Le 27 décembre de cette année, la Tanzanie offrira un cadeau explosif au Burundi : la fermeture et le renvoi de tous les réfugiés burundais dans ce pays, soit plus de 36.000 personnes. A Mtabila, les forces de sécurité tanzanienne ont déjà encerclé le camp de réfugiés burundais. Difficilement, un reporter d’Iwacu a pu entrer dans cette prison à ciel ouvert. Pendant une dizaine de jours, il a partagé le désespoir et l’humiliation quotidienne de nos compatriotes encerclés à Mtabila. Récit.
<doc4981|left>36 mille réfugiés Burundais du camp de Mtabila vivent sous pression depuis quelques mois dans le camp de Mtabila en Tanzanie après la décision de février 2012 de la commission tripartite (Burundi, Tanzanie et HCR) de le fermer à la fin de cette année.
Le camp de réfugiés de Mtabila se situe à 55 kilomètres du chef-lieu du district de Kasulu dans la province Kigoma en République Unie de la Tanzanie. L’accès au camp est très difficile car depuis le 1er août de cette année, le gouvernement Tanzanien ne reconnaît aucun droit à ces réfugiés. Dans un communiqué publié par le ministre tanzanien de l’Intérieur, il traite ces réfugiés d’immigrants non reconnus.
Assis devant sa maison, Roger Havyarimana (32 ans) a du mal à cacher son amertume : « Personne n’a plus le droit de sortir ou de faire quoi que ce soit depuis trois mois. C’est un vrai enfer. Avant on payait un billet de sortie de 15 mille Shillings (plus ou moins 15 mille Fbu) et on sortait mais actuellement ce n’est plus possible.»
Selon lui, les réfugiés vivent dans la peur d’être expulsés par la force. Et ce qui les étonne, d’après lui, c’est le discours du gouvernement Burundais et du HCR qui racontent à tout le monde qu’il s’agit d’un rapatriement volontaire.
Sur place pourtant, les réfugiés considèrent cette décision de non-événement. « Nous préférons mourir que de rentrer au Burundi », se révoltent certains.
La plupart de réfugiés sont arrivés dans ce camp en 1997, fuyant la crise. D’autres, plus anciens, sont là depuis 1972. Sur les 36 mille réfugiés, 80% sont des jeunes de moins de 18 ans dont la majorité est née en Tanzanie, soit à Mtabila ou dans d’autres camps déjà fermés comme Muyovozi, Mishamo, Olyankulu, etc.
Dures conditions de vie
Des milliers de maisonnettes aux toitures de pailles s’étendent à perte de vue. Malgré la chaleur, quelques enfants jouent tranquillement au foot, tandis qu’au loin de jeunes filles puisent de l’eau à une borne fontaine tout près des bureaux des responsables du camp.
A droite de l’entrée du camp, des abris en tentes, visiblement neuves sont dressés. Ils abritent une centaine de réfugiés en attente d’être transférés au camp de Nyarugusu. « Après les auditions de l’année passée, le HCR a décidé que 2500 réfugiés avaient encore besoin d’une protection internationale », confie sous couvert d’anonymat, un des responsables du camp.
Pour les autres, la messe est déjà dite. Ils doivent avoir quitté les lieux avant le 31 décembre conformément à l’accord de la commission tripartite (Tanzanie, Burundi et le HCR) de février 2012. En attendant la date butoir, ces réfugiés indiquent que les conditions de vie s’y sont détériorées depuis cette annonce: « le HCR a diminué la ration alimentaire et nous avons même passé un mois sans nourriture mais nous avons tenu bon », souligne Roger Havyarimana.
Sans préciser la quantité de nourriture que chaque famille perçoit, ce représentant des réfugiés de Mtabila indique que chaque famille reçoit une ration pour une semaine. Pourtant, d’après toujours Havyarimana, des agents du HCR exigent qu’elle couvre deux semaines alors que certains réfugiés ont plusieurs enfants à leur charge.
<doc4982|left>« Que ce camp soit transformé en colonat »
La vie dans les camps n’a pas toujours été misérable. Grands travailleurs, les réfugiés avaient des champs qu’ils cultivaient. Deux fois par semaine, à l’intérieur camp, se tenait un grand marché et les réfugiés échangeaient ou vendaient des produits entre eux ou avec les Tanzaniens. Depuis deux ans, ce marché a été interdit, ce qui a réduit sensiblement les revenus des réfugiés. Aujourd’hui, dans le camp, les réfugiés sont obligés de manger la même chose : pâte de manioc ou petits pois.
