Le ministre de l’Intérieur vient d’interdire la tenue d’une conférence de presse, prévue pour le mercredi 2 mai, par l’organisation Human Rights Watch (HRW). Le titre du rapport qui y aurait été présenté en serait, en grande partie, la cause.
<doc3860|left>« Tu n’auras pas la paix tant que tu vivras » : L’escalade de la violence politique au Burundi. Tel est le titre du rapport que HRW prévoyait de présenter lors de cette conférence. Les raisons du refus ministériel ne sont pas, officiellement, connues.
Pourtant, le ministre Edouard Nduwimana a déclaré, sur les ondes de la BBC, que ce refus est dû au titre du rapport, et au fait qu’aucune autorisation n’a été demandée par l’organisation pour tenir cette conférence. Selon Carina Tertsakian, chercheuse senior de HRW, Division Afrique, le titre est tiré du témoignage d’une victime contenu dans le rapport, et qui cite les paroles prononcées par un de ses bourreaux quelques jours avant son assassinat. Pour elle, c’est une façon de discréditer leur travail, malgré qu’ils aient essayé de l’équilibrer : « Pourtant, nous espérons que, malgré ce refus, nous continuerons à avoir de bons rapports avec le gouvernement burundais et que nous pourrons avoir des interlocuteurs qui nous écoutent», déclare-t-elle.
En effet, selon Mme Tertsakian, les relations avec le gouvernement étaient au beau fixe et ils avaient établi de bons rapports constructifs, avant cet incident. L’organisation HRW, dont la chercheuse basée au Burundi avait été expulsée en 2010, a été autorisée à revenir dans le pays, et certains de ses membres s’y sont rendus plusieurs fois en 2011 et 2012.
La chercheuse reconnaît que le gouvernement peut ne pas être tout à fait d’accord avec ce que dit HRW, sans toutefois exclure le dialogue. « Dans de nombreux pays, les autorités réagissent souvent sur la défensive quand on dénonce », remarque-t-elle.
La cassure
D’après Carina Tertsakian, elle a demandé une audience au ministre de l’Intérieur pour lui expliquer leur intention et l’inviter. M. Edouard Nduwimana, après les avoir accueillis, leur a, verbalement, opposé un refus. Un des motifs : le titre du rapport ne lui plaît pas. La délégation de HRW a réclamé que ce refus soit écrit, et le ministre a, à son tour, rétorqué qu’une demande de l’autorisation d’organiser la conférence lui soit envoyée pour qu’il y réponde. Cette correspondance lui est adressée lundi le 30 avril, mais comme pour lui informer de la tenue de la conférence de presse, avec copie pour le maire de la ville : « Nous avons demandé aux autres ONG locales, nationales ou internationales, et toutes nous ont dit qu’il ne faut pas une autorisation préalable du ministre pour tenir une conférence de presse », s’explique la chercheuse de HRW.
M. Nduwimana y répond en annonçant son désaccord contre la conférence de presse, et en laissant entendre que le rapport soit officiellement remis au gouvernement pour qu’il y jette un œil avant sa publication. Dans la même foulée, d’après la chercheuse de HRW, le ministre envoie une correspondance au maire de la ville pour lui demander de prendre toutes les mesures pour empêcher la tenue de cette conférence. Dans cette lettre envoyée au maire, le ministre y souligne que l’organisation n’a pas demandé d’autorisation, et relève aussi le titre du rapport.
<doc3859|right>Des exigences inacceptables …
Pour le ministre, il ne s’agit nullement d’une interdiction, mais d’un report. Interrogé, il précise qu’il a clairement signifié, dans sa correspondance, à la délégation du HRW les exigences du gouvernement : « Ils ont accepté de prendre en considération nos demandes, en reconnaissant eux-mêmes que le titre du rapport est tendancieux », indique M. Nduwimana.
