L’appel lancé par la société civile et les confédérations syndicales a été suivi presque partout. Le gouvernement menace de sanctionner tous les fonctionnaires grévistes. Cependant les activistes contre la vie chère prévoient encore d’autres mécanismes légaux de revendication …
Ce mardi, l’ambiance rappelle un dimanche ou une journée fériée sur les boulevards et avenues du centre-ville de Bujumbura. Aux avenues de la Mission, du Commerce, de la Victoire…, plusieurs boutiques, magasins, alimentations, studios photos, cybers, salons de coiffure sont fermés. Seuls quelques magasins, pharmacies et boulangeries ont leurs portes entrouvertes. Peu de bus assurant le transport dans la ville sont garés sur les différents parkings. « Malheureusement, il n’y a pas des passagers », se plaignent les chauffeurs rencontrés sur place. Ceux du parking sud du marché central de Bujumbura indiquent qu’ils ont été contraints par la police de venir y stationner. A la gare du nord, les minibus, les taxis, les motos et les vélos sont à leur place de stationnement, mais la circulation n’est pas intense. Le marché central de Bujumbura est désert à 90%. A l’intérieur, plusieurs kiosques sont fermés. Faute de clients, les rares commerçants qui ont ouvert leurs kiosques les ferment aux environs de 10 heures. Toutes les banques sont ouvertes. Les ouvriers, sur différents chantiers, sont à l’œuvre. Au bureau de l’Office Burundais des Recettes (OBR), à la SOCABU (Société d’assurance) et à la Regideso, les employés n’ont pas suivi le mouvement de grève. Aux environs de ces bureaux, des policiers sont aux aguets. Dans différents hôpitaux, Roi Khaled, Prince Régent Charles et Prince Louis Rwagasore, seul le travail minimum est assuré.
L’enseignement est paralysé
Au campus Mutanga, les cours ne sont pas dispensés. Même constat à l’Université du Lac Tanganyika. Au lycée du lac Tanganyika, 10 enseignants sont présents. Inactifs. Au lycée Ngagara, seuls cinq enseignants sont présents. Par contre, au Lycée municipal de Kinama, le personnel administratif est présent. On remarque la présence de quelques élèves et professeurs. Dans la commune de Kamenge, le mouvement de grève n’a pas été suivi. Les activités se déroulent comme d’habitude. Au marché de Kamenge, toutes les échoppes sont ouvertes. Les commerçants vaquent, insouciants, à leurs occupations. Une foule dense déambule à travers les stands. La vie suit son cours normal. En commune Kinama, dans les rues, la situation est la même. Au marché, à 11 heures, seuls les vendeurs de « ndagala », de poissons et tomates sont déjà à l’œuvre. Certains commerçants commencent à ouvrir leurs échoppes. D’autres attendent. La peur se lit sur leurs visages. Des rumeurs courent que des pierres seront lancées à l’intérieur du marché. Ngagara, un autre scénario. Des boutiques fermées. Pas de bus. Un marché presque vide. Plus de 98% des kiosques sont fermés. Seules quelques femmes s’activent sur les stands. Elles vendent des tomates, des oignons et autres ingrédients.
La ministre Sendazirasa prévoit des sanctions
Annonciate Sendazirasa estime que le travail a été accompli correctement au ministère de la Fonction Publique : « Nous avons seulement appris que deux ou trois employés de la mutuelle de la fonction publique se sont absentés parce qu’ils sont membres de l’ABUCO. » Pour elle, la loi est claire : « Ils seront sanctionnés parce qu’ils sont frappés par l’article 219 du code du travail. Ils ne peuvent pas arrêter le travail parce qu’un député n’a pas encore payé l’IPR. » Mme Sendazirasa explique que cela ne peut pas les empêcher de travailler car aucun problème ne les oppose à leur employeur. La ministre de la Fonction Publique prévoit des sanctions : « Nous allons appliquer la loi. Ceux qui se sont absentés au service seront licenciés sans aucune autre forme de procès. » En outre, explique la ministre de la Fonction publique, personne n’ignore que ceux qui souhaitent être engagés à la mutuelle sont nombreux.