Un autre réfugié qui souhaitait garder l’anonymat renchérit : « Saviez-vous que depuis notre arrivée la production de la plupart des produits agricoles a doublé ? » C’est pourquoi, nous demandons, poursuit-il, que ce camp soit transformé en colonat car la différence est de taille. Il explique que, dans les camps, les réfugiés n’ont pas le droit de sortir de l’enceinte ni de cultiver la terre ou même d’exercer une autre activité en dehors de celles prescrites au camp. Or, ajoute-t-il, dans les colonats, les réfugiés peuvent circuler dans un périmètre plus vaste et travailler la terre. « Allez demander aux Tanzaniens qui se faisaient de l’argent grâce à nos produits agricoles, ils vous répondront la même chose que nous », conclut-il.
Écoles fermées
L’autre signe de dégradation des conditions de vie pour ces réfugiés, c’est la fermeture en 2009 des deux écoles du camp, une école primaire et l’autre secondaire. Il y avait avant cette date, 12 classes du primaire et une cycle du secondaire où prestaient essentiellement des enseignants Burundais qui avaient aussi fui la crise. John Manirakiza (20 ans) se souvient : « J’étudiais en 9ème avant la fermeture de cette école et ces enseignants nous formaient correctement car ils étaient diplômés. » Depuis, soutient-il, la vie dans ce camp est de plus en plus difficile pour beaucoup de jeunes car « ils ne font plus rien; les conséquences sont déjà là car plusieurs jeunes filles ont été engrossées. »
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{Le camp de Mtabila a été crée en 1994. A sa création, il comptait une centaine de milliers de réfugiés Burundais, essentiellement ceux qui avaient fui la crise de 1993. Le camp est subdivisé en trois parties : Mtabila 1 qui comprend la zone A avec 10 avenues ; la zone B avec 13 avenues ; la zone C avec 10 avenues et la zone D avec 13 avenues. Mtabila 2 comprend quant à lui une seule zone appelée AA qui compte 23 avenues et enfin Mtabila 3 dont la zone dite AB compte aussi 23 avenues. Le camp est dressé sur un vaste espace de plusieurs hectares, dans une plaine, à deux kilomètres de la route principale, loin des habitations tanzaniennes. Le seul indice de la présence du camp est une pancarte sur laquelle est inscrit « IRC refugee camp of Mtabila ». Un poste de police se trouve à 200 mètres de l’entrée principale du camp, lui-même gardé par des militaires dont deux surveillent les mouvements des passants et vérifient leur identité. }
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<doc4983|right>La violence au quotidien
Mais ce qui fait le plus peur aux 36 mille réfugiés de Mtabila c’est la présence des positions militaire et policière tout autour du camp. Une centaine de militaires et de policiers ont débarqué au début du mois de juin : « Ils se sont déployés et ont installé plusieurs positions qui encerclent tout le camp», confie Roger Havyarimana.
Depuis cette date, confient nos sources, les réfugiés attrapés en dehors de l’enceinte du camp sont souvent passés à tabac, voire violés. La situation a empiré au mois de juillet, selon John Manirakiza : « Celui qui ose sortir est dépouillé de tous ses biens avant d’être frappé à mort par ces militaires et policiers. Tout cela est une stratégie pour nous faire partir du camp.» Selon lui, 8 personnes sont alitées dans les deux centres de santé du camp : « Elles étaient sorties avec leur vélo. Les militaires les ont attrapés et battues avant d’emporter leurs vélos. »
Toujours d’après ces réfugiés, ces hommes en armes n’hésitent pas à violer les filles qu’ils attrapent en dehors du camp. Claudette Iradukunda, 19 ans, raconte qu’une amie à elle de 16 ans en a fait les frais récemment : « Elle a été violée par un policier alors qu’elle était allée chercher du bois à l’extérieur du camp. Le responsable du camp a été mis au courant mais l’affaire a été classée sans suite. »
Actuellement, poursuit l’adolescente, ces réfugiés ont le sentiment d’être plus des prisonniers que des demandeurs d’asile. Et la décision du gouvernement Tanzanien du 1er août 2012 de ne plus les reconnaître comme réfugiés, ajoute-t-elle, les a plongés dans un grand désespoir : « Ces policiers et militaires nous battaient avant que leur gouvernement ne nous traite d’immigrants non reconnus, que va-t-il nous arriver maintenant ? »
Pour elle, désormais, les réfugiés doivent s’attendre à être pourchassés comme des chiens à moins d’avoir quitté cet endroit avant le 31 décembre, date de la fermeture du camp.
