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Société

Grognes et peur à Ruhagarika

28/06/2018 Commentaires fermés sur Grognes et peur à Ruhagarika
Grognes et peur à Ruhagarika
A Ruhagarika, le carnage est toujours présent dans les esprits.

Plus d’un mois après le carnage de Ruhagarika en commune Buganda de la province Cibitoke, au nord-ouest du Burundi, la population est toujours traumatisée. Certaines familles des victimes se plaignent du manque d’assistance du gouvernement.

Par Christian Bigirimana et Fabrice Manirakiza                                                                                   

A Ruhagarika, dans la nuit fatidique du 11 mai, plus de 25 personnes dont des nourrissons ont été massacrées par des hommes armés non encore identifiés venus de la RDC voisine. Au-delà de la peur qui se lit encore sur la plupart des visages des habitants de cette localité, toujours en deuil, un mois après le carnage, un flou règne par rapport aux promesses faites par le gouvernement et les natifs de Buganda.

D’après F.K., un de ceux qui ont perdu des proches, les ressortissants, les élus de Buganda et le deuxième vice-président de la République, lui-même natif de Buganda, ont promis de construire une maison d’une valeur de plus de 4 millions de Fbu à chaque famille éprouvée. Pourtant, accuse-t-il, Emmanuel Bigirimana, administrateur communal semble vouloir exclure certains de la liste des bénéficiaires.

F.K. confie avoir perdu sept membres de sa famille dans cette nuit du 11 mai maudite par tout Ruhagarika. Il s’agit de Jean Claude Havyarimana, Adèle Nduwimana et leur enfant Arnaud Havyarimana ; Jean Pierre Niyongabo, Francine Muhorakeye et leur enfant Dany Franck Arakaza ainsi que Chantal Niyonkuru. «Ils étaient en visite à Ruhagarika le jour de l’attaque. Ils sont originaires de la commune Musigati en province Bubanza».

Actuellement, se lamente F.K., l’administrateur communal refuse catégoriquement que des maisons soient construites au nom de ces sept personnes réparties en trois familles : «Je pense que trois maisons devraient être construites pour elles au même titre que les autres familles des victimes et arrêter cette exclusion».

Un traitement à deux vitesses

Pire, soutient-il, Emmanuel Bigirimana veut considérer ces gens comme provenant d’une même famille alors que c’est faux. Et de se demander la cause de ce traitement à deux vitesses : « Pourquoi ce deux poids deux mesures alors que nous avons tous perdu les nôtres dans cette attaque ?» Et de souligner qu’ils ont déjà porté l’affaire devant les autorités provinciales mais que l’administrateur communal ne veut rien entendre.

S.N. est du même avis. Il a perdu son enfant alors que sa femme se rendait à l’hôpital pour le mettre au monde : « Nous étions dans un véhicule et nous sommes tombés dans l’embuscade de ces assaillants. Les premières cibles, c’étaient nous. C’est sur nous que les premiers coups de feu ont été tirés».

Après l’embuscade, se souvient-il, le commissaire a dépêché son véhicule pour nous évacuer, nous nous étions cachés dans les ménages vers l’hôpital de Cibitoke. «Nous avons perdu notre bébé, ma femme a dû être opérée pour extraire les balles de son ventre».

Faute de morgue, dès le lendemain, S.N enterre le nouveau-né à Buganda et retourne veiller sur sa femme. Actuellement, s’étonne-t-il, l’administrateur communal semble faire fi de notre souffrance. D’après lui, ce dernier s’est opposé à ce qu’il reçoive les vivres comme d’autres familles : « Je n’ai rien eu alors que chaque famille a reçu 100 Kilogrammes de riz, 15 kilogrammes de haricot et une enveloppe de 100 mille Fbu lors de l’enterrement des victimes et 5 caisses de fanta lors de la levée de deuil partiel».

L’administrateur s’explique

Pour l’administrateur communal, confie S.N., le bébé a été enterré ailleurs que les autres victimes. Il justifie également son refus par le fait que notre couple habite au chef-lieu de la commune Buganda et non dans le site Ruhagarika. Il demande à l’administration de payer au moins une partie de la facture des frais médicaux de sa femme toujours en soins intensifs.

Interrogé, Emmanuel Bigirimana rejette ces accusations. Selon lui, il y a eu des erreurs dans la liste des victimes qui ont ensuite été corrigées : «Ceux qui n’avaient pas été servis comme les proches des victimes de Musigati, ont eu de l’aide composée du riz, de haricots et de savons lors de la récente distribution des vivres envoyés par Caritas et la diaspora burundaise.» Et d’indiquer que l’administration a promis de leur envoyer de l’aide chez eux chaque fois qu’il y en aura.

A la question des grognes par rapport aux maisons qui seront bientôt construites pour les familles, Emmanuel Bigirimana s’étonne que des gens réclament des maisons alors qu’ils n’habitaient pas au site de Ruhagarika lors des massacres : «Comment peut-on construire à quelqu’un dont la maison n’a pas été endommagée et qui n’habite pas sur place. Il faut être logique et arrêter de demander l’impossible».

La population doute de l’issue des enquêtes

Le parc de la Rusizi où, selon les habitants, les assaillants auraient traversé.

Et de conclure que les maçons sont à l’oeuvre pour l’élaboration des devis parce que certains proches des victimes veulent la construction de nouvelles maisons alors que d’autres demandent une simple réhabilitation : « C’est après ce travail que les travaux vont débuter».

A côté de ces grognes, les familles rescapées se disent toujours traumatisées plus d’un mois après le carnage. Les habitants de cette colline, devenue tristement célèbre, ont peur de se rendre dans les champs. «Nous craignons de tomber sur des assaillants malgré le renforcement des positions militaires et policières sur la frontière burundo-congolaise», indiquent-ils.

De plus, poursuivent-ils, lorsqu’un bruit court qu’il y aurait un groupe armé de l’autre côté de la frontière, les habitants de la colline Ruhagarika se réfugient au chef-lieu de la commune Buganda. Signe que le carnage est toujours présent dans leurs têtes. «Les blessures sont encore béantes».

Concernant le travail confié à la commission d’enquêtes judiciaires mise en place par le Parquet général de la République, les familles des victimes semblent douter, affichent un air dubitatif : «Nous attendons leurs rapports. Nous aimerions connaître la vérité sur la mort des nôtres».

Rappelons que cette commission mise en place par Sylvestre Nyandwi, procureur général de la République le 14 mai 2018, avait eu un délai d’un mois pour mener l’enquête et fixer le dossier devant la juridiction compétente. Elle a demandé un délai supplémentaire de 7 jours pour finaliser son travail.

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