Des intimidations
Au marché de Kanyosha, la plupart des échoppes sont fermées. Leurs propriétaires sont restés à la maison. Néanmoins, le commissaire du marché circule pour marquer les kiosques fermés. Une croix bleu est mise sur chaque porte. A la station d’essence ’’King star’’, les policiers notent les numéros de plaques d’immatriculation des bus qui ne sont pas dans la rue. Des sources proches de la Mutuelle de la Fonction publique précisent que le directeur général a sorti ce mardi une lettre de demande d’explication. Dans cette correspondance, Déogratias Nduwimana demande à 11 employés d’expliquer sans délai les raisons de leur absence au service le 27 mars 2012. A la RTNB, le personnel ayant suivi le mouvement de grève serait en train d’être intimidé par le directeur d’un des services. A l’OTB, 6 travailleurs ont reçu des lettres de demande d’explication. Ils doivent fournir endéans huit jours des explications sur leur absence le jour de la grève. Pour ces travailleurs, aucune loi n’a été violée. Ils attendent la fin du délai pour décider de la démarche à suivre. Toutefois, le syndicat des travailleurs de l’OTB, affilié à la COSYBU, précise qu’il a déjà signalé ce problème à la confédération.
«La grève était légale»
Pour Cyprien Ntamirukiro, vice-président de la confédération des syndicats libres du Burundi (CSB), toutes les lois ont été respectées. Aucun règlement n’a été transgressé. Concernant les sanctions qui pourraient être prises pour les grévistes, Cyprien Ntamirukiro évoque le Code du Travail, article 268, au point 2. Ce point stipule qu’il est interdit «de congédier un travailleur ou de lui porter préjudice par tous les moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales.» En cas de sanctions, la CSB déclare qu’elle va saisir les tribunaux burundais et l’Organisation Internationale du Travail(OIT) pour violation de la Convention 87 de l’OIT sur la liberté syndicale. Pour Cyprien Ntamirukiro, les revendications ne s’arrêtent pas à ce niveau. Selon lui, la CSB et ses partenaires sont en train de faire une évaluation de la situation. Bientôt, « la suite des événements sera communiquée. »
« D’autres mesures seront prises »
Pacifique Nininahazwe, délégué général du FORSC rassure tous ceux qui sont intimidés par leurs employeurs : « Nous demandons aux fonctionnaires et aux commerçants menacés de le signaler afin de rester solidaire. » Pour lui, la société civile et les syndicats n’abandonneront jamais « ces victimes de l’injustice. » Pacifique Nininahazwe demande plutôt au gouvernement de s’en prendre aux organisateurs parce qu’ils sont connus et assument ce qu’ils ont fait. Concernant les prix de la Regideso et l’IPR qui doit être payé par les dignitaires, le délégué général du FORSC se veut rassurant : « Nous espérons que le gouvernement burundais est en train d’analyser toutes les revendications de la population pour trouver une issue favorable. » Au cas contraire, prévient-il, d’autres mécanismes prévus par la loi seront utilisés, étant donné que tout le monde a constaté que la société civile n’a pas l’intention de perturber la sécurité. Néanmoins, il se garde de les préciser parce que tous les concernés vont d’abord en discuter.
Pr Kazoviyo ne décolère pas
L’analyste du discours politique s’estime déçue. En lâchant que des associations de la société civile sont manipulées par leurs bailleurs ou par des politiciens alors qu’il l’est aussi, explique Pr Kazoviyo, c’est injurieux et dégradant. « Parle-t-il vraiment au nom de ce gouvernement qui apprécie beaucoup le travail de la société civile? », se demande la vice-présidente de l’Observatoire de l’Action gouvernementale (OAG). Etonnée, elle fait savoir que même le ministre de l’Intérieur en charge des partis politiques ne peut pas aller jusque là. Pour Pr Gertrude Kazoviyo, le gouvernement devrait revoir et redresser les discours de son secrétaire. Sinon, indique-t-elle, il y a lieu de confondre le groupe qu’il représente à lui-même.
_______________
Article 219.
La grève pratiquée en violation des positions qui précédent constitue une faute lourde justifiant la rupture du contrat à compter du jour de la cessation de travail, sans autres droits que le salaire et l’indemnité de congés payés acquis à cette date. Le lock-out pratiqué en violation desdites dispositions entraîne pour l’employeur, l’obligation de payer aux travailleurs, les journées de travail perdues de ce fait.