Le 5 février 2022, une loi contre la cybercriminalité a été adoptée par les deux chambres du Parlement sur proposition du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire. Quid des moyens de sa mise en application ?
Cyberharcèlement, usurpation d’identité numérique, vols des données informatiques, escroquerie, les cybercrimes deviennent de plus en plus nombreux avec l’évolution des systèmes numériques. Ce nouveau-né dans l’arsenal juridique burundais vient pour parer à tous ces crimes de l’ère numérique.
La cybercriminalité est définie par l’ONU comme étant tout comportement illégal faisant intervenir des opérations électroniques qui visent la sécurité des systèmes d’information et des données qu’ils traitent.
Le projet de loi portant prévention et répression de la cybercriminalité récemment adopté par les deux chambres du parlement met en place des dispositifs pénaux contre plusieurs cybercrimes comme la diffusion des images à caractère pornographique, de fausses informations pouvant nuire à une quelconque personnalité ainsi qu’à l’usurpation d’identité numérique.
La diffusion des images pornographiques est punie d’une servitude pénale de deux à cinq ans ainsi qu’une amende de deux à cinq millions de francs burundais. L’usurpation d’identité numérique est punie d’une servitude pénale de deux à cinq ans et d’une amende de dix à vingt millions de francs burundais.
La publication des fausses informations est punie d’une servitude pénale de cinq à dix ans et d’une amende de cinq à dix millions de francs burundais.
Cette nouvelle loi intervient au moment où les plaintes de cybercrimes au commissariat général de la police judiciaire ont augmenté d’à peu près six fois ces quatre dernières années. Elles sont passées de 1373 en 2018 à 7532 à la fin de l’exercice de 2021.
Pour la seule année de 2018, 462 personnes ont été arrêtées et 126 condamnées pour des crimes commis dans le cyberespace.
Des témoignages alarmants…
Les cybercrimes sont aussi nombreux que multiformes selon les témoignages des victimes. La plupart des victimes qui se sont entretenues avec Iwacu se disent peu confiantes quant aux moyens de la police pour appréhender les coupables.
Bertrand Ndemeye, résidant en mairie de Bujumbura et artiste chanteur s’est fait voler sa chaîne YouTube au cours du mois de janvier. Durant quelques jours sa chaîne était dans les mains d’une tierce personne, il n’en avait plus accès. « C’était au lendemain de la sortie officielle d’une de mes nouvelles chansons, un matin je me suis réveillé et je n’avais plus accès à ma chaîne YouTube, elle avait été accaparée par une autre personne. J’avais peur de ne plus la retrouver ou qu’elle soit utilisée pour d’autres fins».
Le jeune chanteur affirme ne pas avoir fait recours à la police, mais plutôt à des informaticiens qui maitrisent de tels types de piratage : « J’ai fait appel à des informaticiens que j’ai connus grâce à d’autres amis artistes, je ne suis pas le premier à avoir subi de telles attaques. Ils ont pu retrouver l’identité, le compte Gmail qui était en possession de ma chaine YouTube, il était sur le territoire rwandais comme m’ont dit ces techniciens. J’ai pu avoir à nouveau le contrôle sur mon compte. Moyennant une somme d’argent, YouTube m’a donné un nouveau protocole de sécurité qui va me protéger contre d’autres piratages. Je crois que c’est mieux de se protéger plutôt que d’aller porter plainte à la police, ça te fait perdre du temps, de l’argent et au final, ça ne te sert à rien. »
Beaucoup sont également ceux qui se sont fait voler leurs identités sur Facebook, Instagram et encore d’autres réseaux. B.I.H., une victime, déclare avoir failli perdre la tête, elle ne savait pas quoi faire.
« Un samedi matin, je recevais beaucoup d’appels de mes amis. Ils me demandaient d’aller voir ce que je venais de publier sur Facebook. Je n’avais fait aucune publication depuis très longtemps. Une autre personne avait créé un autre compte avec mon nom et mes photos, il avait publié des contenus pornographiques sur ce nouveau compte. Je ne savais pas quoi faire, avec tous mes amis, on a signalé le compte en attendant que ça passe et j’ai envoyé des messages à tout le monde. Si j’avais su qu’il y a un moyen de reconnaître la personne et porter plainte à la police je l’aurais fait sans hésiter. »
Certaines victimes ont vu leur numéro WhatsApp utilisés par, des gens qui réclament de l’argent en se faisant passer pour elles d’autres encore ont vu leurs comptes utilisés à des fins publicitaires à leur insu.