Refus catégorique de rentrer
Malgré ce traitement dégradant dont ils se disent victimes, ces réfugiés Burundais ne veulent pas rentrer dans leur pays. La plupart évoquent des questions de sécurité comme frein à leur retour. C’est le cas d’E.M, arrivé en Tanzanie en 1972. Après plusieurs passages dans les camps de Mishamo, Nyarugusu, village d’Olyankulu, ce sexagénaire père de 8 enfants, s’est installé en 1997 avec sa famille au camp de Mtabila. Pour lui, il n’est pas question de rentrer au pays natal car les informations qui leur parviennent ne sont pas apaisantes : « Nous entendons à longueur de journée que des Imbonerakure tuent à leur guise et on voudrait qu’on rentre. Que le gouvernement règle d’abord ces questions de sécurité et on pourra rentrer.»
<doc4985|left>Roger Havyarimana est du même avis. Il indique qu’il a vu ses parents et ses frères se faire tuer devant ses yeux par des militaires en 1995: « c’est une scène que je n’oublierai jamais et je ne retournerai jamais au Burundi. Autant mourir ici. » Et de se demander pourquoi le gouvernement qui n’est pas capable de réinstaller les déplacés de guerre de 1993, voudrait rapatrier d’abord ceux qui vivent en Tanzanie.
D’autres évoquent la problématique des terres pour les rapatriés. « Nous ne cessons d’entendre sur les radios qu’il y a des conflits fonciers entre les rapatriés et les résidents et le gouvernement veut nous faire croire que nous aurons des terres du jour au lendemain dès notre retour. C’est faux », argue Evariste Kabura (46 ans), père de 8 enfants, tous nés en Tanzanie. Il ajoute que même ceux qui sont rentrés volontairement en 2008 n’ont pas encore eu ces terres : « Le plus grave, c’est qu’ils ne sont même pas nourris. Au moins ici, nous avons quelque chose à nous mettre sous la dent. »
Mais pour d’autres encore, c’est tout simplement la peur de l’inconnu qui les bloque. C’est le cas de John Manirakiza, orphelin dont les parents sont décédés peu après leur arrivée au camp de Mtabila. A 19 ans et sans qualification, Il a été assisté toute sa vie. Mais pour lui, ce n’est pas cela qui l’empêche de rentrer mais la peur de rentrer dans un pays où il ne connait personne : « Que vais-je y faire ? »
Enfin, selon une source qui a voulu garder l’anonymat, ils ne veulent pas rentrer car ils ont encore l’espoir d’être, un jour, réinstallés par le HCR dans des pays occidentaux.
« Le HCR avait tout fait »
<doc4984|left>Afin de convaincre ces réfugiés de rentrer au Burundi, le HCR avait déployé beaucoup de moyens. Mais rien n’y a fait. L’année passée, le HCR leur avait proposé 50 dollars par tête mais ils ont refusé, fait savoir un responsable du camp sous anonymat : « La somme a été doublée mais ils n’ont rien voulu entendre. L’organisation onusienne est allée jusqu’à 180 dollars en plus de la nourriture pour six mois et d’un vélo pour chaque famille ; mais ils ont refusé. » Pour lui, la majorité refuse de rentrer parce qu’ils veulent simplement être assistés.
Malgré le refus catégorique de ces réfugiés de rentrer, le HCR a réitéré sa volonté de vouloir les aider à rentrer dans la dignité. Il vient de sortir un communiqué où il se dit prêt à fournir les moyens de transports à tous ceux qui décideront de rentrer dans leur pays natal. « Nous leur accorderons aussi toute l’assistance nécessaire à leur intégration dans leur pays. Cette assistance comprendra de l’argent cash, des rations alimentaires pendant six mois et du soutien en matière de santé publique, d’accès à l’école et d’hébergement », affirme le communiqué. Dans le même communiqué, le HCR indique qu’il continuera à accorder de l’assistance aux réfugiés burundais à Mtabila jusqu’à la fin de l’année. Mais la question est da savoir s’ils accepteront enfin de rentrer chez eux.
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{A partir de 2000, La Tanzanie a estimé que, sur le plan de l’aide humanitaire, elle en avait déjà suffisamment fait. Avec l’aide du HCR, Ils sont parvenus à réduire le nombre de réfugiés, qui atteignait les 680 000 en 2000, à moins de 100 000. Sur les onze camps que gérait le HCR, il n’y en a plus que deux, Nyarugusu et Mtabila. En 2007, la Tanzanie a invoqué auprès du HCR la “clause de cessation”. Depuis lors, une longue et complexe négociation entre le HCR et Dar es-Salaam a commencé pour que les camps soient fermés. Entretemps, le Haut Commissariat pour les Réfugiés s’est battu pour l’intégration de ceux pour qui le retour n’avait plus de sens, c’est-à-dire ceux qui ont fui le Burundi en 1965 et 1972. C’est ainsi que 162 mille réfugiés Burundais ont été naturalisés à partir de 2010. }