« Faux », s’étonne Mme Tertsakian. Pour elle, il n’a jamais été question que de quelque modification que ce soit, aussi bien dans le titre que dans le rapport en soi : « En tant qu’organisation indépendante, nous ne pouvons pas accepter que n’importe quel gouvernement nous dicte ce que nous devons mettre dans nos rapports, ni le moment de le publier », tient à souligner cette chercheuse de HRW. Elle ajoute qu’ils sont néanmoins prêts à échanger des opinions et des points de vue : « C’est pour cela que nous avons demandé des audiences avec le ministre de l’Intérieur et les autres ministres, ce qui démontre notre bonne foi. »
Une attitude peu appréciée …
Le sous secrétaire aux Nations Unies chargé des Droits de l’Homme, Yvan Simonovic, a condamné cette attitude envers HRW, avec laquelle ils collaborent étroitement et qui est en bons termes avec les organisations internationales. Il espère néanmoins que 2012 sera mieux que l’année passée en ce qui concerne la lutte contre les exécutions extrajudiciaires au Burundi, sinon c’est une situation alarmante qui démontre un dysfonctionnement de l’appareil judiciaire et du ministère de la sécurité publique.
Quoiqu’il en soit, la position du ministre quant à ce rapport est sans équivoque : « Tu ne passeras pas tant que tu garderas ce titre! »
Un rapport équilibré ou exacerbant ?
Ce rapport, 89 pages, parle des assassinats politiques découlant des élections de 2010 au Burundi. HRW a donné la priorité à la recherche sur les assassinats politiques en 2011, étant donné l’augmentation de ce type de violence au cours de cette période.
Certains des meurtres documentés par HRW ont été perpétrés par des membres des forces de sécurité, des services de renseignement ou par des individus liés au parti au pouvoir. D’autres ont été commis par des membres présumés des groupes armés d’opposition, ou d’autres encore par des assaillants dont l’identité n’a pas pu être confirmée. Dans la grande majorité des cas, les familles des victimes ont été privées de justice.
Par ailleurs, HRW note que ces meurtres traduisent l’impunité généralisée et l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens, ainsi l’inefficacité du système judiciaire.
Il y apparaît que l’impunité générale dont bénéficient les auteurs des crimes est le point commun de presque tous ces incidents. Dans la plupart des cas relevés, les coupables n’ont pas été arrêtés, inculpés ou jugés, même quand ils ont été identifiés par les témoins. Sans oublier que ces mêmes témoins et les proches des victimes ont souvent eu peur de témoigner par crainte de représailles. Surtout dans les affaires où les auteurs sont soupçonnés d’être liés aux forces de sécurité ou au parti au pouvoir.
Une politique d’autruche …
Mais, souligne le rapport de HRW, même dans les cas où les victimes étaient des membres du parti au pouvoir, il a été difficile pour les victimes et leurs familles d’obtenir justice. C’est dans la seule affaire de l’attaque de Gatumba que des arrestations et un procès ont eu lieu relativement rapidement. Malheureusement, il y a eu des doutes quant à l’équité du procès qui a été entaché de graves irrégularités, plusieurs accusés affirmant avoir été torturés.
Ce rapport indique que la réaction globale du gouvernement burundais aux meurtres politiques en 2011 a consisté à minimiser l’ampleur du problème. Pour les autorités gouvernementales, les responsables de la plupart des violences étaient des criminels armés. Le rapport poursuit qu’elles ont, minimisé la dimension politique et essayé de rassurer l’opinion en affirmant que la sécurité régnait dans le pays.
Tandis que les mois passaient et que la dimension politique des attaques devenait plus évidente, certaines autorités ont modifié leurs propos et admis que certaines des violences pouvaient avoir des motivations politiques. C’est au cours du second semestre 2011, poursuit le rapport de HRW, que les autorités ont commencé à utiliser des termes plus forts tels que terroristes pour caractériser les auteurs des violences.
En outre, le gouvernement s’en prenait aux médias et à la société civile, les accusant de prendre parti pour l’opposition et d’attiser la violence. Dans l’impasse politique persistante, comme le souligne si bien ce rapport, les propos tenus par des hauts dignitaires du gouvernement et de l’opposition conservent un air de défi.