Quid des moyens de mise en application de cette nouvelle loi ?
Le colonel de police Manirakiza Evariste, commissaire général adjoint de la police judiciaire, affirme que cette entité de la police essaie tant bien que mal à s’adapter à la mise en application de cette nouvelle loi.
« Il s’agit des crimes transnationaux, qui émergent avec l’évolution des systèmes numériques, nous devons aussi mettre à jour nos systèmes de recherches. Un nouveau service de cybercriminalité a été mis en place, des membres du corps de la police ont suivi des formations sur la cybercriminalité. On vient également de se doter d’un laboratoire d’analyse et de la cybercriminalité».
Le colonel de Police Manirakiza affirme également que le commissariat général de la police judiciaire est toujours en collaboration avec les services des téléphonies mobiles présents au Burundi ainsi que l’Agence de Régulation et de Contrôle des Télécommunications (ARCT).
Porter plainte oui, mais se protéger d’abord !
La cheffe de service de cybercriminalité, OPP2, Ingrid Gahimbare, appelle quant à elle à la sécurité avant tout : « Nous recevons beaucoup de plaintes de vols de téléphones, d’usurpation de l’identité des gens par les vols des cartes sim, les plaintes deviennent de plus en plus nombreuses et on ne pourra plus les traiter tous, du moins pas en temps voulu. Nous appelons la population à se protéger le plus possible. »
OPP2 Ingrid Gahimbare donne quelques recommandations à la population afin de diminuer le risque d’être victime des cybercrimes : « Il faut avoir des codes plus difficiles à deviner, abandonner la pratique de définir des codes, que ça pour les téléphones ou sur les réseaux sociaux, très faciles à trouver. Par exemple les noms des enfants, les dates de naissance et autres mots ou chiffres faciles. Pour les vols de téléphones, il faut toujours faire bloquer ses cartes sim avant de porter plainte à la police, ils doivent également retenir les codes IMEI (Il s’agit d’un code unique à chaque portable obtenu en cliquant *#06#) de leur téléphone pour faciliter sa traçabilité. »
Selon l’OPP2 Ingrid Gahimbare, les cybercriminels devraient savoir que chaque activité faite à base d’un outil numérique peut maintenant être tracé par les outils du commissariat de la police judiciaire.
L’internet a ceci de singulier que c’est accessible à toute personne avec un appareil connecté, de partout dans le monde. Que va-t-il se passer si le criminel se trouve dans un pays autre que le Burundi? Les pays occidentaux se sont dotés de pouvoirs, dans les lois, qui obligent les compagnies comme Facebook, Google, Microsoft, Apple et Amazon de révéler l’identité de la personne qui est soupçonée d’avoir commis un crime numérique. Il suffit que les enquêteurs obtiennent un mandat émanant d’un juge/magistrat et qu’ils le présentent à la compagnie. Que ce soit pour la surveillance ou pour l’identification du présumé criminel, il faut un mandat.
Les juges n’émettent le mandat que si le ou les enquêteurs présentent des preuves solides justifiant la nécessité et l’urgence de l’avoir. Parce que c’est la vie privée d’une personne qui est en jeu. Les informations ainsi obtenues ne sont jamais transmises à la victime pour éviter qu’il y ait des représailles/vengences.
Est-ce que ces dispositions ont été prévues dans cette loi? Est-ce qu’ils ont prévu des mécanismes qui leur permettra de forcer les compagnies à leur donnerles informations concernant une personne se trouvant à l’étranger et pouvoir signaler son crime dans le pays où il a été commis? Est-ce que la loi prévoit de créer une entité juridique qui servira d’interface entre les policiers et les compagnies qui détiennent les informations des fautifs, ou entre services de police de pays différents?