation déchirée comme la nôtre. Que dirions-nous à nos enfants ? Que nous avons assassiné le prince aîné, héros de l’indépendance, jeté dans une fosse son petit frère et exilé en Suisse leur vieux père ? Certes, la monarchie avait ses tares. Mais nous avons une Histoire. Et la famille royale fait partie de notre Histoire. Et, à ce titre, il est indécent que nous laissions notre roi dans la campagne genevoise. Sa place doit être chez nous. Dans cette terre gorgée du sang de tant d’innocents dont celui de ce pauvre prince, Charles, Ntare V, assassiné et jeté dans une fosse. Il avait 25 ans à peine. Dans la foulée, d’autres citoyens seront massacrés. Des centaines de milliers.

L’histoire du Burundi, comme celle de sa famille royale, est tragique. Mwezi Gisabo, malgré sa bravoure, n’est pas arrivé à bout des fusils et canons allemands. Des Allemands qui brûlaient tout sur leur passage pour l’obliger à capituler. De guerre lasse, mais aussi pour sauver son peuple, Mwezi Gisabo a signé le Traité de Kiganda. La capitulation. Le royaume, qui n’avait pas plié face aux esclavagistes arabes, a cédé devant les mitraillettes allemandes. Désormais, rien ne sera plus comme avant.

Après les Allemands viendront les Belges. La cour royale déchirée, tantôt adversaire, tantôt complice, va essayer de composer avec l’occupant. Le roi Mwambutsa IV illustre bien ce déchirement entre l’ordre traditionnel et l’allégeance aux nouveaux maîtres. Ainsi, tout en adorant les beaux costumes, les voitures, le twist et autres voyages en avion, il résiste aux pressions de la puissante Eglise catholique en refusant le baptême chrétien. Dernier acte de liberté d’un monarque profondément malheureux.

Notre roi mérite-t-il de reposer éternellement loin de son pays ? Réconcilions-nous avec notre Mwami. Lui-même est une victime de l’histoire. Comme de nombreux Burundais. Rentrez chez nous, sire, pardonnez-nous. Venez reposer au mausolée qui surplombe Bujumbura, aux côtés de votre fils aîné, notre héros national. Votre cadet, le prince Charles, comme des centaines de milliers de Burundais, se trouve quelque part dans une fosse commune. Sire, vous faites partie de notre Histoire. Donnez-nous au moins l’opportunité de montrer votre tombeau et dire à nos enfants : « Ici repose Mwambutsa IV, roi du Burundi ». Genève, c’est loin, Majesté.

Dans un livre signé avec  Jean-François Bastin, le journaliste  belge fera un commentaire de cet éditorial

On dirait un passage de relais. Je terminais mon dernier commentaire par le mot « histoire », je le retrouve dans le titre de l’éditorial suivant… L’Histoire est la grande oubliée de la vie burundaise, et à force d’être tue elle finit par être largement méconnue. Trop obscure, trop controversée, trop douloureuse sans doute.

Je n’ai jamais eu d’avis tranché sur cette question de la sépulture du Mwami. Faut-il vraiment en faire une cause nationale, faut-il rapatrier sa dépouille ou laisser le Roi reposer en paix ? Antoine souhaite son retour. Mais ce qui m’intéresse le plus dans son éditorial, c’est qu’il pointe la tragédie de la colonisation et s’interroge sur le rôle de la monarchie burundaise durant cette période. Beaucoup est dit en peu de mots, avec cette volonté de porter un regard lucide sur le passé, qui va de la résistance à la collaboration… Antoine suit la ligne qu’il s’est tracée : il est convaincu qu’on ne reconstruira pas le Burundi sur les décombres de la mémoire. L’amnésie est la perte des peuples, nous avons un devoir de vérité face à l’Histoire, avant comme après l’indépendance.

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