N’en déplaisent aux autorités, le phénomène des gribouillis fait de la résistance.
Quatre élèves de la 7e du lycée communal de Kiremba sud ont été détenus au cachot de la commune Bururi, en province Bururi, depuis jeudi 23 mai jusqu’au samedi 25 mai. Ces adolescents ont été accusés de gribouillis sur une photo du président Nkurunziza dans un manuel scolaire. Rebelote, le lendemain. Deux livres de la 9e année dudit établissement ont été découverts.
Mardi 12 mars. Six écolières de l’école fondamentale Akamuri en province Kirundo ont été placées en garde à vue. Idem pour le motif.
2016 – un an après l’éclatement de la crise politique – est l’année de naissance du phénomène. 76 élèves des classes de 8e et 9e du lycée Ruhinga, en commune Mugamba de la province Bururi, ont été renvoyés de l’école, fin juin.
Le 17 juin, quatre élèves du lycée communal de Buhiga en province Karuzi sont arrêtés par la police.
Trois jours plus tôt, la police a appréhendé quatre élèves du lycée communal de Cankuzo.
11 élèves du lycée communal de Muramvya ont été inculpés, le 3 juin, d’outrage au chef de l’Etat et écroués.
La mairie de Bujumbura n’est pas en reste. Dans les quartiers nord, plus de 3 000 élèves ont été sommés de remplacer les livres abîmés.
Fin mai, c’est dans la localité de Ruziba, en commune Kanyosha, que la première dudit phénomène se joue.
Coexistence des différences vivifiante remise en cause
Réduire ce phénomène à un manque d’appropriation de l’éthos commun ou à une alimentation trop riche en éléments d’« opposition radicale », c’est poser un diagnostic erroné.
Ces adolescents prennent ces manuels scolaires pour un exutoire. Pour certains, ils y déversent des blessures liées à la dégradation de la situation des droits humains, consécutive à la crise politique de l’heure.
Cet épanchement résonnant comme un jugement à l’emporte-pièce s’explique par certaines caractéristiques de la jeunesse : l’énergie, la sincérité, l’émotion et le manichéisme.
Plutôt que de cultiver la peur par un « vos enfants ont commis un sacrilège » ou d’agiter la menace du Code pénal, il faudrait privilégier une approche pédagogique. Sensibiliser sur la neutralité politique comme pilier de l’école.
Au-delà d’un culte de la personnalité incongru, ces affaires des gribouillis, que disent-elles de notre vivre ensemble?
Le silence craintif règne en maître dans la cité, certains n’osant plus exprimer en public une opinion à contre-courant ou une indignation légitime par crainte d’être taxés d’ « anti DD ».
Toute prise de parole en public s’évalue ainsi à l’aune du ratio inconvénient/avantage. Si ce rapport est en faveur de la première variable, s’en trouve perverti ce proverbe arabe : « N’ouvre la bouche que si tu es sûr que ce que tu vas dire est plus beau que le silence. »
Revigorer les agoras débattantes qui avaient cours avant la survenue de la crise politique de 2015 pour de nouveau huiler l’échange fécond. Si l’espace de dissidence cadenassé n’est pas ouvert, c’est le serpent qui se mord la queue. Ce faisant, le conformisme de la pensée se transformera en doxa. C’est alors que des pans entiers de la population burundaise subiront des lobotomies intellectuelles, voire culturelles.