L’assemblée nationale avait exigé un audit de la Regideso avant de revoir à la hausse les prix de l’eau et de l’électricité. Les élus du peuple se retrouvent devant le fait accompli.
La position du gouvernement est claire : pas de baisse des prix des produits de la Regideso tant réclamée par la société civile et certains syndicats des travailleurs. Par ailleurs, Gervais Rufyikiri, 2ème vice-président de la République est intransigeant: « La décision de revoir à la hausse ces prix a été le résultat d’un dialogue inclusif avec tous les partenaires directement concernés. Il n’y avait pas d’autres choix. La mesure est irrévocable. » Pour lui, la seule solution à cette équation à plusieurs inconnues est d’accroître la production pour que les Burundais aient un léger mieux. Pour Léonidas Hatungimana, porte-parole du président de la République, le problème de la vie chère évoqué par les activistes de la société civile et des syndicalistes est un phénomène mondial. Contradiction pure et simple aux deux bureaux du Parlement. D’une part, ils trouvent fondées les revendications des syndicats et d’autre part, ils estiment que le mouvement de grève n’a pas de raison d’être. Ils vont jusqu’à qualifier l’appel lancé par ces acteurs d’erreur d’appréciation qui peut entraîner des situations incontrôlables.
Le rôle du Parlement mis à mal
24 juin 2011. Moïse Bucumi, alors ministre de l’Energie et des Mines, est convoqué à l’Assemblée nationale. Motif : expliquer la hausse des produits de la Regideso annoncée 24 jours plus tôt. Après un débat houleux, les représentants du peuple à Kigobe désignent la commission de l’Assemblée nationale chargée de la bonne gouvernance et de la privatisation pour faire une analyse de fond cette question afin de présenter le rapport. Chose promise, chose due. La commission travaille jour et nuit, témoigne l’un de ses membres, pour aboutir à des conclusions ne lésant pas la population. Juillet 2011, la commission sort son rapport. Entre autres recommandations, elle demande la suppression du principe de gratuité d’eau et d’électricité pour le personnel de la Regideso (…), de faire le point de la situation financière de cette entreprise (…), surtout de fixer les conditions de performance (audit, ndlr) qui devront être remplies par la Regideso avant d’autoriser les prochains niveaux de hausse des tarifs, etc. Force est de constater que depuis cette demande au gouvernement, à Kigobe, les députés n’ont pas eu de suite. 1er mars 2012. Stupéfaction totale. Ils apprennent comme tout le monde que la décision de revoir à la hausse ces prix a été prise de manière irrévocable à leur insu. Deux semaines plus tard, une plénière est prévue. A Kigobe, ils espèrent cette fois-ci que le ministre en charge de l’eau et de l’électricité fournira les raisons mais en vain. Cette rencontre est annulée sans savoir pourquoi laissant place à un communiqué du bureau. Ceci provoque la confusion chez certains députés et observateurs qui estiment que le droit et l’obligation du parlement de contrôler l’action gouvernementale ont été bafoués.
Poppon Mudugu : « Que demande la réalisation d’un audit ? » L’élu de l’Uprona ne cache pas son indignation : « Que des prix augmentent sans aucune explication du ministre ayant l’Energie dans ses attributions relève d’un manquement grave. » Tout le monde, explique Poppon Mudugu, y compris les élus du peuple réclament l’état des lieux de l’entreprise Regideso : « Pourquoi ne pas le faire alors que nous avons le droit de savoir le coût réel de l’eau et de l’électricité ? » Selon Poppon Mudugu, le gouvernement veut rendre difficile une situation qui ne l’est pas. Selon lui, la hausse des prix n’est pas la seule façon de résoudre les problèmes que connaît la Regideso aujourd’hui. Il exige au gouvernement de suspendre la mesure et de laisser la population manifester son mécontentement au lieu de proférer des menaces.
Dr Jean Minani : «Il faut arriver à diagnostiquer la santé de la Regideso»
Le président du parti Sahwanya Frodebu Iragi rya Ndadaye et représentant du peuple de Kirundo regrette : « C’est dommage qu’on formule des recommandations et que des décisions soient prises sans nous consulter. » D’après lui, c’est aussi déplorable que cette flambée généralisée des prix touche de plus en plus la population qui souffrait déjà. Il évoque également la nécessité de l’audit : « Il ne suffit pas de monter des prix comme l’on veut.» D’après Jean Minani, la Regideso peut manquer d’argent à cause de la mauvaise gestion, du non recouvrement des dettes, etc. : « Le pauvre contribuable, est-il capable de compenser ce fossé occasionné par la mauvaise gouvernance ? Si oui, jusque quand ? » Le Dr Minani signale qu’en tant qu’homme d’affaires (patron de l’hôtel Top Hill, ndlr) il ressent lui-même cette cherté: « Les clients viennent à compte-goutte.» Et dans les magasins et boutiques, continue-t-il, des gens hésitent pour acheter, des cabarets jadis pleins de monde sont moins fréquentés. Cependant, Dr Jean Minani appelle à la confiance de ceux qui les ont mandatés : « Vos représentants doivent suivre jusqu’au bout cette affaire car il y va de leur rôle et leur devoir. »
De l’incohérence dans la gestion de la chose publique
Onésphore Nduwayo, président de l’Observatoire de l’Action gouvernementale (OAG) n’y va pas par quatre chemins : « C’est surprenant que le ministre ayant l’énergie et mines dans ses attributions ne se soit pas plié aux recommandations de l’Assemblée nationale. » Pour M.Nduwayo, sous d’autres cieux, ce ministre devrait répondre de cet acte à défaut d’être sanctionné. Le président de l’OAG insiste également à la réalisation de l’audit. Il demande à la Regideso de faire la lumière sur son plan d’investissement : « Il constitue l’une des réponses aux besoins croissants en eau et électricité au lieu de se rabattre sur la hausse des prix seulement. »
Une motion de défiance à l’endroit du ministre
François Bizimana, député à l’Assemblée de la Communauté Est Africaine ne décolère pas : « D’un côté, si tout le gouvernement, par consensus, a opté pour ne pas obtempérer aux recommandations de l’Assemblée nationale, cette dernière a les pleins pouvoirs de passer à la motion de censure. » De l’autre, indique-t-il, si l’initiative a été prise par le seul ministre de l’Energie et des Mines, une motion de défiance s’impose : « Un ministre qui ne respecte pas des recommandations du parlement devrait subir cette sanction. » Après avoir consulté le rapport de la commission de l’Assemblée nationale, déclare M. Bizimana, le gouvernement a outrepassé ses recommandations. Quant à l’Assemblée nationale, elle n’a pas su jouer son rôle de contrôler l’action du gouvernement : « Il fallait faire une évaluation ou vérifier la mise en application de ces recommandations. » L’Assemblée nationale, rappelle-t-il, représente le peuple : « Quand le gouvernement n’est plus à mesure de respecter les recommandations du parlement, cela dénote un disfonctionnement institutionnel. C’est aussi dire que chaque institution en ce qui la concerne, n’exécute pas ses missions telles que voulues par la population. » Le député à l’Assemblée de la Communauté Est Africaine déplore en outre le contenu des discours tenus par le parlement s’inscrivant en faux contre la grève : « Se rappelait-il réellement du contenu du rapport de la commission bonne gouvernance ? A moins que des parlementaires se soient réunis par après pour changer des recommandations émises ! »